Des OP développent des stratégies pour faire face à la baisse des rendements liée à la raréfaction des jachères. À l’UGCPA-BM, celles-ci passent notamment par la mise en place d’un service d’approvisionnement en engrais minéraux mais aussi, dans un souci de fertilisation durable, par une politique d’incitation à l’utilisation de la fumure organique.

La région de la boucle du Mouhoun, à l’Ouest du Burkina Faso, connaît depuis les années 1980 une augmentation continue de sa production céréalière. Cette hausse peut s’expliquer par une pluviométrie relativement abondante dans cette région, des terres disponibles, l’accroissement du nombre d’actifs agricoles lié entre autres aux migrations, ainsi que par l’accès des agriculteurs à la culture attelée et aux engrais dans le cadre de la filiere cotonnière. Comme dans la majeure partie de la zone soudanosahélienne, cette augmentation de production est essentiellement due à un accroissement des surfaces, plutôt qu’à une augmentation des rendements céréaliers.

L’UGCPA-BM et la commercialisation groupée des céréales. Au début des années 90, les agriculteurs de cette région, pour la plupart producteurs de coton, font le constat d’une mauvaise valorisation économique de leurs surplus céréaliers, surtout de maïs. Pour faire face aux besoins de leur famille (santé, scolarisation) et aux paiements de la main d’oeuvre agricole pour la récolte du coton, la majorité des agriculteurs ont besoin de liquidités entre septembre et décembre. Pour cela ils vendent chaque année une partie du surplus de céréales dès la récolte et donc à un prix peu rémunérateur. Si la production de céréales est abondante, le prix d’achat à la récolte est particulièrement bas ; inversement, si elle est faible, les prix sont plus élevés, mais les agriculteurs ont peu de surplus à commercialiser.
Face à cela, des groupements de producteurs se constituent à partir de 1993 pour améliorer les conditions de commercialisation des céréales et donnent naissance à l’Union des groupements pour la commercialisation en commun des produits agricoles de la Boucle du Mouhoun (UGCPA-BM).

Le besoin d’augmenter les rendements en céréales. À partir du début des années 2000, l’accès aux engrais minéraux devient plus difficile du fait de l’augmentation de leurs prix et de l’arrêt de la production de coton par une partie des agriculteurs de cette région, les groupements cotonniers restant les principaux pourvoyeurs d’engrais. Du fait de l’accroissement de la population rurale, les possibilités de pratiquer la jachère ont fortement diminué. Les agriculteurs doivent donc faire face à la baisse continue de la fertilité des sols cultivés. Pour sauvegarder son activité de commercialisation de céréales, l’UGCPA-BM a besoin d’aider ses membres à maintenir un niveau de production, et donc de rendement acceptable. Dans ce contexte, elle décide de monter un service d’approvisionnement en engrais à crédit pour le maïs et le sorgho en 2008. Deux études, réalisées en partenariat avec les responsables de l’UGCPA-BM et son équipe technique et portant sur la durabilité des systèmes de production, sont réalisées en 2009 afin d’accompagner la mise en place de ce nouveau service. Il s’agissait de caractériser les usages des engrais minéraux ainsi que des autres pratiques de gestion de la fertilité des sols.

La prépondérance des céréales dans l’assolement moyen des membres. Avec la réduction de la surface en coton, la part des céréales (maïs, sorgho, mil) dans l’assolement moyen des membres de l’UGCPA-BM dépassait, en 2009, 50% de la surface cultivée. La part des légumineuses n’a pas progressé et se maintient en dessous des 10%, bien que l’arachide, le niébé et le soja aient un effet positif sur la fertilité du sol et l’alimentation du bétail. Il faut noter la progression rapide de la culture du sésame (20 à 30% de l’assolement). La prépondérance des cultures céréalières qui conforte les objectifs de l’Union, entraine toutefois des problèmes agronomiques comme la prolifération du principal parasite de ces cultures, le striga.

Une intensification des cultures du maïs et du sorgho. En 2009 la quasi- totalité de la surface en maïs des membres de l’Union reçoit de l’engrais minéral à la dose moyenne de 120 Kg/ ha de NPK + 50 Kg/ha d’urée, ce qui correspond à ce qui est apporté au cotonnier dans cette région. En moyenne, le sorgho reçoit une dose plus faible (70 Kg/ha de NPK + 60 Kg/ha d’urée). Les membres de l’Union qui ne cultivent plus de coton fertilisent une part plus importante de la sole de sorgho, comparés aux agriculteurs membres produisant encore du coton (respectivement 72% et 36%) (cf. graphe). Ceci correspond à un début d’intensification de la culture de sorgho, qui a été facilité par l’approvisionnement en engrais à crédit mis en place par l’UGCPA-BM à partir de 2008.

Des apports de fumure animale encore insuffisants. Les apports de fumure animale concernaient en 2009 seulement 7% de la surface cultivée (de 2% à 9% selon les zones enquêtées) avec une dose moyenne de 4,5 t/ha, assez proche de la recommandation de 5 t/ha émanant de la recherche agronomique burkinabè. Mais le maintien du statut organique du sol et donc de sa fertilité à moyen terme dans le cas d’une culture continue sans jachère, implique d’apporter cette dose de 5 t/ha de fumure organique (matière sèche) sur 50% de la surface cultivée tous les ans. L’écart entre les pratiques paysannes et cet optimal agronomique est donc très élevé. Dans le cas de l’échantillon d’études, 60% des exploitations pourraient accroître leur production de fumure organique au regard du nombre de ruminants qu’ils possédent. Mais cela peut nécessiter une révision de la gestion du troupeau et en particulier de renoncer à confier les bovins en saison sèche à un éleveur. Le rapprochement du troupeau bovin des espaces cultivés facilite la valorisation de la fumure organique en développant différentes techniques (parcage dans les champs, fumier, compost). Mais cela peut impliquer, pour des effectifs importants de bovins, de mobiliser un actif familial à plein temps ou d’embaucher un berger permanent.

Prise de conscience de l’importance de la fumure animale et mise en place d’incitations. À partir de ces constats partagés avec les responsables et membres, l’UGCPA-BM commence à élaborer un plan d’action agro environnemental, concentré essentiellement sur les moyens d’augmenter la production de fumure organique en valorisant mieux le bétail et les matériaux disponibles (résidus de culture, ordures ménagéres). Dans le cadre du Conseil à l’exploitation familiale (CEF), les conseillers endogènes se sont rendus chez des agriculteurs maliens qui fabriquent des quantités importantes de fumure organique pour s’inspirer de leurs techniques. Des films vidéos réalisés au cours de cette visite vont servir de support de formation à l’ensemble des membres de l’UGPCA-BM. À l’avenir le CEF pourrait insérer un module sur la gestion des matières organiques mettant en relation le troupeau, sa localisation, sa conduite et les besoins des parcelles en fumure. La subvention partielle du matériel de transport et du petit outillage est également en cours d’expérimentation. Les critères de choix des bénéficiaires ont été définis par les responsables de l’Union et visent les membres ayant un déficit d’équipement mais livrant réguliérement des céréales à l’Union.
La mise en place de mesures incitatives internes à l’Union pour développer les pratiques favorisant l’entretien de la fertilité des sols a aussi été discutée. Par exemple, l’UGCPA-BM pourrait vendre l’engrais pour les céréales à un prix plus bas aux producteurs mettant en oeuvre certaines pratiques définies en accord avec les membres : production de fumier, légumineuse associée à une céréale, plantation ou régénération assistée d’arbres comme Faidherbia albida, etc. Cette subvention serait financée par la vente de l’engrais à un prix légèrement plus élevé aux agriculteurs ne faisant pas évoluer leurs techniques de gestion de la fertilité de leurs terres. Ce type de mécanismes incitatifs ne peut être mis en place sans une forte adhésion des responsables et du plus grand nombre des adhérents à l’Union. Il implique aussi d’organiser des mécanismes de contrôle qui peuvent être gérés localement au niveau des groupements de base. Les responsables de l’UGCPA-BM se sont appropriés les enjeux de la durabilité des systèmes de production et l’intègrent à leur vision. À l’heure actuelle, l’UGCPA-BM finalise un document de politique agro-environnementale, accompagné d’une stratégie de mise en oeuvre qui doit être diffusée auprès de l’ensemble des membres afin qu’ils soient sensibilisés sur ces enjeux.
L’expérience en cours de l’UGCPABM permet de voir que même si les agriculteurs sont en premier lieu demandeurs d’engrais minéraux pour augmenter la production céréalière, ils prennent en compte progressivement les techniques d’entretien de la fertilité de leur sol. Les agriculteurs de cette région ont d’abord développé une stratégie d’intensification des céréales basée sur une utilisation accrue des intrants « classiques » : l’engrais minéral, les herbicides et les variétés améliorées. Cependant, pour assurer une augmentation durable de la production, ils sont également conscients qu’il leur faut travailler sur la gestion organique de leurs sols. Ceci contraste avec l’engouement de certains programmes de développement pour le modèle de la révolution verte basé uniquement sur les intrants « classiques ». De plus, cette expérience montre qu’une OP peut s’approprier les enjeux de durabilité de la production céréalière si cela est utile à ses membres et cohérent avec les services économiques qu’elle développe.

L’UGCPA-BM en bref
L’Union compte aujourd’hui près de 1500 membres, dont environ 800 producteurs de céréales et de niébé, et 700 productrices de bissap biologique et de niébé. Elle collecte et commercialise environ 2000 tonnes de céréales par an (sorgho, maïs, mil) sur les marchés locaux et 40 tonnes de bissap destiné à l’exportation. Son chiffre d’affaire est d’environ 650 000 000 FCFA.
Depuis sa création, elle a mis en place plusieurs services pour ses membres :

  • la collecte et la commercialisation en commun des excédents céréaliers des membres ;
  • des crédits en espèces, au début et au cours de la campagne, pour les besoins de l’exploitation et de la famille, dont les montants sont fonction de l’engagement des membres à livrer une quantité de céréales à l’Union ;
  • l’approvisionnement de ses membres en engrais minéraux à crédit, dont les montants sont fonction de l’engagement des membres à livrer une quantité de céréales à l’Union ;
  • la production de semences certifiées de maïs et de sorgho vendues aux membres de l’Union ou à divers clients ;
  • un dispositif de conseil à l’exploitation agricole.
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