Grain de sel : qu’est-ce qu’une politique agricole ?
Guillaume Fongang : Ça devrait être une vision portée par des choix résultant d’une réflexion sur « où on va ? » « qu’est-ce qu’on veut ? » à la fois en partant de la situation que l’on a et en prenant surtout en compte où on veut aller. Il faut aussi intégrer le fait que finalement on ne se retrouve pas seul dans le monde, et prendre en compte la présence des autres notamment pour les partenariats possibles et les concurrences auxquelles on peut faire face. Il faut aussi tenir compte des leçons de l’histoire car elles aident à mieux éclairer le chemin à suivre. Ca devrait être comme le chemin que l’on se donne, que l’on prend la décision de suivre, parmi tant d’autres, et dont le choix répond à la question de savoir : qu’est-ce que nous gagnons ? quelles sont les retombées ? du point de vue de l’État, sensé représenter et défendre l’intérêt général. C’est aussi le moyen que se donne un État, un pays, pour atteindre des résultats bénéfiques. C’est par exemple l’occasion pour l’État de se poser la question de savoir lorsqu’il décide de laisser importer plutôt que d’encourager la production locale, quelles sont les implications de tels choix. Le malheur de nos pays, c’est que tout se passe comme s’il n’y avait pas de réflexion sur les avantages et les inconvénients de tels choix, peut être faudrait il plutôt parler d’une quasi absence de ce genre de réflexion. Et finalement on est désarmé face à certaines pressions extérieures qui dictent le chemin à suivre.
GDS : Dans plusieurs pays d’Afrique centrale que vous connaissez, y a-t-il des politiques agricoles ?
GF : Peut-on véritablement parler de politique agricole dans ces pays ? Les politiques, ceux qui sont en charge du développement agricole et rural dans ces pays, sont-ils à même de dire clairement les choix et la vision qu’ils ont ? Là-dessus je m’interroge, je me demande bien si c’est le cas. Je ne parle pas d’un texte ou d’un document bien écrit. Il y a des hommes capables d’en produire. Mais d’une vision portée, avec des stratégies, des moyens et des interventions conséquentes. Notons d’ailleurs que dans plusieurs de ces pays, les statistiques agricoles produites et maîtrisées par les politiques sont presque inexistantes, je parle là d’éléments de base pour le pilotage ou mieux la gestion d’un développement agricole. Lorsqu’on prend du recul par rapport aux faits, le cas par exemple des débats autour de l’importation des poulets congelés au Cameroun, on peut bien se demander si du coté des services de l’Etat en charge du développement agricole, il y a eu à un moment donné une réelle vision affichée et défendue, s’insérant dans une stratégie cohérente, et montrant les retombées dans le temps pour le pays. On a même plutôt été surpris d’une société civile ayant une argumentation assez construite sur ses positions et indiquant clairement en quoi les options qu’elle défendait étaient susceptibles d’avoir un impact positif durable pour le pays. A propos des récentes négociations sur les APE, a-t-on senti en Afrique Centrale les politiques marquer l’espace public en disant « pour nous c’est oui » ou « pour nous c’est non » ? Ou encore voici en quoi ces accords nous permettrons de réaliser dans l’espace communautaire mondial nos objectifs de développement ? Je veux reconnaître qu’il existe des documents dits « de stratégie ». Mais il ne faut pas être naïf, certains sont produits sous la pression d’institutions internationales disposant notamment de moyens financiers. Il existe des rapports écrits, nous avons de très bons experts, mais une politique agricole, c’est autre chose.
GDS : Et en matière de politique régionale ?
GF : La dynamique sous-régionale au niveau de l’Afrique Centrale est pratiquement inexistante. Sur ce plan, l’Afrique centrale semble en retard par rapport à l’Afrique de l’Ouest où des réflexions sont assez avancées et des outils institutionnels mis en place. Lors d’une réunion du NEPAD à Bamako en 2006 relative au programme prioritaire de développement agricole pour l’Afrique, les pays d’Afrique de l’Ouest avaient des orientations et des propositions déjà consignées dans des documents, issues de différentes réflexions et concertations tandis que l’Afrique centrale, n’avait rien en main. Il a d’ailleurs été demandé à cette occasion à l’Afrique centrale de se réunir avant une réunion de validation, tenue plus tard au Ghana. Lors de cette seconde rencontre, des documents avaient été produits, certes dans l’urgence et vous pouvez imaginer comment. Mais en réalité, quelle dynamique sous-régionale existe en matière de politique agricole en Afrique Centrale ? Je pense qu’il y a encore du chemin sur ce plan, qu’il est nécessaire qu’une réflexion sous régionale prenne vraiment corps et que des outils institutionnels viables soient mis en place. Je reconnais qu’il existe un programme de sécurité alimentaire en Afrique Centrale, elle vaut ce qu’elle vaut mais ne remplace pas une politique globale régionale. Cette situation est, il faut le relever, regrettable, surtout quand on sait que les agricultures dans le monde sont confrontées à des difficultés et des défis qui interpellent à la constitution de véritables politiques régionales, capables de protéger et de développer les agricultures et les agriculteurs qu’on ne saurait laisser entre les mains commerçantes d’une mondialisation impitoyable.