Les échanges de produits céréaliers sont importants en Afrique de l’Ouest, même s’il est difficile d’appréhender leur ampleur. Aux flux structurels qui connectent les bassins traditionnels de production à ceux de consommation, se greffent des flux d’opportunité induits par les disparités de politiques commerciales des États.
Bien que ne représentant qu’environ 30% du volume des productions vivrières ouest africaines, les céréales constituent un élément essentiel d’intégration des marchés et de garantie de la sécurité alimentaire régionale. Entre 30 et 40% de la production domestique est commercialisée. À ces flux de produits domestiques pour l’essentiel composés du mil, du sorgho et du maïs, s’ajoute une importante quantité de riz importé du marché international (sous forme de transit et de réexportation), les transactions de riz local restant très faibles. Ces circuits mettent en relation d’une part les bassins de production et ceux de consommation, et d’autre part les ports d’approvisionnement et les pays de l’hinterland.
Un marché céréalier en pleine mutation. Le marché céréalier ouest africain a connu au cours des 30 dernières années une mutation sensible, au niveau de sa structure et de son fonctionnement. Sous l’effet de facteurs multiples, on assiste à une recomposition de la structure de l’offre, avec la percée de plus en plus importante du riz et du maïs. Ces deux céréales représentent désormais plus du tiers de l’offre régionale des céréales. Longtemps considérées comme des produits autoconsommés, une partie importante des céréales passe désormais par le marché. Outre la demande urbaine croissante, une bonne partie des producteurs ruraux a recours au marché pour son approvisionnement en céréales, notamment dans les régions sahéliennes. Les producteurs de céréales qui dégagent des excédents commercialisables restent toutefois peu nombreux (environ 20% selon certaines estimations).
La diversification des sources d’approvisionnement (local, régional et international) et le jeu des acteurs régionaux déterminent plusieurs ensembles commerciaux, correspondant globalement à des espaces de transactions où prédominent des flux spécifiques de céréales. On distingue trois sous espaces majeurs de transactions de céréales, sous lesquels se greffent deux autres, de moindre ampleur.
Des flux qui dessinent de nouveaux ensembles commerciaux. Les flux de céréales correspondent à la fois au degré d’organisation des réseaux marchands, au mode de transactions en vigueur (commerce de proximité transfrontalière ou sur de longues distances) et à la nature des céréales qui y circulent. On distingue d’Ouest en Est :
- Le sous espace « Ouest », dans lequel le Mali et la Gambie jouent un rôle majeur pour l’approvisionnement des autres pays : Sénégal, Mauritanie et dans une moindre mesure Guinée. Mis à part les transits des produits importés (farine de blé et riz), les flux des produits céréaliers portent principalement sur le mil et le sorgho, pour lesquels le Mali demeure le premier fournisseur régional. Les travaux de l’Observation des marchés agricoles du Mali signalent des flux qui portent sur des milliers de tonnes par an en direction principalement de la Mauritanie et du Sénégal. À ces flux quasi structurels se greffent le riz local de la Guinée et du Mali en direction de la Sierra Léone et du Libéria et la contrebande du riz importé, de la Gambie vers le Sénégal principalement.
- Dans le sous espace « Centre », qui englobe le Ghana, la Côte d’Ivoire, le Togo, le Burkina Faso et l’Ouest du Niger, les flux de maïs et de riz importé dominent les transactions. Le riz importé entre par les ports d’Abidjan et de Tema, et dans une moindre mesure de ceux de Takoradi (Ghana), avant d’être acheminé en transit sur le Mali, le Burkina Faso et accessoirement le Niger. Le maïs produit dans la zone transfrontalière formée par le triangle Korhogo-Sikasso- Bobo Dioulasso alimente les industries (brasseries et aliments du bétail) de la côte et prend également le chemin du Sahel burkinabé, malien et nigérien pour compléter l’offre locale disponible.
- Dans la partie « Est » de la région (Nord du Nigeria, Nord du Bénin, Niger), le rôle du Nigeria est central. Premier producteur régional de céréales, le Nigeria exporte plus de 500 000 tonnes de mil, sorgho et maïs en année normale, vers le Niger et le Tchad et accessoirement le Nord du Cameroun. Dans ces transactions, le marché de Kano (Dawanu) joue un rôle majeur. Sur ces flux gérés par les marchés nigérians et qui sont de loin les plus importants de la région, se greffent ceux du maïs, provenant du Bénin, du Togo et du Ghana, à destination du Niger, où cette céréale, en année de crise alimentaire, supplée aux céréales sèches locales, mil et sorgho.
À ces trois principaux flux qui assurent une connexion des bassins de production aux zones de consommation de la région, se greffent deux autres flux :
- Ainsi il se dessine des flux purement sahéliens portant en grande partie sur le mil, le sorgho et le maïs, qui impliquent quatre pays : le Nord du Nigeria, le Niger, le Burkina Faso et le Mali. Les flux partant du Nigeria vers le Niger sont quasi structurels. Ils connaissent certaines années des inversions, marquées par des incursions des opérateurs nigérians sur les marchés nigériens pour acheter du mil ou du sorgho, au cours des années de mauvaise récolte au Nord Nigeria. À ces flux s’ajoutent ceux connectant les marchés du Mali à ceux du Burkina Faso d’une part et du Burkina Faso au Niger d’autre part. Ces transactions qui visent souvent à alimenter le renouvellement des stocks des divers offices publics peuvent représenter des volumes importants certaines années.
- Enfin dans la partie méridionale prédominent des flux de contrebande du riz importé du marché international. Pudiquement baptisées flux de réexportation, ces transactions qui se fondent sur les disparités de niveau de protection des marchés nationaux, portent sur des volumes conséquents. Depuis la seconde moitié des années 2000, le volume des réexportations de riz du Bénin vers le Nigeria portent sur plus de 500 000 tonnes par an. À cela il faut ajouter quelques 100 à 150 000 tonnes que le Niger convoie chaque année de façon informelle vers le Nigeria. Ces flux pourraient, dans un proche avenir, se prolonger jusqu’au Tchad. En effet ce pays se crée des ouvertures à l’Ouest avec la construction d‘une route en direction du Niger, en réaction aux nombreuses tracasseries rencontrées au Cameroun.
En dépit des progrès réalisés ces dernières années, tant au niveau institutionnel et réglementaire, qu’en matière d’organisation des acteurs, les transactions de céréales sont encore loin de bénéficier de l’intégration du marché des produits agricoles. Il subsiste de nombreuses entraves au commerce intra-régional. Ces entraves (interdiction conjoncturelle d’exportation des céréales, multiplication des points de contrôle routier) renchérissent les coûts de transactions. Il est par exemple plus facile pour un opérateur économique sénégalais d’importer du maïs de l’Argentine que du Nigeria.
Les tendances lourdes du marché céréalier régional. Trois phénomènes majeurs impriment une nouvelle tendance lourde au marché céréalier régional. Ils sont susceptibles à terme de contribuer de façon significative à l’amélioration de sa performance : diminution de la fluctuation des prix, réduction des coûts de transaction, meilleure circulation dans l’espace communautaire régional des céréales et produits céréaliers domestiques.
Des progrès dans la transformation. Le premier phénomène porte sur l’apparition de nouvelles chaines de valeur, principalement autour des filières riz et maïs. On distingue aujourd’hui plusieurs segments de demande du riz et surtout du maïs, résultant des progrès réalisés sur le front de la transformation et de la normalisation des produits. La multiplication des petites et moyennes unités de transformation contribue à améliorer le fonctionnement du marché, marqué par un recul des produits tout venant. Dans maints pays de la région, cette tendance contribue à modifier les habitudes alimentaires des populations jadis tournées vers les céréales d’origine étrangère. Au Mali et en Guinée par exemple, le riz local est de plus en plus prisé par les consommateurs. Cette situation contribue à révolutionner le mode de distribution de cette céréale dans des emballages adaptés au besoin des clients.
Apparitions de nouveaux acteurs. Le second phénomène concerne les changements du cadre institutionnel, notamment au point de vue de l’organisation des acteurs. Si les commerçants traditionnels demeurent les principaux vecteurs des transactions des céréales, on voit apparaitre de nouveaux réseaux sous l’impulsion des organisations régionales et des ONG. En effet si les importations de riz restent l’apanage d’une poignée d’opérateurs par pays, les transactions des produits locaux sont de plus en plus assurées par de nouveaux acteurs : les coopératives de producteurs à travers les opérations de warrantage et de vente groupée. La crise alimentaire de 2008 et les projets mis en oeuvre dans plusieurs pays pour juguler ses effets, notamment les « Food Facility » de l’Union européenne, ont contribué à renforcer la présence de cette catégorie d’acteurs sur le marché céréalier. Il est cependant difficile de prédire la pérennité de cette tendance soutenue par des projets.
Arrivée des NTIC. Enfin la montée en flèche des nouvelles technologies de l’information et de la communication, notamment la téléphonie mobile, permet de promouvoir de nouvelles bourses de produits céréaliers. Elle a surtout favorisé la dynamisation des transactions gérées par des acteurs émergeants, notamment ceux regroupés au sein du Réseau des opérateurs du secteur agroalimentaire régional. Dans de nombreux pays fonctionnent actuellement des systèmes d’information très souples, qui connectent les opérateurs à des serveurs développés par les offices de commercialisation et des projets visant à promouvoir l’accès au marché pour les petits producteurs. Les producteurs reçoivent des alertes par SMS, des prix des produits pratiqués sur les principaux produits. Ces informations donnent des indications sur le niveau de l’offre dans certains cas.
Cette tendance est appelée à s’amplifier au cours des années à venir sous le double effet de la sophistication de la demande des consommateurs, et de la forte urbanisation de la région. Mais le marché régional des céréales devra surmonter un obstacle majeur, celui de l’incohérence des politiques agricoles et commerciales de la région. Les débats autour du Tarif extérieur commun (TEC) à propos du riz ne présagent pas d’une issue heureuse à court terme.