Si tout va bien, en décembre 2008, le Burkina Faso disposera d’une loi foncière avec des textes d’application et un plan de mise en oeuvre. Le pays pourra alors souffler, après deux années marathon marquées par une multitude de rencontres jusque dans les plus petits chefs-lieux de département. Ces concertations se voulaient les plus ouvertes possibles. Elles allaient ainsi permettre aux différentes parties intéressées de dégager dans un premier temps leurs positions non seulement sur le diagnostic établi mais aussi sur les orientations proposées et de se retrouver ensuite pour discuter des positions et arguments de chacun. Ont pris part à cet exercice, les organisations de producteurs (OP), de femmes, les autorités coutumières et religieuses, les maires, l’administration déconcentrée et décentralisée, le secteur privé agricole. En 2007, la Journée nationale du paysan offrit aussi l’occasion aux 300 délégués présents d’approfondir les débats sur les points d’accord et de divergence. Quatre ateliers régionaux inter-catégoriels rassemblant 330 participants ont permis de nouer le dialogue entre groupes d’acteurs. Outre ces concertations initiées par la Direction générale du foncier rural et des organisations paysannes (DGFROP), il faut noter l’accompagnement des OP par des acteurs non étatiques — principalement le Groupe de recherche et d’action sur le foncier (Graf) — dans la réflexion et l’appropriation du document de Politique nationale de sécurisation foncière en milieu rural (PNSFMR). Objectif : permettre aux leaders d’OP de se positionner sur la Politique en en maîtrisant les enjeux. Des journées foncières regroupant 170 « nouveaux acteurs », appelés aussi « agro-businessmen », et des pré ateliers rassemblant 160 autres participants étaient organisés, afin d’élargir le cercle des débats. En mai 2007 enfin, 600 délégués se sont retrouvés sous la présidence du Premier ministre, M. Ernest Paramanga Yonli, pour adopter solennellement le document de Politique nationale de sécurisation foncière en milieu rural. Une étape importante venait d’être franchie.
Concilier légalité et légitimité. Un an après, le processus suit son cours, avec de multiples concertations, avant l’examen du texte de loi foncière par le gouvernement et, en dernier ressort, par l’Assemblée nationale. « Nous avons voulu offrir à tous une opportunité d’appropriation du processus et surtout concilier la légalité et la légitimité », explique Mme Dermé Maïmouna, la directrice générale du Foncier rural et des OP, pour justifier une telle dépense d’énergie et de moyens. Juge-t-elle le processus participatif ? « Assurément. Nous pensons avoir favorisé l’expression claire et franche des points de vue des acteurs, informé les groupes de l’initiative en cours. Nous leur avons aussi donné le temps de se préparer aux concertations plurielles, de dégager les points de consensus, de divergences et de préciser et réajuster les propositions ».
Membres de l’équipe de consultants en charge des études préliminaires et de la conduite de certains débats, Daniel Thiéba, socio-économiste, et Souleymane Ouédraogo, ancien directeur général des impôts sous la Révolution, admettent eux aussi le caractère participatif du processus d’élaboration de la PNSFMR. Pour Souleymane Ouédraogo, en particulier, très impliqué dans l’élaboration de la Réorganisation agraire et foncière conçue dans les années 1985 (la RAF), la différence de conception est énorme. « L’actuelle approche est participative, contrairement à celle plus bureaucratique de la RAF. C’était les ministères techniques qui s’en occupaient ». Cela expliquerait d’ailleurs la principale critique faite à la RAF : n’avoir pas tenu compte des réalités, sauf à travers le prisme des services techniques de terrain. « C’est après l’élaboration, vu les difficultés d’application, que le gouvernement s’est tourné vers les acteurs en organisant des forums », rappelle M. Ouédraogo.
Daniel Thiéba, par ailleurs président du Graf, reconnaît lui aussi « tout l’apport de la participation, pas en terme de divergence mais de précision, enrichissement et mesures d’accompagnement qui tiennent compte du contexte ». Il rappelle aussi le satisfecit donné par une mission d’évaluation de la Banque mondiale au processus.
Option authentique. Le choix de privilégier l’approche participative ne semble pas obéir à une mode. Il se fonde sur la nature de l’objet en débat, à savoir le foncier, qui ne constitue pas une science exacte. Il n’existe pas en effet de politique en la matière qui soit universelle ou africaine. D’où la nécessité pour les acteurs concernés d’en définir la finalité et les objectifs et d’élaborer une stratégie qui tienne compte de leur diversité. « Le foncier est un sujet complexe, multidimensionnel comportant des enjeux divers. Pour mener à bien ce type d’exercice sur un sujet aussi sensible, il était important d’ouvrir le débat à l’ensemble des acteurs pour prendre en compte toutes les préoccupations », nous indique Mme Dermé. Daniel Thiéba rappelle : « On est parti de l’hypothèse que la politique doit tenir compte du contexte des acteurs qui contribuent à lui donner sa consistance ».
Mais ces belles proclamations vont montrer leurs limites. Chercheur passionné par l’analyse des approches participatives, Daniel Thiéba a conduit une étude sur le processus d’élaboration de la PNSFMR, dont les résultats lui font dire : « On se préoccupe plus de l’apparence de la participation que de son effectivité ». Ses réserves portent sur la légitimité de la participation. « Il s’agit des personnes qui assistent au nom des groupes. Ils ne représentent pas forcément leurs groupes, sauf pour les chefs et les OP. On ne peut pas en dire autant des acteurs du privé, des femmes, etc. ». M. Thiéba déplore aussi le manque de préparation préalable. En fait, hormis la chefferie et les OP, les autres groupes ne venaient pas avec des positions préalables, examinées. Moins de la moitié des participants concernés par son enquête, menée lors du forum national, se disent satisfaits.
Une telle situation retentit forcément sur la qualité des contributions. Celles- ci restent aussi faibles, au regard de l’aridité et de la difficulté d’appropriation du document technique, base de discussion. Ainsi, 29% d’élus locaux trouvent le document technique difficile d’accès. Ce pourcentage atteint 34% pour les agriculteurs et 71% pour les autorités coutumières. L’enquête fait ressortir également que 62% des participants n’ont pas lu le compte-rendu synthétique et une large majorité ignore s’il prend en compte leurs points de vue.
Question d’approche. Réussir une participation à l’échelle d’un pays n’est apparemment pas chose facile. Plus que les moyens à mobiliser, ce qui compte, c’est l’approche. Il faut donner la possibilité à ceux qui doivent participer de le faire, en faisant des propositions à partir de leur expérience. Comment réussir une telle alchimie ? « L’idéal aurait été de faciliter des débats au sein de chaque groupe sur les objectifs et les changements pour qu’ils apportent leur vision et les présentent. Mais on a davantage pensé la participation à partir d’un état des lieux », indique Daniel Thiéba. Il conseille de : « prendre en compte les perspectives des acteurs en leur donnant les moyens de participer et non se contenter de leur présence ». Mme Dermé déplore pour sa part que le processus n’ait pas bénéficié d’une plus grande communication pour une meilleure visibilité. Puis, elle s’empresse d’ajouter : « cela n’enlève rien à son caractère participatif ». Elle annonce que le processus se poursuit et une traduction en français facile est prévue pour une meilleure appropriation, le tout soutenu par une campagne d’information et de sensibilisation dans les langues nationales. Une occasion sans doute de partager le contenu de la loi et d’en faciliter l’application effective.
Souleymane Ouattara est journaliste, coordonnateur de l’agence de presse Jade Burkina Faso, membre du Comité de rédaction de GDS. Investi dans les questions foncières à plus d’un titre au Burkina Faso, il est notamment le chargé communication et lobbying du Groupe de recherche et d’action sur le foncier (Graf). http://www.graf-bf.org