Au Ghana, le coton est le “cacao du Nord”. Pourtant, le développement de la filière coton est loin d’être une réussite. En examinant l’histoire récente de la filière au Ghana et en la comparant avec celle du Burkina Faso, cette note de lecture donne quelques clés de compréhension de cette contre-performance. Cette note de lecture est basée sur deux articles “The state of Cotton Production in Northern Ghana”, by Benjamin K. Asinyo, Charles Frimpong, Emmanuel Amankwah, Kwame Nkruma University of Science and Technologie, International Journal of Fiber and Textile Research, 2015 ; “Stakeholder perceptions of the impact of reforms on the performance and sustainibility of the cotton sector in Ghana and Burkina Faso : a tale of two countries” By Boafo Yaw Agyeman and al. Cogent Food & Agriculture, 2018
Ces deux articles retracent l’histoire récente de la filière coton au Ghana, en la comparant à celle du Burkina-Faso, les deux pays ayant appliqué des “réformes” au cours des années 1990 et 2000. Sans trahir les auteurs, on peut dire qu’ils concluent, pour le Ghana, à une défaillance politique. Malgré l’engagement de compagnies privées disposant de solides références et partenaires, l’État a manqué de volonté dans son soutien à la filière. Au Ghana, comme au Nigeria, les réformes des années 80 ont entraîné l’effondrement de la filière alors qu’elles ont permis à d’autres pays de la région de la redresser.
En 2015, B. Asinyo, C. Frimpong et E. Amankwah, universitaires ghanéens, ont visité 2 des 3 zones cotonnières du pays et rencontré des responsables de compagnies y opérant. De 2015 à 2016, Boafo Yax Agyeman et ses 7 co-auteurs, appartenant à des universités ghanéennes, japonaises, à la Commission Economique pour l’Afrique et au Ministère de l’agriculture du Burkina-Faso ont interrogé des acteurs des filières du Ghana et du Burkina- Faso sur leur perception des réformes dans six domaines : (i) le crédit intrant, (ii) le prix du coton et le partage de la valeur, (iii) la vulgarisation, (iv) la recherche – développement, (v) la régulation de la filière et (vi) la sécurité alimentaire. Ils posent 3 questions : (i) quelles ont été les réformes dans les deux pays ? (ii) comment les acteurs en perçoivent-ils l’impact ? (iii) leur perception est-elle en accord avec l’évolution de la filière ? Ils ont entendu des représentants des sociétés cotonnières, des agriculteurs, des chercheurs, des fonctionnaires et des ONG.
Au Ghana, le coton est cultivé en agriculture pluviale au nord du pays (Upper East, Upper West, Northern, et une partie de Brong Ahafo). Dans les années 70 et 80, l’industrie textile employait 25 000 personnes (27 % des emplois dans le secteur manufacturier). En 1968, un Cotton Development Board (CDB) avait été créé par le gouvernement, vite relayé par des entreprises privées. La chute des cours mondiaux du coton mis en difficulté la CDB qui fut remplacée en 1985 par la Ghana Cotton Company Ltd (GCCL). Elle fournissait semences, engrais, pesticides, tracteurs et conseil aux agriculteurs. En 1986, des sociétés privées apparaissent. En 2 000, on en comptait 16. En 2005, il en restait 5. Le “zonage” est apparu comme indispensable. Mais il fut mal respecté. Certaines sociétés se révélaient incapables de remplir leurs obligations visà- vis des agriculteurs de la zone qui leur avait été attribuée ; des agriculteurs recevant des engrais et semences à crédit d’une compagnie vendaient le coton à une autre. Le “boom” relatif de la production (moins de 1 000 t en 1985-86 à 25 000 t en 1996-1997 et même 38 000 t en 1999) est dû à des interventions de l’État en faveur des entreprises textiles, mais en 2010 la production est retombée à 2 500 t. En 2009, le gouvernement considéra que la relance de la filière serait un facteur clé de la lutte contre la pauvreté dans le Nord, d’autant que les cours mondiaux étaient favorables. Des zones furent attribuées à trois compagnies internationales, présentes au Ghana dans le Cacao, OLAM, Armajaro, Wienco, respectivement en zones Upper West, North Central et Southern Central. Cela n’a pas permis de faire décoller la filière.
Asinyo & al. font l’inventaire de tous les facteurs explicatifs de cet échec ghanéen : le maraudage, une industrie textile nationale exposée à la concurrence internationale, le manque de crédit, le manque de R&D, la dépendance au Burkina-Faso pour les semences, le climat au Nord du pays, l’absence d’organisation paysanne, etc. et finalement, le “manque de régulation”, sans qu’ils précisent ce qui aurait dû être régulé, et comment cela aurait pu être fait.
Agyeman & al. sont plus explicites à cet égard grâce à la comparaison avec le Burkina-Faso. Un grand intérêt de leur enquête est de révéler la lucidité des acteurs des filières dans les deux pays sur les avantages, inconvénients et erreurs dans la conduite des réformes dans les deux pays. Les avis recueillis sont cohérents avec les analyses d’observateurs indépendants.
Sur le crédit aux intrants, les avis des effets des réformes sont négatifs au Ghana (prix, inadéquation, financement) et mitigés au Burkina-Faso (bonne chaîne d’approvisionnement, subvention de l’État mais coût de la semence Bt). De même, sur les prix payés aux producteurs et le partage de la valeur, au Ghana les avis sont critiques (prix bas, prix plancher non respecté, manque de transparence dans la fixation du prix, absence de consultation) tandis qu’au Burkina-Faso, le délai de paiement est un point négatif mais la garantie du prix et sa détermination sont appréciées. En matière de conseil et de R&D, les avis divergent fortement : négatifs au Ghana pour la faiblesse de la vulgarisation et le manque de recherche, positifs au Burkina- Faso pour l’amélioration de la qualité des formations et la recherche agronomique. Enfin, s’agissant du système institutionnel et de régulateur, les acteurs de la filière du Ghana déplorent l’échec du zonage, le manque de coopérative et la politisation du choix de compagnies, tandis que ceux du Burkina-Faso apprécient l’existence d’une association interprofessionnelle (réunissant industriels et producteurs) et l’engagement du gouvernement.
De la lecture de ces deux articles, on retiendra qu’il a manqué au Ghana une intervention ferme de l’État pour organiser la filière à travers quatre “obligations” qui ne sont nullement contradictoires avec la libre entreprise :
(i) N’autoriser qu’un nombre limité de sociétés solides financièrement et techniquement (trois étaient un bon choix), intégrant l’égrenage du coton graine et la trituration de la graine ; (ii) Leur attribuer une zone de collecte de taille nécessaire et suffisante pour assurer leur rentabilité (et sanctionner financièrement celle qui ne respecterait pas ce zonage) ; (iii) Les obliger à fonder leurs relations avec des agriculteurs, individus ou groupements, sur la base de contrats précis en termes de fournitures d’intrants (prix, qualité), de conseil et d’achat du coton graine (prix, délais de paiement) ; (iv) Veiller au bon fonctionnement, sans interférence, d’une instance de gouvernance de la filière constituée de représentants des entreprises et des syndicats de producteurs, instance principalement chargée de la fixation des prix de vente des intrants et d’achat du coton graine, sur une base nationale unique (sur la base des cours mondiaux, de la réalisation des ventes et en intégrant dans ces calculs les éventuelles aides de l’État).
Par analogie avec ce qui se passe dans tous les pays voisins du Ghana, si une telle “interpro coton” existait, elle agirait sûrement sur d’autres dimensions économiques (financement des campagnes, fonds de lissage interannuel des prix, intrants), agronomiques (génétique, fertilisation, lutte contre les ravageurs, transitions écologiques) et pour une stratégie commerciale commune basée sur l’origine Ghanéenne (longueur de la fibre, propreté de la fibre, voire équitable et bio.). Il faut le souhaiter pour les paysans du Nord du Ghana.
Jean-Luc François est ancien responsable de la division agriculture, développement rural et biodiversité à l’AFD (2009-2018). Il est retraité du Ministère de l’Agriculture français.