Bien que le secteur de la transformation assure une fonction essentielle à l’interface entre l’offre rurale et la demande urbaine, son potentiel reste aujourd’hui sous-estimé par les acteurs du développement. Rares sont les politiques qui prennent la mesure de cet enjeu et soutiennent ce secteur dans sa diversité et selon ses besoins.
Le secteur de la transformation a une place cruciale dans les filières céréalières. Il assure une fonction d’intermédiation entre la production et les marchés urbains et ruraux. Dans un contexte de fort développement des centres urbains, ce secteur permet notamment l’adaptation de la qualité des produits aux modes de vie et au pouvoir d’achat des citadins. C’est aussi l’un des principaux viviers d’emplois et une source importante de revenus, notamment des femmes qui occupent une place majeure dans ce secteur. Néanmoins, du fait qu’elles soient surtout menées à très petite échelle, les activités de transformation ne sont souvent pas considérées comme apportant une valeur ajoutée significative et sont rarement prises en compte dans les politiques de développement. Le potentiel de ce secteur, à la fois pour la sécurité alimentaire et la valorisation des céréales, est pourtant considérable.
Caractéristiques du secteur de la transformation en Afrique de l’Ouest. La transformation recouvre une pluralité d’activités. Il faut distinguer les opérations de transformation qui relèvent de la prestation de service auprès des ménagères urbaines et rurales, pour la mouture (mil, maïs, sorgho) et le décorticage (riz, fonio, mil), du secteur de la production de produits transformés visant à satisfaire une demande urbaine croissante en produits semi finis (farine) ou finis (couscous, semoule, riz étuvé, etc.). Il y a aussi une distinction entre un sous secteur qui relève de l’artisanat et un autre de l’industrie.
En Afrique de l’Ouest, le secteur de la transformation est très largement dominé par le secteur artisanal de prestation de service ou de production. On estime que 75% des volumes sont transformés dans de petits ateliers artisanaux, 20% par le secteur semi-industriel (mini rizeries par exemple) et 5% par des unités industrielles. Par ailleurs dans cette région, la très grande majorité des activités agroalimentaires est menée par les femmes, détentrices des savoir-faire techniques de transformation et des compétences en matière de qualification des produits alimentaires.
Artisanat de prestation de service. Il s’agit de petites unités artisanales installées (i) en milieu rural : décortiqueuses à riz, à fonio (encore rares), moulin à céréales (mil, maïs, sorgho) et (ii) en milieu urbain : décortiqueurs et moulin à mil, maïs, sorgho. Les acteurs font appel à l’artisanat de service pour les opérations mécaniques et développent donc des liens privilégiés avec ces ateliers (négociation du prix du service, fourniture de riz paddy à crédit, etc.).
Une part de ces petites unités en milieu rural est communautaire, c’est à dire gérée par un groupement féminin ou une association villageoise. C’est le cas notamment des moulins à marteaux et à disques largement diffusés en Afrique de l’Ouest. Les décortiqueuses à riz sont plus souvent gérées par des artisans individuels. Les femmes étuveuses de Guinée travaillent également en prestation de service, pour des femmes collectrices qui payent pour cette première transformation du riz paddy.
Peu de chiffres sont disponibles sur ce secteur d’activités. En Guinée, on estime que quelques 1000 décortiqueuses à riz permettraient de décortiquer 30% environ de la production nationale. Au Burkina, le parc de moulins devrait permettre de traiter 600 000 tonnes mises en marché chaque année par les producteurs, sur une production moyenne de 4 millions de tonnes.
Artisanat de production. Le secteur de l’artisanat de production est constitué de petites unités individuelles, gérées par des femmes, le plus souvent en milieu urbain. Elles proposent des produits semi finis (farine de mil, de maïs, semoule) ou finis (couscous, riz étuvé, tô), et des plats cuisinés (restauration de rue). D’une façon générale, ce secteur constitue un vivier de savoir-faire et de compétences qui, s’il est soutenu, évolue en partie vers des entreprises de plus grande envergure (individuelles ou communautaires).
Ce sous secteur joue un rôle important dans l’alimentation des centres urbains. Il commence à s’organiser, comme au Sénégal où l’Association des professionnelles de l’alimentation pour la valorisation des produits locaux (Aproval) regroupe des microentreprises et des restauratrices. Il existe également dans d’autres pays des associations de restauratrices (association Ri noodo au Burkina, Association des femmes restauratrices du Bénin).
Des petites entreprises semi-industrielles. Ce secteur, regroupant des entreprises situées entre le secteur industriel et le secteur artisanal, se développe depuis une dizaine d’années. Il propose des produits finis ou semi-finis, de longue durée de conservation et conditionnés souvent en sachets. Les difficultés rencontrées par le secteur industriel, la demande croissante des consommateurs en produits moins chers liée à la baisse du pouvoir d’achat, le commerce des produits importés devenu moins lucratif et enfin le départ volontaire de fonctionnaires avec un petit capital ont sans doute favorisé l’émergence de ces entreprises de transformation de produits locaux.
Le niveau de formation de certains promoteurs et salariés, la mécanisation de certaines opérations et la présentation des produits (produits emballés) les rapprochent du secteur industriel. Les investissements en équipements sont cependant très variables, notamment dans la phase de création (entre 2 et 10 millions de francs CFA). Quelques opérations sont mécanisées (décorticage, mouture). Ces unités emploient une main d’oeuvre peu nombreuse et peu qualifiée, souvent familiale ou appartenant au réseau social de l’entrepreneur (de 2 à 20 employés).
Dans la filière riz, les rizeries semi-industrielles présentes dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, sont des rizeries modulaires. Leur débit horaire se situe entre 2 à 3 T/h ; elles comprennent plus de 2 décortiqueuses blanchisseurs en parallèle et sont équipées d’un système de manutention avec pesée automatique du paddy et du riz blanc. Leurs capacités potentielles de traitement annuel sont de d’ordre de 3000 à 5000 tonnes.
Un secteur industriel peu développé. Plusieurs tentatives de transformation industrielle des céréales sèches (mil, sorgho) se sont conclues par un arrêt de la production : farine et semoule de mil par les Moulins Sentenac, ou biscuit au mil par la Biscuiterie Wehbé au Sénégal par exemple.
On note tout de même l’existence de quelques rizeries industrielles, qui sont des installations dotées de machines spécifiques pour chacune des opérations nécessaires. Le débit horaire est souvent supérieur à 5 T/h en fonction du nombre de lignes d’usinage mises en parallèle, et la capacité annuelle est supérieure à 50 000 tonnes de paddy.
On retrouve également quelques provendiers industriels, qui souvent importent le maïs (cas au Sénégal) ; toutefois, il existe aussi des petites unités qui valorisent les céréales locales et les sous produits (sons, tourteaux, etc.).
Comment renforcer ce secteur ? Un des éléments clés de la définition de politiques d’appui au secteur des petites et micro activités agro-alimentaires et commerciales est le développement d’une offre de services adaptés aux spécificités et besoins aussi bien du secteur de la petite transformation qu’aux entreprises de plus grande taille, tous deux nécessaires pour répondre à une demande toujours croissante et diversifiée.
La formation. Un premier service essentiel est celui de la formation. Les « micro et petites entreprises » (MPE) de transformation disposent d’une main d’oeuvre peu qualifiée. Cela se ressent sur la qualité des produits. Des activités de formation continue sont dès lors indispensables. On peut citer à ce titre les nombreuses formations qui ont touché les femmes étuveuses de riz, en Guinée, au Mali, au Burkina, utiles aussi bien pour améliorer la qualité des produits que pour l’utilisation de matériels plus modernes. La formation de base est également un bon moyen pour professionnaliser le secteur, en incluant dans des formations de mécanique des enseignements sur les matériels de transformation agroalimentaire, ou encore dans les formations d’ingénieur des modules sur la conception de matériels adaptés aux produits locaux.
L’information. Des services d’information peuvent également être proposés. Ces informations sont de divers types, commercial, économique, fiscal et juridique : comment calculer le prix de la prestation, comment avoir accès à un crédit, quels avantages fiscaux obtenir des communes ? Les ONG d’appui ou des centres d’appui de type « business services » peuvent apporter ces informations. On citera par exemple les Maisons régionales de l’entrepreneur en Guinée. Toutefois, il faut garder en tête que ces services resteront subventionnés, en raison de la faible capacité financière des acteurs ciblés.
La recherche. La recherche peut aussi être d’un grand apport, en proposant des procédés et machines adaptés aux MPE de transformation. Cela doit se faire en associant divers types d’acteurs : les usagers bien sûr, mais aussi les entreprises de soudure et mécanique qui seront à même de répliquer les matériels. De nombreuses initiatives existent en Afrique de l’Ouest. Elles mériteraient d’être mieux connues et capitalisées au bénéfice des pays voisins.
Les services financiers. Enfin, le tableau des services aux MPE ne serait pas complet sans les services financiers. Des produits de crédit adaptés peuvent être proposés pour l’acquisition des matériels. Néanmoins, les IMF ont besoin de soutiens pour tenter l’aventure. Plusieurs pistes peuvent être explorées : création de sociétés de caution mutuelle, mise en place de lignes de crédits et fonds de garantie logés dans les IMF, fonds de bonification des intérêts, mise en place de systèmes de refinancement par des banques commerciales, assistance technique aux IMF, et appui à de nouveaux partenariats entre IMF et structures d’appui non financier.
Les expériences ayant été tentées. À partir de ces grandes lignes d’action, diverses voies ont été tentées. Dans plusieurs pays, comme le Sénégal, la Guinée, le Ghana, le Burkina, le secteur de la petite transformation a été appuyé à travers la combinaison d’actions de crédit, des formations au marketing, la diffusion de petits matériels et la formation d’associations professionnelles. Ces appuis ont pu toucher plusieurs centaines de MPE par pays. On assiste à la mise en place d’un réseau de services financiers et non financiers pour ces acteurs, poursuivant l’idée d’accompagner à terme l’émergence d’interprofessions. Certains pays ont opté pour la mise en place d’instituts technologiques, qui concentrent des ateliers de contrôle qualité et de formation, comme l’Institut de Technologie alimentaire du Sénégal, l’Ivoirienne de technologie tropicale (I2T) de Côte d’Ivoire, ou encore les centres GRATIS (Ghana regional appropriate technology industrial service) du Ghana. Ces derniers, au nombre de 9, sont décentralisés, contrairement aux centres des deux premiers pays, et permettent d’appuyer plus de MPE.
Avec la crise des prix des céréales importées qui a démarré en 2008, on constate aussi une relance des rizeries de moyenne taille dans plusieurs pays. Elles intègrent parfois des appuis aux producteurs via la fourniture d’intrants et de conseil, au Nigeria, au Ghana, au Bénin (dans ce dernier pays à travers les ESOP, entreprises de services aux OP). L’approche est ici verticale, de type filière.
Quels enseignements de ces expériences ? De ces quelques expériences, qui ont voulu appuyer le secteur de la transformation à différentes échelles et en mettant en place un set de services, on peut retenir quelques idées fortes additionnelles.
Il convient dans un premier temps de concentrer les appuis sur un set de techniques simples : matériel d’épierrage, aires de séchage cimentées, matériel d’ensachage pour pouvoir proposer de nouveaux formats aux consommateurs (sacs de 10 ou 25 kg). Ceci améliore déjà drastiquement la qualité des produits finis proposés, qui peuvent conquérir une clientèle urbaine ou semi urbaine.
Le secteur de la fortification (ajout de nutriments, présents ou non dans l’aliment naturel) est également porteur. L’UEMOA a établi des règles communautaires pour encourager ce secteur. De nombreux projets, au Sénégal, Burkina Faso, Niger et Mali, appuient des MPE de fortification des céréales (ENDA, Nutrifaso-Gret et Afrique Verte-Misola).
Les politiques d’appui au secteur de la transformation devront également porter une attention aux sources d’énergie. Les moulins bénéficiant d’une fourniture d’énergie électrique permettent de proposer des prestations moins chères que ceux fonctionnant avec des carburants fossiles, avec la hausse des prix de ces derniers. Une autre option est de développer des filières courtes d’agro-carburant alimentant de petits ateliers de transformation voire des plateformes multifonctionnelles.
Enfin, une dernière carte peut être clairement jouée : la conception et la diffusion de matériels de transformation locaux, adaptés à des productions spécifiques. On citera à ce titre la diffusion d’étuveuses améliorées pour le traitement du riz local, en Guinée et au Burkina, ou encore la conception de matériels spécifiques au fonio, au Burkina, en Guinée et au Mali, pays qui ont développé avec l’aide du Cirad des matériels de tri, décorticage et battage.
Pour finir, il faut ajouter que les interprofessions céréalières doivent être associées à la définition de ces politiques d’appui. Elles peuvent notamment aider à la diffusion de nouveaux matériels, recenser les demandes d’appui, et faire la promotion de nouveaux produits.
Étuvage du riz en Guinée
La très grande majorité du riz produit en Guinée est étuvé. L’étuvage consiste en une pré-cuisson à l’eau (méthode traditionnelle) ou à la vapeur (méthode améliorée) du paddy préalablement hydraté. Il est ensuite séché et décortiqué dans des ateliers de prestations de service. Cette opération traditionnelle en Guinée améliore le rendement du décorticage (diminution du taux de brisure, atténuation des effets d’un mauvais séchage) et la qualité nutritionnelle (migration de minéraux vers l’intérieur du grain). Elle a également une incidence sur les caractéristiques organoleptiques et sur la couleur du riz (jaunâtre). La durée de cuisson du riz étuvé est plus longue, mais le riz gonfle davantage et présente donc également selon les dires de consommateurs, un caractère économique. Ceci explique que le riz local (étuvé) est préféré des consommateurs guinéens malgré un prix plus élevé que le riz importé. L’étuvage se développe dans les pays voisins, notamment au Burkina Faso et au Bénin.
En Guinée, dans la zone de mangrove, le projet Riz BG financé par l’AFD et le projet Acorh (Amélioration des capacités des acteurs des filières riz et huile de palme) mené par le Gret et la MGE cherchent à diffuser une machine à étuver améliorée, qui présente plusieurs atouts : économies en bois (de 30%), réduction de la pénibilité et de la consommation d’eau, amélioration du rendement (gain de temps entre 35 et 70%) et de la qualité. Cet équipement rencontre toutefois des difficultés de diffusion parce qu’il est relativement cher (1,5 millions de GNF).
Les organisations de producteurs dans le secteur de la transformation
Certaines organisations de producteurs s’investissent dans la transformation, que ce soit au niveau de la prestation de service (achat de moulin ou de décortiqueurs) ou de la création de petites unités de transformation. L’absorption des fonctions aval des filières, si elle présente un intérêt certain pour les producteurs en termes d’amélioration de la commercialisation et de valorisation des produits agricoles, pose des questions dans des zones où des activités individuelles privées ou des petites entreprises existent déjà. En effet elle risque de faire perdre à ces acteurs leur source de revenus dans un contexte où les alternatives sont limitées, mais également de remettre en cause des progrès en terme d’insertion professionnelle et de reconnaissance sociale qui n’est pas la même quand les femmes transformatrices se retrouvent comme « simples » employées dans des unités crées par des OP.
La transformation est par ailleurs un métier à part entière et la création d’unités dans lesquelles les producteurs sont actionnaires peut poser des problèmes difficiles à résoudre. Ainsi la création d’unités de transformation du maïs au Sénégal, liées à des OP encadrées par la Sodefitex, a rapidement montré des limites en raison de conflits d’intérêts entre les producteurs qui pensaient vendre leur maïs plus cher à « leur » unité de transformation et être payé au comptant à la livraison, et les gérants des unités qui devaient gérer les difficultés de trésorerie et être compétitifs.
L’analyse de la chaine de valeur (identification des acteurs et des marges à chaque niveau), de l’impact de création d’activités de transformation sur l’ensemble du tissu social et économique par des OP doit être un préalable. Plutôt que s’investir dans des activités de transformation, les producteurs peuvent aussi envisager l’appui aux acteurs existants, ainsi que la concertation et la contractualisation avec les transformateurs.