En Afrique de l’Ouest, la demande en céréales explose, sous l’effet de l’accroissement démographique et du développement des villes. Si la production régionale est elle aussi en augmentation, elle reste toutefois insuffisante, surtout concernant le riz et le blé.
Une place variable des céréales dans les régimes alimentaires. Les céréales occupent une place importante dans l’alimentation des ménages en Afrique de l’Ouest. Chaque année, la région consomme de 62 à 65 millions de tonnes de céréales. Ces chiffres masquent cependant de grandes disparités à la fois dans les proportions et dans les amylacés consommés.
On peut distinguer deux principaux régimes alimentaires en Afrique de l’Ouest : – Les pays à dominance céréalière allant du Niger à la Guinée. Dans ce bassin, on retrouve les pays à dominance sorgho-mil (Burkina Faso, Gambie, Mali, Niger), et ceux à dominance riz (Guinée, Guinée Bissau, Sénégal, Sierra Leone). La consommation céréalière de cette zone est en moyenne de 220 kg/hab/an et les céréales représentent environ deux tiers des apports caloriques. La part des céréales locales dans le volume total des céréales consommées dépasse souvent 60%, et peut atteindre 70 à 80% dans certains pays (Niger, Mali). – Les pays à double régime racines et tubercules, et céréales, allant du Nigeria à la Côte d’Ivoire. Dans la plupart de ces pays, le manioc domine la consommation avec, en deuxième niveau, l’igname (sauf pour la Côte d’Ivoire où l’igname est préférée au manioc). Le plantain est consommé en quantité en Côte d’Ivoire et au Ghana. Les céréales (riz ou maïs) sont consommées au moins à hauteur de 85 kg/pers/an, avec une contribution en termes d’apports caloriques inférieure à 50%.
Une consommation céréalière en nette croissance, avec une forte tension sur le riz. La demande alimentaire de la population ouest africaine est de plus en plus focalisée sur les céréales. La consommation céréalière a triplé en moins de 30 ans, pendant que la population ouest africaine a été multipliée par 2,5. Cette hausse est principalement imputable à l’augmentation de la consommation du riz, du maïs et du blé. La part du riz est de plus en plus importante dans la consommation céréalière des pays ouest africains, avec une augmentation de la demande de 6% par an. La consommation de maïs et des produits dérivés du blé connaît une évolution similaire, avec une augmentation de la demande par tête. Cette hausse de la demande en riz et en maïs s’est faite au détriment du mil et du sorgho.
Disponibilités céréalières cumulées de l’Afrique de l’Ouest
Un marché segmenté… La consommation des produits céréaliers recouvre différentes formes de valorisation des produits de base, traduisant une segmentation du marché. On peut distinguer quatre grandes utilisations des céréales : – les céréales produites et autoconsommées par les ménages ruraux sur les lieux de production ; – les céréales commercialisées à des fins de consommation alimentaire sur les marchés locaux, nationaux et sous régionaux ; – les céréales destinées à la transformation artisanale (bière traditionnelle, produits céréaliers transformés) ; – les céréales destinées à l’industrie de transformation (industries brassicoles, production industrielle d’aliments du bétail).
Le marché de chaque céréale est également segmenté. Par exemple, le marché du riz fait la distinction entre les riz importés et les riz locaux. Au sein de chacune de ces deux origines, les consommateurs expriment des préférences pour différentes qualités : grain long ou rond, entier ou brisé, étuvé ou non, parfumé ou non, etc. Pour le maïs, on distingue l’usage pour la consommation humaine (maïs blanc) de l’usage pour l’aliment de bétail (maïs jaune), et celui destiné aux brasseries.
La consommation rurale et l’autoconsommation restent prépondérantes. Les deux tiers de la production sont absorbés par les campagnes et les produits sont en grande partie autoconsommés. Toutefois, les marchés urbains, en développement rapide, absorbent environ 20% du mil et du sorgho, 40% du maïs, deux tiers du riz, et une part importante du blé (pain, pâtes). La consommation du mil et du sorgho reste essentiellement localisée en milieu rural, leur consommation dans les villes ayant régressé au profit du riz et du maïs.
Dans le bassin côtier, l’industrie d’aliments du bétail prend de plus en plus d’importance avec le développement des filières de production de volailles et de porcs dans les zones périurbaines. Au Nigeria par exemple, la demande de maïs par l’industrie agroalimentaire et le secteur de l’alimentation des volailles est en constante augmentation. Elle portait sur 1,3 millions de tonnes en 2009, soit près de 20% de la récolte.
… en forte mutation, sous l’effet de l’urbanisation. L’Afrique subsaharienne n’a pas achevé sa transition démographique. Le taux de croissance de sa population restera élevé encore au moins une ou deux décennies. La population urbaine de l’Afrique de l’Ouest, qui représentait seulement 10% de la population totale en 1950, a atteint presque le tiers de la population en 1990 et devrait en constituer plus de la moitié en 2030.
Cette urbanisation s’accompagne d’une évolution des habitudes et des styles alimentaires, avec notamment un accroissement de la demande en produits transformés, plus rapides et faciles à préparer et une augmentation de la consommation collective ou de rue. Ces phénomènes consolident la place du blé (pain, pâtes alimentaires) et du riz, au détriment des céréales traditionnelles. Par ailleurs, le recours aux importations disponibles sur les marchés internationaux (riz, blé et dans une moindre mesure maïs) dans les grandes villes côtières (cf. ci-dessous) a modifié en profondeur les styles alimentaires. Même si elle progresse rapidement, la pénétration des produits locaux artisanaux et semi-industriels (couscous, farine sèche de mil en sachet, etc.) reste timide.
L’amélioration du pouvoir d’achat de certains consommateurs affecte également la demande, avec une exigence supérieure sur la qualité des produits céréaliers (sanitaire et organoleptique), la régularité d’approvisionnement et le conditionnement des produits.
La demande céréalière est ainsi en pleine mutation, sous l’effet conjugué de l’augmentation très rapide de la population, des mutations des habitudes alimentaires, et de l’augmentation de la demande agro-alimentaire et de l’alimentation animale.
Une demande supérieure à l’offre locale : des importations nécessaires. La production céréalière régionale a fortement augmenté, mais pas aussi vite que la demande. Deux produits traduisent un « décalage » structurel croissant entre ce que la région produit et ce qu’elle consomme : le blé, qui représente 8% de la demande céréalière alors que la production régionale est quasi nulle ; le riz, pour lequel la croissance de la demande est nettement supérieure à la croissance de la production de paddy. Ces déficits sont comblés par des approvisionnements extérieurs, essentiellement constitués par des achats, mais comportant aussi quelques centaines de milliers de tonnes d’aides alimentaires.
Des importations en hausse, concentrées sur le riz et le blé, à l’état brut. Les importations alimentaires, qui somme toute occupent une place limitée en Afrique de l’Ouest, sont surtout concentrées sur les céréales : 40% des importations agroalimentaires de l’Afrique de l’Ouest sont des céréales. La région importe chaque année de l’ordre de 13 millions de tonnes de céréales et produits céréaliers, ce qui représente une valeur d’environ 1600 milliards de FCFA en 2007.
Les importations couvrent 21% des besoins céréaliers régionaux, avec une dépendance très marquée pour le riz (part des importations supérieure à 45%) et le blé (98%). Le blé (et farine) représente 37% des importations en céréales et le riz (et brisures) 49%. Sur la période 1980-2007, pendant que la production régionale triplait, les importations de céréales ont été multipliées par 2,7. Le taux global de couverture des besoins céréaliers par la production régionale s’est donc amélioré légèrement, passant de 77 à 79% au cours de la même période. Concernant le riz, alors que la demande a été multipliée par 2,8 sur la période 1980-2008, les importations ont été multipliées par plus de 3.
Ces importations portent principalement (86%) sur des céréales brutes ou peu transformées (blé et farine de blé, riz usiné, riz brisé, un peu de maïs) et dans une moindre mesure sur des préparations à base de céréales (pâtes alimentaires, biscuits, malt pour les brasseries, etc.). L’analyse de la structure des importations de chaque pays montre une très grande diversité à cet égard, liée notamment à l’existence des moulins (pour la transformation du blé en farine) et d’industries de transformation des céréales.
Des importations dominées par le Nigeria. Le Nigeria, principal producteur régional, est aussi le premier importateur. À lui seul, il représente 31% des importations, surtout constituées de riz et de blé. Derrière le Nigeria, le Sénégal et la Côte d’Ivoire représentent chacun 14% des achats extérieurs de la région. Le Sénégal importe de l’ordre d’un million de tonnes de riz, essentiellement sous forme de brisures. En Côte d’Ivoire et au Sénégal, plus de la moitié des céréales consommées sont importées.
Des importations encouragées par des facteurs internationaux et régionaux. Les importations de riz et de blé ont été encouragées par deux facteurs internationaux majeurs : une stabilité remarquable des prix de ces denrées sur les marchés mondiaux, qui se répercutait sur les prix à la consommation en Afrique de l’Ouest ; et des niveaux de prix très bas, en raison des politiques d’exportation des fournisseurs de l’Afrique.
Ces facteurs internationaux se sont combinés avec des facteurs régionaux pour expliquer la forte pénétration des céréales importées dans les régimes alimentaires : les famines dans le Sahel en 1973 et en 1984-85, qui ont nécessité de recourir aux importations commerciales et à l’aide alimentaire, et qui ont renforcé l’ouverture du marché régional aux importations ; le démantèlement des protections aux frontières ; l’évolution des modes de vie et en particulier l’urbanisation croissante qui influe sur les régimes alimentaires.
Un risque de dépendance accrue des États et des populations pauvres au marché mondial. La difficulté pour le secteur productif de faire face notamment à la demande croissante en riz se traduit par un risque de forte dépendance au marché, qui est particulièrement élevé pour : – les populations urbaines qui doivent acheter leur nourriture. L’accroissement de la production sera absorbée en priorité par les populations rurales qui auront du mal à couvrir l’augmentation des besoins liée à la croissance démographique (impact sur le développement du marché rural) ; – les pays fortement consommateurs de riz (et très déficitaires) qui seront dans l’incapacité de couvrir les besoins par l’offre nationale et même régionale (Sénégal par exemple). Cette dépendance au marché est problématique étant donné les menaces qui pèsent sur les disponibilités sur le marché international en raison de : – l’évolution de l’offre et de la demande alimentaire au niveau mondial ; – la très grande volatilité des cours mondiaux avec des impacts négatifs sur la sécurité alimentaire ; – les aléas et risques climatiques qui entraînent une diminution de la production mondiale et surtout des volumes commercialisés (qui sont des excédents) ; – les tensions liées à l’accès aux ressources naturelles avec une concurrence sur les usages (croissance des agrocarburants).
Des perspectives d’évolution de la demande difficiles à préciser. La demande céréalière devrait croitre de 3 à 4% par an, pour avoisiner 125 millions de tonnes en 2030, et pourrait être encore supérieure selon l’importance prise par les productions animales dans les systèmes alimentaires et le développement de nouvelles utilisations, telles que les agrocarburants. Trois facteurs continueront de peser sur la demande : la croissance démographique galopante, la forte urbanisation, et le pouvoir d’achat qui restera globalement faible.
Les filières céréalières locales devront s’adapter aux demandes des consommateurs, en fonction des usages des céréales et en fonction de la différenciation des revenus des consommateurs.
Pour cela, plusieurs chantiers sont à privilégier : la régularité de l’offre, la conquête du marché par les produits transformés, la qualité des produits sur les plans organoleptique et sanitaire, leur mode de présentation, la diversité des produits offerts, l’efficacité et la couverture du réseau de distribution, et évidemment le prix des produits locaux par rapport aux produits importés.
L’Afrique de l’Ouest dans l’économie mondiale des céréales
L’Afrique de l’Ouest a une place mineure dans la production et le commerce mondial de céréales : elle ne représente que 3% de l’offre mondiale, ses exportations sont quasi nulles, et ses importations représentent 5% des échanges mondiaux. Sauf concernant le riz… puisque la Cedeao représente 25% des importations mondiales de riz.
L’Afrique de l’Ouest présente des spécificités dans le commerce mondial des céréales. D’abord il n’existe pas de véritable marché mondial du mil. Ensuite une grande partie de la production régionale est « non échangeable » sur les marchés mondiaux, en raison de problème de normalisation des produits. Enfin la région subit les prix mondiaux et n’est pas en mesure de les influencer : à ce titre on la qualifie de « price taker ».
Cet article a été rédigé sur la base de plusieurs documents :
- Les cultures vivrières pluviales en Afrique de l’Ouest et du Centre : Éléments d’analyse et propositions pour l’action, AFD-Cirad- Fida, mai 2011 ;
- Notes du séminaire régional sur le développement des filières céréalières en Afrique de l’Ouest, Roppa- SOS Faim, novembre 2010 ;
- Crise rizicole de 2008 : chocs et nouveaux enjeux, Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest, juin 2011 ;
- Étude sur la consommation alimentaire en Afrique de l’Ouest, ReSkass, août 2011 ;
- Étude prospective sur les mesures de protection nécessaires pour le développement du secteur agricole en Afrique de l’Ouest, Gret, octobre 2008.