Au Mali, les céréales constituent la part principale de la production agricole et restent faiblement commercialisées. Tendances d’évolutions des systèmes de production céréaliers en zone cotonnière et en zone Office du Niger.
Au cours de ces vingt dernières années, le monde rural malien semble avoir profondément changé, avec la monétarisation de l’économie, les investissements publics dans l’éducation et la santé, et la mise en oeuvre de la décentralisation. Qu’en est-il des systèmes de production des exploitations agricoles ? Ont-ils beaucoup évolué ?
Des exploitations agricoles familiales toujours plus petites, centrées sur les céréales. Le secteur agricole du Mali est constitué, dans sa base productive, presque exclusivement d’exploitations agricoles familiales. En 2004, le recensement général de l’agriculture (RGA) dénombrait environ 800 000 exploitations agricoles, pour une population concernée de près de 9 millions, soit 78% de la population totale. Les grandes entreprises agricoles de type capitaliste restent rares, même si les politiques menées depuis le début des années 2000 tendent à les promouvoir, notamment dans la zone irriguée de l’Office du Niger et autour de Bamako.
Les tailles des exploitations agricoles sont globalement faibles (en moyenne 4,7 ha ; soit 0,43 ha par personne), la surface moyenne cultivée par personne étant inférieure au Nord qu’au Sud du pays (de 0,5 ha/pers à Sikasso à 0,2 ha/pers au nord du pays). Les surfaces sont essentiellement cultivées en céréales (72%).
Une économie de subsistance : 15 % des céréales sont mises en marché. Dans toutes les régions du pays, la stratégie des chefs d’exploitation en termes de production céréalière vise avant tout l’autosuffisance. Ainsi, seule une faible part de la production céréalière est commercialisée. L’étude RuralStruc note que moins de 15% des céréales sont mises en marché, à l’exception du riz dans la zone de l’Office du Niger (57%). Une part conséquente des exploitations agricoles ne commercialise aucune céréale : 45% à Diéma, 85% à Tominian, et même dans la zone Office du Niger, avec 25% à Macina.
La recherche de l’autosuffisance céréalière n’empêche pas l’adoption d’innovations par les exploitants pour s’adapter aux conditions climatiques ou aux évolutions de marché. Les producteurs adoptent de plus en plus des variétés précoces et résistantes à la sécheresse. Si l’adoption de nouvelles variétés concernait auparavant surtout le coton et le maïs, elle s’étend aujourd’hui au niébé, mil et sorgho. Pour faire face à la crise cotonnière, et au-delà pour s’insérer dans les marchés et dégager des revenus monétaires, les producteurs se sont par ailleurs diversifiés vers des cultures facilement commercialisables (comme le niébé, riz, maïs et sésame).
La production céréalière est également en nette croissance. Les surfaces cultivées en céréales ont par exemple augmenté de 16% entre 2006 et 2010 dans les cercles de Banamba, Dioila et Koulikoro, où des suivis ont été effectués dans des villages témoins. Cette augmentation de la superficie moyenne cultivée a été gagnée sur les jachères.
Un des freins majeurs au développement de la production céréalière (mil et sorgho) reste certainement la forte variabilité des prix. La forte variabilité interannuelle, liée essentiellement aux aléas climatiques, gomme le cycle saisonnier attendu, qui devrait permettre d’assurer la rémunération du stockage. Avec de telles variations les risques sont très élevés, ce qui explique en grande partie les faibles investissements sur ces filières céréalières et une organisation qui reste « traditionnelle », avec un faible niveau de création de valeur ajoutée.
Produit brut agricole de quatre zones du Mali
Les enquêtes menées en 2007 dans le cadre du programme RuralStruc permettent d’avoir, pour 4 zones du Mali, la composition du produit brut moyen. Celle-ci ne reflète qu’en partie seulement l’assolement, car les productivités et les prix génèrent quelques écarts. Dans les 4 zones, les céréales représentent au moins 60% du produit brut.
Pour la zone de Macina (dans l’Office du Niger), le produit brut agricole dépend presque exclusivement du riz (78%) et de l’échalote (18%). À Koutiala, en zone cotonnière, une part conséquente du produit brut est constituée avec le maïs (15%) ; le coton occupe une place encore importante (27%) même si les superficies cultivées ont baissé par rapport aux années précédentes ; le reste est constitué par le mil (22%) et le sorgho (24%). Le mil et le sorgho représentent une part importante du produit brut à Diéma (75%) et à Tominian (60%). Les légumineuses occupent une part importante dans les systèmes pluviaux (21% à Tominian, 18% à Diéma et 7% à Koutiala). Le fonio constitue une part importante du produit brut à Tominian (12%).
Les producteurs n’ont recours à des consommations intermédiaires que sur les cultures de riz, d’échalote et de coton. À ces cultures il faut ajouter le maïs en zone cotonnière, mais à un degré moindre. Pour les autres cultures, les intrants sont limités aux semences le plus souvent autoproduites, et quelques poignées d’engrais. Il faut y ajouter un peu de travail extérieur pour quelques exploitations. Les charges sont donc très faibles, mais les productivités, aussi avec des marges nettes qui varient de 47 000 FCFA/ha à 176 000 FCFA/ha, et de 52 000 FCFA à 161 000 FCFA par actif présent dans l’exploitation.
Stagnation des rendements des principales cultures, le mil et le sorgho. Les rendements des principales cultures (mil et sorgho) ont très faiblement évolué au cours des 30 dernières années. Seuls les rendements du riz et dans une moindre mesure du maïs ont enregistré une progression sensible.
Cette absence de progression pour les deux cultures les plus pratiquées au Mali peut s’expliquer par le fait que peu d’innovations utiles aux producteurs aient été mises au point pour ces cultures, en dehors de nouvelles variétés résistantes à la sècheresse, qui jusqu’à ces dernières années se sont peu diffusées. En 2004, seulement 20% des exploitations avaient accès aux semences améliorées, 45% de la superficie cultivée ne bénéficiait d’aucune fertilisation et 80% des exploitations n’avait pas accès au crédit.
Évolution des systèmes de culture de la zone cotonnière et impact sur la production céréalière.
Des céréales qui bénéficiaient du système coton. Dans la zone Sud du Mali, les systèmes de cultures sont divers. Les systèmes qui intègrent coton et céréales constituent le moteur de toutes les exploitations, avec plus de 80% de l’assolement. La production en continu de riz (bas-fond ou pluvial) reste une culture marginale (0,5 ha par exploitation), mais participe à la diversification des cultures.
Parmi les systèmes de culture pratiqués, le système coton-maïs est de loin le plus intensifié du pays avec un recours important aux intrants. En dehors du coton, c’est la culture du maïs qui reçoit prioritairement l’engrais. Par ailleurs, l’engrais et la fumure organique ne sont pas systématiquement épandus de manière homogène sur toute la surface de la parcelle : les producteurs font souvent des apports localisés en fonction de la connaissance qu’ils ont de la fertilité de leur parcelle.
Les jachères se réduisent mais la fertilité des sols est entretenue. Sur le plan de l’utilisation agricole des terres, la durée de la période de jachère a baissé, et cette pratique a même disparu dans certains agro-systèmes villageois. La disparition progressive de la jachère depuis une vingtaine d’années n’est pas liée à la rareté des terres, mais à la généralisation des pratiques du labour en traction animale, de production de fumure organique et de fertilisation, qui ont conduit les paysans à adopter la culture permanente pour valoriser les investissements de défrichage et de nettoyage des terres, et d’entretien de la fertilité. Ainsi l’âge moyen des champs a augmenté et on rencontre des parcelles cultivées depuis plus de 30 ans maintenant. Il se trouve que ces vieilles parcelles sont souvent les plus productives, comme le montrent les résultats d’une enquête faite par l’Institut d’économie rurale (IER) dans 3 villages de la région de Sikasso. Ceci est lié à la production et l’utilisation de fumure organique (fumier et compost) qui s’est largement diffusée auprès des producteurs après des opérations de vulgarisation menées par la CMDT dans les années 80 et 90.
Quelque soit le mode d’occupation de l’espace, les meilleures marges à l’hectare sont obtenues sur les parcelles les plus anciennes. À Dentiola, village du vieux bassin, où la saturation de l’espace est plus poussée, les marges obtenues sur le coton et le maïs sur des parcelles de plus de 15 ans sont deux fois supérieures à celles obtenues sur les parcelles récemment mises en cultures. Les marges évoluent dans le même sens sur les parcelles de sorgho et de mil. Ces écarts sont liés au fait que les parcelles plus récemment mises en culture sont très souvent les moins « bonnes ». Mais aussi à l’effet d’accumulation de la fumure organique, et des pratiques agricoles en termes de rotation des cultures et d’association céréales-légumineuses sur les parcelles les plus anciennes.
Crise cotonnière et évolution des assolements. L’évolution des systèmes de cultures dans le Sud du Mali est liée en grande partie à la crise cotonnière qui, pour les producteurs, a débuté en 2005 avec une baisse du prix du coton graine de 24%. La production en coton est passée de 620 000 tonnes en 2004/05 à moins de 200 000 tonnes en 2008/09. Les estimations pour 2010/11 sont de l’ordre de 300 000 tonnes.
Les exploitations ont réagi avec un temps de retard à cette baisse des prix ; les plus fragiles ont arrêté le coton, alors que d’autres ont augmenté leur surface pour tenter de compenser la baisse du prix, mais en réduisant la quantité d’intrants monétaires (engrais, pesticides). Cette situation a conduit à une chute des rendements coton et maïs, rendant ces cultures encore moins rentables. L’exemple du cercle de Kolondièba (cf. graphique 1) situé dans la région de Sikasso illustre l’évolution commune entre coton et maïs, déjà démontrée en zone cotonnière au Mali.
Au final, aucune culture n’a vraiment remplacé le coton, ce dernier ayant entrainé dans sa chute le maïs. Les producteurs ont fait évoluer leur assolement en augmentant les cultures de céréales sèches et d’arachide, sans qu’elles ne remplacent en totalité les superficies du couple coton-maïs. On note cependant dans certaine zones le développement de sésame, pois sucré et soja.
Morcellement des exploitations et intensification en zone Office du Niger. Depuis la période coloniale, la zone irriguée de l’Office du Niger concentre les investissements publics agricoles dévolus à l’augmentation ou à la réhabilitation des superficies irriguées. L’évolution des productions dans cette zone est marquée par une réduction progressive des superficies cultivées par exploitation sous l’effet à la fois de l’augmentation de la population (croissance démographique et arrivée de migrants), mais aussi des politiques menées qui visaient à une réduction des superficies attribuées par famille pour « pousser » à l’intensification agricole (cf. graphique 2). Les exploitations ont ainsi intensifié le système en augmentant la production par unité de surface. Cette intensification se traduit à la fois par le développement de la double culture du riz (base de la sécurité alimentaire des familles) et par le développement des cultures maraichères, en particulier de l’échalote (pour la vente). Les pratiques de fertilisation sont cependant liées à la capacité financière des exploitations : les grandes exploitations se rapprochent des doses recommandées, alors que des doses plus faibles sont apportées par les plus petites exploitations et notamment par les producteurs qui n’ont pas de terre aménagée attribuée par l’Office du Niger et qui doivent louer la terre ou cultiver sur des terres hors casiers.
Conclusion : l’importance des investissements. Les filières céréales sèches font l’objet de peu d’investissements. Il devient urgent de mettre en place un environnement favorable aux exploitations agricoles familiales, afin qu’elles augmentent les productions vivrières à destination d’un marché domestique élargi à la sous région et avec des prix à la production suffisamment rémunérateurs. Les investissements dans l’aménagement foncier et dans les équipements permettraient de mieux maitriser l’eau et la fertilité du sol, pour assurer des améliorations durables de la productivité. Ces améliorations au niveau de la production doivent être accompagnées par le développement des filières (regroupement de l’offre, amélioration de la qualité, normes, transformations, innovations pour s’adapter à la demande) avec des incitations aux investissements privés et/ou collectifs, et des innovations technologiques pour fournir des produits capables de répondre aux besoins des consommateurs urbains.
Au Niger, le dispositif d’accès au crédit et de commercialisation groupée mis en place par la Fucopri
Créée en 2001, la Fédération des coopératives de producteurs de riz du Niger (Fucopri) fédère 9 unions regroupant 37 coopératives qui représentent 21 000 exploitations agricoles actives sur les périmètres irriguées de la vallée du fleuve Niger.
Depuis 2003, à chaque campagne, la fédération vend à l’État nigérien environ 20% de sa production de paddy (entre 6 000 et 7 000 tonnes) à un prix garanti négocié, qui tient compte à la fois du marché et des coûts de production. Cette commercialisation groupée à l’Office des Produits Vivriers du Niger (OPVN) permet aux producteurs de payer leur forfait redevance (eau, électricité, etc.) en nature, sous forme de paddy.
Depuis 2008, la Fucopri a intégré, à côté de ce mécanisme de commercialisation groupée, une composante « financement des intrants » pour ses coopératives répondant à des critères de bonne gestion. Une fois le contrat signé avec l’OPVN, et donc le montant de la commande fixé, la Fucopri signe un contrat de crédit auprès d’une banque, en début de campagne et pour une durée de 4 mois. Le contrat entre l’OPVN et la Fucopri sécurise le crédit bancaire. Les fonds permettent de livrer les coopératives en engrais (entre 3 000 et 4 000 tonnes par campagne). À la récolte, les coopératives remboursent le prêt en nature sous forme de paddy livré à l’OPVN. Sur les deux campagnes agricoles de 2010, plus de 80% des besoins en engrais ont été couverts grâce à ce mécanisme. Le prix du sac d’engrais au producteur est réduit dans la mesure où la marge perçue par sac par la Fucopri est de seulement 1000 FCFA (contre 5000 FCFA chez les commerçants).Source : Dynamiques paysannes nº25, SOS Faim, juillet 2011