_ Les rôles de l’Etat et de l’intervention publique dans la promotion de l’accès aux services financiers des populations qui en sont exclues ont considérablement évolué depuis les années 60. La logique interventionniste a largement été critiquée du fait de son incapacité à tenir compte des réalités, de son coût et finalement de son inefficacité face aux besoins réels. La tendance à une régulation par le marché comme meilleur vecteur de justice sociale que l’action publique s’est donc naturellement imposée. Or, le bilan des années de libéralisation financière ainsi que du fort développement de la microfinance ces trente dernières années questionne ce qui est apparu comme une solution universelle : la structuration d’une offre financière en direction de populations pauvres et exclues, notamment celles vivant dans les zones rurales, est toujours insuffisante. Le secteur agricole est le plus souvent resté marginalisé de l’accès aux services financiers (crédit, épargne, assurance, etc.). Dans ce contexte et pour remédier aux déséquilibres observés, une articulation nouvelle des acteurs de la société civile, du secteur privé et de la puissance publique doit être pensée.
Financer pour moderniser l’agriculture : une politique de l’État dans les années 60-70. L’ancien paradigme des finances rurales développé dans les années 60 et 70 dans les pays en développement (PED) était fondé sur la préoccupation des pouvoirs publics de faciliter l’accès au financement rural. L’objectif était la promotion du développement agricole par la modernisation de l’agriculture. L’approche privilégiée a pris la forme d’une intervention des États par l’intermédiaire des banques publiques de développement et des bailleurs de fonds sur le marché du crédit à des conditions favorables (taux d’intérêts bonifiés, absence de garantie, etc.). Cependant, ce système de crédit à la fois coûteux et non viable à terme, en raison de taux de remboursement médiocres et d’une mauvaise gestion des banques de développement, n’a pas eu l’effet escompté sur le développement de la production agricole.
Années 80 : fermeture des banques de développement, libéralisation du secteur et apparition de la microfinance. À partir des années 1980, l’échec de l’offre de crédit fondée jusque-là exclusivement sur l’intervention publique a donc laissé la place à un nouveau schéma qui a amené un renouveau de l’approche du financement rural et agricole dans les PED. Le contexte est marqué par la fermeture des banques publiques de développement, la libéralisation du secteur et le développement de la microfinance. Le nouveau paradigme en matière de finances rurales, fondé sur une démarche de construction d’une intermédiation financière, s’accompagne d’une redéfinition du rôle des acteurs et notamment celui de l’intervention publique. Par-delà les appuis sous forme de subventions publiques lors de la création des institutions de microfinance, les politiques publiques se sont prioritairement structurées autour de la réglementation du secteur se dotant progressivement de cadres légaux spécifiques à la microfinance. Ainsi, en Afrique de l’Ouest, une loi spécifique est élaborée en 1993, la loi portant réglementation des institutions mutualistes ou coopératives d’épargne et de crédit dite « loi Parmec ». Elle entre progressivement en application dans tous les pays de l’Union économique et monétaire de l’Afrique de l’Ouest (Uemoa). Un décalage fort est cependant apparu entre l’offre de services financiers d’une part et les objectifs de lutte contre la pauvreté et les inégalités assignés au secteur de la microfinance d’autre part. En effet, 75% des pauvres dans le monde sont des ruraux, dont la survie dépend principalement d’activités agricoles lesquelles constituent une part importante voire majeure dans le PIB des PED. En dépit de cette forte contribution du secteur agricole dans le PIB des pays en voie de développement les plus pauvres, l’offre de services financiers disponible pour les agriculteurs est demeurée limitée et/ou ne répondant qu’imparfaitement aux besoins des agriculteurs dans la majorité des contextes. La plupart de l’offre de la microfinance s’est prioritairement tournée vers les zones urbaines et périurbaines. Même si certaines Institutions de microfinances (IMF) tentent de s’insérer dans le milieu rural.
Parallèlement, avec la libéralisation du secteur bancaire, le retrait de l’État n’a pas été compensé par un développement du secteur bancaire commercial en milieu rural et encore moins vers le financement des activités agricoles. Au contraire, de nombreuses banques ont même fermé leurs agences rurales.
Malgré la forte contribution du secteur agricole dans le PIB des pays en voie de développement, l’offre de services financiers disponible pour les agriculteurs est, à quelques rares exceptions, encore largement limitée. Il faut cependant souligner que certains réseaux adoptent des démarches volontaristes pour couvrir les besoins financiers des agriculteurs. C’est le cas du réseau Centre d’innovation financière (Cif) dont 40% des crédits alloués en 2006 étaient destinés au financement des activités agricoles et de la pêche. Le reste du portefeuille se partageait entre l’artisanat (8%) et le commerce et service (52%). Ces résultats sont encourageants malgré des disparités régionales fortes.
Un nouveau paradigme qui ne résout pas tout. La logique de marché, couplée à un grand nombre d’innovations contractuelles, promue par le nouveau paradigme, n’a donc pas rempli toutes ses promesses, notamment vis-à-vis du financement du monde rural et plus particulièrement des activités agricoles.
Confier le financement du développement à des ressources et des acteurs privés ne doit donc pas évincer totalement l’action publique, seule à même de promouvoir une certaine cohérence collective indispensable à ces interventions et aux objectifs de développement qu’elles prétendent servir. Entre le « tout État » et le « tout marché », l’enjeu est de faire en sorte que l’affectation des ressources soit orientée vers les secteurs d’activités considérés comme propices à l’amélioration de la productivité agricole et des conditions de vie des populations.
Or, les efforts à fournir pour appréhender au mieux les besoins financiers des agriculteurs couplés aux risques que présentent les activités agricoles constituent des obstacles considérables à la mise en place d’une offre de services financiers destinée à l’agriculture. Par ailleurs, la dynamique actuelle d’insertion de la microfinance dans les marchés financiers impose au secteur d’appliquer des taux d’intérêt qui permettent de couvrir les coûts engendrés par les services offerts. L’exigence de facturation à prix coûtant qui anime le secteur financier s’avère en contradiction avec l’extension de la couverture rurale et surtout le financement de l’agriculture en raison du niveau de rentabilité relativement faible des activités agricoles financées.
Il n’est pas fortuit que, face à ces contraintes, les institutions implantées en milieu rural éprouvent davantage de difficultés à assurer leur rentabilité financière et sont le plus souvent largement subventionnées. Les pressions à la rentabilité imposent à ces institutions des choix stratégiques qui les amènent généralement à délaisser les zones rurales et les activités agricoles pour privilégier une implantation en milieu urbain et péri-urbain où elles s’exposent à une concurrence forte d’organisations à but lucratif.
Vers de nouveaux partenariats. L’État aux côtés d’autres acteurs tels que les Organisations professionnelles agricoles ont un rôle central à jouer pour réduire les déséquilibres avérés envers le secteur agricole.
La réponse à la question de l’intervention de l’État dans le secteur du financement rural et agricole n’est pas unique, il est impératif de tenir compte des disparités nationales liées à l’histoire du secteur et au positionnement respectif des acteurs. L’efficacité de l’action publique peut être améliorée par la mise en oeuvre de partenariats innovants entre secteurs public et privé. En Amérique latine, les expériences de réhabilitation des banques de développement inspirées des leçons des échecs passés semblent prometteuses.
Par-delà ces innovations en termes de partenariats, l’État dispose d’outils plus classiques, plus ou moins « intrusifs » pour le secteur. Ainsi à contre- courant de l’idéologie dominante en matière de finances rurales, l’État malgache, dans le cadre de sa politique de relance de la production agricole, s’est lancé en 2004 dans une politique de bonification des taux d’intérêts sur les crédits agricoles (cf. article pages suivantes).
La politique de bonification et d’une manière générale les interventions directes de l’État sur les mécanismes de financement ont été définitivement bannies par le nouveau paradigme des finances rurales. Dans son dernier rapport sur le développement dans le monde, la Banque mondiale souligne pourtant l’importance de la croissance du secteur agricole sur la réduction de la pauvreté :
« (…) la croissance du PIB due à l’agriculture contribue au moins deux fois plus à réduire la pauvreté que la croissance du PIB due au secteur nonagricole » (abrégé du dernier Rapport sur le développement dans le monde de la Banque mondiale (World Development Report, WDR), 2008 : 7).
Les taux d’intérêts pratiqués par les institutions de microfinance entrent cependant largement en contradiction avec les taux de rentabilité des activités agricoles. Or les besoins d’investissement pour accroître la production dans un contexte de demande mondiale en forte augmentation sont non seulement importants mais surtout incontournables.
L’intervention de l’État en matière de financement de l’agriculture se justifie donc non seulement en termes d’équité entre différentes catégories de la population mais aussi en termes de développement de ces pays. La question mérite doublement d’être posée et analysée.
Solène Morvant-Roux est chargée de projet au sein de la Fondation pour l’agriculture et la ruralité dans le monde (Farm). La Fondation a organisé en décembre 2007 un colloque sur la question du financement de l’agriculture. Les informations sur ce colloque sont disponibles : https://fondation-farm.org.