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Ceci est un article de la publication "58 : Valorisation des produits locaux : face aux défis, une diversité de solutions", publiée le 24 juin 2012.

Introduction aux enjeux de valorisation des produits locaux en Afrique de l’Ouest

Fanny Grandval/Patrick Delmas/Cécile Broutin

Produits locauxAgroalimentaire - Agroindustrie

Si le fort potentiel de contribution de l’agro-alimentaire au développement économique et social a été démontré, ce secteur demeure confronté à de nombreuses contraintes aussi bien techniques que liées à l’environnement des services nécessaires à son essor. Autant de défis à relever pour valoriser les produits locaux.

La part des produits locaux et régionaux dans la consommation urbaine des pays ouestafricains est importante, et le panier de la ménagère dans cette région est suffisamment diversifié pour constituer un potentiel important pour le développement d’une grande variété de filières agricoles (cf. article page 5). De plus, malgré de faibles appuis de la part des politiques publiques, l’agriculture et l’agro-alimentaire parviennent à répondre partiellement à l’accroissement de la demande de consommateurs urbains (cf. article page 8) toujours plus variée et exigeante (qualité, origine, praticité, goût pour la diversité, etc.).
Pourtant, le secteur de la transformation agricole est aujourd’hui confronté à de nombreux défis d’ordres technique, organisationnel, commercial ainsi qu’aux contraintes liées à l’environnement des services indispensables à son essor.

Des défis techniques et des compétences à renforcer. Un des principaux défis est la qualité sanitaire des produits mis en marché, handicap majeur des produits locaux (cf. encadré page 8). L’amélioration des bonnes pratiques d’hygiène de transformation, mais aussi l’assurance d’une matière première de qualité (comme le dit l’expression populaire : « la qualité d’un produit commence dans le champ ») sont deux voies explorées aujourd’hui pour satisfaire les attentes et limiter les risques pour le consommateur.
Autre défi : l’amélioration de la productivité des activités de transformation, notamment par l’adoption de technologies améliorées capables d’atténuer la pénibilité des opérations et d’introduire des innovations dans les procédés et les produits. Dans cette optique, il importe de développer la production locale de matériels de transformation et des services d’entretien et de maintenance de ces équipements tout en améliorant aussi l’accès aux pièces détachées.
La présentation des produits locaux constitue un autre frein important à leur adoption par les consommateurs, principalement urbains, qui ont tendance à comparer les emballages à ceux des produits manufacturés importés. Le manque d’offres d’emballages et d’étiquetages de qualité à des coûts acceptables est un obstacle souvent évoqué par les acteurs des micro et petites entreprises agroalimentaires (MPEA).

Un besoin d’organisation et de dialogue entre acteurs impliqués. L’organisation des professionnels du secteur de l’agro-alimentaire au sein de filières et d’interprofessions permet d’une part de faciliter l’approvisionnement au travers d’accords entre acteurs de la filière (contractualisation par exemple), de dialoguer sur les prix d’achat entre producteurs et transformateurs, mais également de mutualiser des moyens de production et des forces pour le plaidoyer auprès des politiques. Aujourd’hui le dialogue entre représentants de producteurs et les MPEA est plutôt rare et constitue un moyen d’améliorer le fonctionnement des chaînes de valeur. Le dialogue avec les commerçants, acteurs clés pour l’approvisionnement des bassins de consommation, est aussi à améliorer.
Il en va de même concernant le lien entre le secteur productif et de transformation agro-alimentaire d’une part, et les représentants des consommateurs d’autre part. Dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, des associations de consommateurs se renforcent. Il existe quelques dynamiques visant à rapprocher les consommateurs et les producteurs agricoles sur la question du « manger local ». Au Sénégal, l’Union nationale des consommateurs sénégalais (UNCS) s’intéresse à ces questions. De même en Guinée où le Conseil national des organisations de la société civile de Guinée (CNOSC) est un acteur important pour ce dialogue. Au Cameroun, l’Association citoyenne de défense des intérêts collectifs (Acdic) s’est mobilisée sur la question de l’importation de poulets en lien avec les producteurs locaux. Au Burkina Faso, la Ligue des consommateurs du Burkina (LCB) initie des partenariats avec la Confédération paysanne du Faso, faîtière des OP du pays.

Dao Bassiaka, Confédération paysanne du Faso : Le rôle des associations de consommateurs doit être de formuler des demandes claires de produits, accompagnées de critiques.
« C’est en formulant cette demande de produits et en exigeant de la qualité que les acteurs mettront à la disposition des consommateurs les produits recherchés. Mais dans la majeure partie du temps, les associations de consommateurs ne se tournent pas vers les produits locaux, mais plutôt vers ceux importés et se bornent à rechercher des produits frelatés qui nous viennent de l’extérieur. À mon avis, ces associations devraient travailler à ce qu’il y ait une forte demande tout en faisant émerger des souhaits et des critiques. Pour moi, une critique c’est relever les insuffisances et faire des recommandations pour progresser en conséquence, sans quoi elle devient un dénigrement voire une destruction. Ces associations devraient aussi organiser, à l’image de la CPF, des dîners débats avec des goûters, des conférences de presse avec l’ensemble des acteurs pour faire découvrir le potentiel de produits locaux existants au Burkina Faso. Ces actions peuvent permettre aux consommateurs de voir et d’apprécier la qualité des mets et produits locaux et d’apporter leurs critiques afin d’améliorer la compétitivité. C’est ce genre de rôle que les associations de consommateurs devront jouer pour permettre aux producteurs de s’améliorer. »

Des défis liés à la connexion entre l’offre et la demande. Si les produits mis aujourd’hui en marché par les MPEA cherchent à répondre à la demande et y parviennent en partie, une meilleure connaissance du marché (notamment via la conduite d’études de marchés, la prospection commerciale mais aussi un dialogue amélioré avec les commerçants et les consommateurs) permettrait d’une part, d’orienter le développement de certaines filières de transformation et d’autre part, de faciliter l’innovation dans l’offre de produits.
Développer les circuits de distribution, notamment urbains, est aussi un enjeu important. On constate souvent que si les produits locaux transformés rencontrent un succès réel auprès des consommateurs, qui les découvrent parfois à l’occasion de foires et autres événements promotionnels, ces derniers ont souvent du mal à s’approvisionner régulièrement du fait de la faiblesse des réseaux de distribution, de la communication et de la promotion des produits. Cela est dû en partie à la faiblesse de l’offre des MPEA et donc à l’adoption plus fréquente de circuits courts (dépôts vente dans les boutiques ou vente directe), mais aussi à la faiblesse des moyens financiers qui les amènent à renoncer à des circuits où le délai de paiement est trop long (grossistes parfois et surtout supermarchés : souvent paiement à 60 jours).
Développer le marketing des produits : les MPEA mettant sur les marchés leurs produits disposent généralement de peu de moyens pour en faire la promotion auprès du grand public. Cela contrairement aux grands groupes agroindustriels et aux grossistes importateurs disposant d’une force financière pour promouvoir leurs produits (spots télé, affiches publicitaires, écrans lumineux, etc.).

Christine Kaboré, Afrique verte internationale : Il faut un environnement favorable à la valorisation des produits !
« Aujourd’hui les transformatrices de céréales que nous accompagnons ont développé leurs activités et notre accompagnement ne suffit plus ! La contrainte majeure réside dans l’environnement des services à la valorisation des produits. Il faut un environnement favorable ! »
L’accès au crédit pour mener l’activité correctement est impossible !
Aujourd’hui les institutions financières n’offrent pas de produit financier adapté aux besoins des transformatrices, en particulier un crédit pour assurer l’approvisionnement en matières premières quand les prix sont bas. Pour une demande de crédit, les instituts de microfinance (IMF) exigent une garantie, une caution et un aval d’une structure morale reconnue (dans le cadre du RTCF, Aprossa signe parfois un protocole d’accord avec l’IMF, cf. page 21). Les montants demandés par les transformatrices varient entre 50 000 FCFA et 10 millions de FCFA. Pour de petits montants, les femmes parviennent à remplir les conditions demandées, avec l’aval d’Aprossa. Mais dès que le montant dépasse 5 millions de FCFA, c’est la garantie qui fait défaut. Actuellement, Aprossa réfléchit à la mise en place d’un fonds de garantie qui pourrait être mobilisé pour cet accès au crédit.
Les tracasseries liées à la circulation des marchandises. Lorsqu’il s’agit d’honorer les commandes que les femmes peuvent sceller lors des foires, ou avec des acheteurs de pays voisins, la question du transport devient un problème central. C’est à la fois le coût direct du transport qui est élevé (en lien avec le prix du carburant qui augmente), mais aussi et surtout les taxes douanières et non douanières à payer tout au long du circuit d’acheminement qui posent problème. À cela s’ajoute l’insécurité croissante sur les routes, notamment pour les femmes. « Aprossa déplore aujourd’hui le non respect de la réglementation de la Cedeao qui offre libre circulation des biens et des personnes et n’est pourtant jamais respectée ! Lors d’une récente réunion de la Cedeao à Ouagadougou à laquelle j’ai représenté AVI, nous avons soulevé ce problème. Les décideurs sont conscients des tracasseries aux frontières et viennent de mettre en place une structure de veille pour l’application effective de la réglementation relative à la libre circulation des produits céréaliers ».
Le stockage est une étape importante de la valorisation des produits, il nécessite des infrastructures particulières. « La plupart du temps, les femmes du réseau stockent leurs matières premières à la maison, qui devient aussi parfois leur lieu de transformation ». Si l’achat de la matière première nécessite d’obtenir un crédit préalable, il faut ensuite résoudre le problème de stockage, aspect trop souvent oublié dans les activités de soutien à la transformation.

Des défis concernant le développement de l’offre de services complémentaires. En lien étroit avec ces enjeux, le déficit important de services essentiels est à relever.
L’accès au crédit nécessaire au fonctionnement (approvisionnement en matière première) et à l’investissement (équipements de transformation entre autres) que requièrent les activités de transformation agro-alimentaire est un défi central. Aujourd’hui, on constate que les offres des institutions bancaires sont peu adaptées aux MPEA : c’est le cas des crédits court terme dont les montants ne sont pas adaptés aux besoins de ces activités (cf. le témoignage de Christine Kaboré cijoint), et les garanties exigées difficiles à apporter, d’autant que la plupart des demandes viennent de femmes dont le capital est très limité. Quant à l’offre de crédit moyen terme nécessaire à l’achat d’équipements (crédits de 1 à 3 millions FCFA sur deux ans), elle est très rare.
La formation professionnelle est très limitée (sessions courtes de formation sur les procédés et parfois la qualité, jamais qualifiantes et jamais insérées dans des plans de formation ou de renforcement des capacités des acteurs de ce secteur). Au-delà de la transmission de savoir-faire qui s’opère au sein des familles, l’apprentissage des métiers de l’agro-alimentaire est très peu développé, de même que les formations en gestion technico-économique et commerciale pourtant indispensables à la croissance d’une activité économique. Il en est de même pour les services de conseils aux entreprises très peu accessibles à ce secteur.

Fatou N’Doye, Enda Graf Sahel : Un enjeu pour les femmes transformatrices consiste à sécuriser l’approvisionnement en matière première.
Au Sénégal, depuis 2000, on constate une forte évolution des pratiques de consommation des populations. Ainsi, le taux de pénétration des céréales locales évolue, en particulier dans les villes : on estime aujourd’hui que les céréales locales sont l’aliment de base d’environ 2 repas par semaine. En réponse à cette demande en forte mutation, les femmes transformatrices manquent de capacités d’investissement ou d’identification de fournisseurs fiables pour suivre cette dynamique. À Enda Graf, on travaille depuis quelques temps en appui à des GIE/Groupements féminins dans les quartiers de Dakar, notamment sur la question du regroupement en coopératives de transformation afin de mettre en commun les commandes de matières premières. Cela facilite notamment les liens avec les fédérations d’organisations paysannes.

Si la recherche agronomique s’est développée largement ces dernières décennies (amélioration des semences, des itinéraires techniques, diffusion des pratiques agro écologiques, dispositifs de conseil à l’exploitation familiale, etc.), le secteur agro-alimentaire dans toutes ses composantes (technique, économique, sociale, politique) reste peu investi par la recherche en Afrique de l’Ouest.
D’autre part, le manque d’infrastructures nécessaires au bon développement du secteur agro-alimentaire est aussi à relever : au-delà des infrastructures de base (eau, électricité, communication), des enjeux se situent autour des routes et pistes rurales pour faciliter l’acheminement des produits bruts du champ aux zones de transformation et faciliter d’une manière générale la circulation des produits. Manquent également des infrastructures de stockage pour la matière première, des chambres froides pour les produits frais, permettant donc de limiter les pertes.
Enfin, comme évoqué au paragraphe énumérant les défis techniques, des services annexes indispensables y sont associés et doivent être promus : il s’agit notamment de dispositifs de contrôle qualité (laboratoires, normes), fiables et accessibles (coûts notamment), des entreprises de fabrication locale de matériel de transformation, de fourniture d’emballages, etc.

Les idées clés à retenir

Malgré ses forces et son potentiel, le secteur de l’agro-alimentaire est confronté à de multiples défis :

  • techniques : améliorer la qualité, la productivité (via des équipements et procédés améliorés) et la présentation des produits ;
  • relatifs à l’organisation et au dialogue entre acteurs : dialogue entre professionnels des filières et avec les associations de consommateurs ;
  • de connexion de l’offre à la demande : améliorer la connaissance du marché, les circuits de distribution et les stratégies marketing des produits ;
  • concernant l’amélioration de l’offre et de l’accès à des services financiers et non financiers adaptés : crédit, formation et conseil, recherche, infrastructures, autres services (contrôle qualité, fabrication d’équipements, intrants par exemple).

Les paroles d’acteurs illustrant le contenu du présent article ont été rédigées sur la base d’entretiens, nous en profitons pour remercier vivement les personnes et institutions interrogées. Leur profil est présenté en page 4.

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