Parmi les multiples défis qui ont été évoqués dans ce dossier, pour nourrir la population croissante en Afrique de l’Ouest et parvenir à une forme de souveraineté alimentaire, trois semblent revêtir une importance cruciale : l’intensification de la production, l’intégration régionale, et la transformation des céréales locales.
En Afrique de l’Ouest, pour simplement nourrir l’ensemble de la population à venir, il faudra doubler la production céréalière d’ici 2030, pour atteindre 125 millions de tonnes.
L’indispensable intensification durable pour doubler la production sans mettre à mal les ressources. Le modèle de croissance de l’offre par extension des surfaces qui a prévalu depuis 25 ans ne peut plus être reproduit en raison de la pression foncière, de la dégradation écologique, du conflit d’usage des terres marginales avec les pasteurs et de la paupérisation de la main d’oeuvre agricole qu’il induit. Les perspectives des marchés mondiaux restent par ailleurs incertaines.
La région doit par conséquent réussir l’intensification de ses systèmes de production céréalière pour parvenir à réduire sa dépendance extérieure et réaliser son ambition de souveraineté alimentaire, tout en préservant son potentiel agronomique et son capital en ressources naturelles. Si la demande privilégie le maïs et le riz, la région ne doit pas oublier que le sorgho et le mil resteront des céréales stratégiques au regard des régimes alimentaires et compte tenu des contraintes de production que rencontrent une majorité de petits producteurs dans les zones sèches.
Sans amélioration des rendements et en maintenant au niveau actuel le taux de dépendance à l’égard des importations en 2030, il faudrait doubler les surfaces consacrées aux céréales : de 45 à 90 millions d’ha. Pour couvrir les besoins sans augmenter les surfaces, il faudra parvenir à une amélioration de la productivité moyenne à l’hectare de plus de 80%.
Cette intensification n’emprunte pas les mêmes itinéraires techniques selon les structures d’exploitation et les contextes agroécologiques. Par conséquent, les pouvoirs publics et les institutions doivent travailler avec les OP sur les réponses adaptées aux différents contextes. La recherche-développement est fortement sollicitée, mais elle ne pourra produire des résultats visibles sans réformer ses modalités de travail avec les communautés d’agriculteurs.
L’indispensable intégration pour développer les échanges au sein d’une région plus forte face à l’extérieur. Les marchés locaux s’inscrivent dans un ensemble régional relativement ouvert, et fortement connecté au niveau international. Dans ce contexte, les enjeux pour l’avenir sont les suivants :
- Réussir l’intégration régionale du marché de façon à ce que l’offre et la demande s’ajustent au mieux et que les complémentarités entre les bassins de production et de consommation jouent à plein. La libéralisation du marché intérieur implique de travailler dans plusieurs directions : l’harmonisation fiscale (notamment de la TVA) entre les pays sur les céréales, la suppression effective des taxes informelles sur les échanges, la normalisation des produits céréaliers ;
- Maîtriser la relation de la région avec le marché mondial. Celui-ci est tantôt un facteur d’instabilité en raison de la volatilité des prix sur les marchés mondiaux, et tantôt un facteur de stabilisation lorsque les déficits régionaux nécessitent des importations, pour revenir à un équilibre du marché.
La structuration des filières céréalières est également un enjeu très important. Considérés comme des structures de concertation, les dispositifs interprofesionnels sont encore peu envisagés comme des espaces de contractualisation entre les acteurs (gestion de l’offre, normes, contractualisation). Ils ne sont pas non plus conçus comme des dispositifs permettant d’assurer une régulation collective du marché.
Enfin, l’issue de plusieurs négociations internationales sera déterminante pour la relance des filières céréalières en Afrique de l’Ouest, telles que la négociation à l’OMC, la négociation de l’APE et la mise en œuvre effective des engagements de la communauté internationale dans le domaine de la sécurité alimentaire.
L’indispensable transformation locale pour s’adapter à une demande changeante. Relever le défi de répondre à la demande croissante n’implique pas seulement de soutenir les efforts dans le domaine de la production. L’un des principaux enjeux concerne l’adaptation des filières aux demandes des consommateurs. Cette demande se segmente en fonction des usages des céréales et en fonction de la différenciation des revenus des consommateurs, et notamment à la faveur de l’émergence d’une véritable classe moyenne. Dans les pays à forte population comme le Nigeria, et dans une moindre mesure le Ghana et la Côte d’Ivoire, et le Sénégal, cette classe moyenne est en voie de représenter un marché considérable, mais plus exigeant. La transformation des céréales est une des clés de la souveraineté alimentaire d’une région en voie d’urbanisation rapide.
Conclusion. La céréaliculture ouest africaine a besoin de politiques cohérentes aux niveaux national et régional. Elles doivent traiter l’ensemble des enjeux, depuis la production jusqu’à la consommation. Des efforts importants doivent être consentis dans la régulation du marché national et régional, et dans la maîtrise de l’instabilité des prix des produits importés, de façon à sécuriser l’investissement économique des producteurs. Il faut aussi que des dispositifs institutionnels pérennes, maîtrisés par les producteurs et leurs organisations, soient mis en place pour assurer le financement de la modernisation des systèmes d’exploitation. Enfin, les politiques et instruments de politique doivent parvenir à toucher une large majorité de producteurs.
Le contenu de cet article s’appuie principalement sur les notes rédigées par Roger Blein et Bio Goura Soulé, dans le cadre du séminaire régional sur le développement des filières céréalières en Afrique de l’Ouest (Roppa / SOS Faim, novembre 2010).