Du « Nnoboa », forme traditionnelle d’association au Ghana, aux organisations de producteurs (OP) actuelles, cet article permet de cerner l’histoire, le rôle et l’importance de l’agriculture paysanne au Ghana, ainsi que les difficultés auxquelles le secteur est confronté, en prenant pour exemples les OP de riz de Kesena-Nakana.
Depuis son indépendance politique en 1957, le gouvernement ghanéen a porté beaucoup d’intérêt à la création d’organisations de petits producteurs et au renforcement de leurs capacités. L’agriculture a toujours dominé l’économie ghanéenne, mais ces dernières années, sa contribution au PIB ne cesse d’osciller (18,7 % en 2017, 18,3 % en 2016). Il s’agit toujours d’un secteur à faible productivité, en raison de plusieurs facteurs internes, comme les régimes fonciers, l’accès au marché, les moyens financiers et technologiques, mais aussi de facteurs externes, comme la spéculation des investisseurs, le changement climatique et la chute des prix des produits d’exportation ghanéens sur le marché mondial (MoFA, 2015).
“Nnoboa” : une forme d’association traditionnelle qui sert d’exemple. Au Ghana, les activités collectives, qui se présentent sous la forme d’échanges réciproques de travail ou d’entraide entre agriculteurs, reposent sur des accords coutumiers fondés sur les liens sociaux, ethniques ou familiaux. Les Akan du sud du Ghana utilisent le terme « nnoboa » pour décrire ce type d’accord volontaire et officieux, mais également temporaire : une fois la tâche accomplie, le groupe se dissout. À la fin des années 20, l’administration coloniale britannique lançait les premières coopératives visant à améliorer la qualité et la commercialisation du cacao et à faciliter l’accès aux prêts des agriculteurs. Elles étaient considérées comme essentielles au développement agricole et rural ; le Department of Cooperatives (DoC) a donc été créé en 1944 pour superviser leur développement. Fort d’un succès rapide, les coopératives se sont vite multipliées, d’abord dans la filière du cacao, puis dans d’autres filières, jusqu’à devenir éminentes au lendemain de l’indépendance en 1957. Elles étaient alors à l’origine de la commercialisation de près de 40 % du cacao produit dans le pays. Dans les années 90, les petits producteurs de riz ont commencé eux aussi à s’associer afin de se répartir le travail commun et de participer à des événements sociaux, ce qui leur a permis de tisser des liens forts et d’améliorer la productivité et l’efficacité de la production rizicole.
Néanmoins, suite au coup d’État militaire de 1966, le nouveau gouvernement craignait que ce mouvement coopératif ne devienne une arme économique et politique pour les zones rurales et a exigé son abolition : le DoC a été dissous. La pression exercée dans le monde à la fin des années 80 en faveur de réformes structurelles et de la libéralisation du marché a mis fin aux coopératives gérées par l’État. Depuis, les gouvernements ont adopté une approche libérale et autorisent la création d’un autre genre d’associations, plus connues sous le nom d’organisations de producteurs ou organisations paysannes (OP), afin de promouvoir les activités lucratives. Aujourd’hui, les coopératives et les OP sont les deux principales formes d’association de petits producteurs au Ghana. Dans les années 70, le gouvernement a choisi le « nnoboa », qui est le modèle traditionnel, comme exemple pour son développement rural, ce qui a accéléré la création d’OP dans le pays.
Les organisations de producteurs comme moyen de fournir des services collectifs. Les OP rassemblent des agriculteurs qui partagent les mêmes difficultés et les mêmes besoins. Elles répartissent les ressources locales, comme la terre, la main-d’oeuvre, l’eau et l’accès aux marchés, au profit de leurs membres. Elles s’occupent, entre autres, de lutter pour la baisse des prix des engrais, de commercialiser les récoltes, de négocier un meilleur accès au crédit et d’améliorer le transport des produits. Elles tentent de gagner en autonomie en s’employant activement, d’après Van der Ploeg (2008), à dresser des barrières afin de préserver l’indépendance de leurs membres et de réduire la dépendance, la pauvreté et la marginalisation dans le contexte actuel de mondialisation.
Les organisations internationales de développement sont nombreuses à soutenir les OP, car elles permettent de fournir un éventail de services collectifs à leurs membres de façon bénévole ou gratuite. Les OP font partie des acteurs majeurs des services de soutien aux chaînes de valeur agricoles au Ghana et sont ainsi perçues comme un moyen précieux d’atteindre les objectifs de développement agro-industriel et de réussir le développement rural du pays. Les entreprises du secteur privé font appel à elles pour améliorer le développement de la chaîne de valeur de leurs activités agricoles. De même, les ONG encouragent les OP à améliorer la prestation de services en milieu rural, la croissance économique et la réduction de la pauvreté chez les agriculteurs et préfèrent passer par elles pour négocier avec eux.
Le nombre d’OP au Ghana ne cesse d’augmenter. Elles sont aujourd’hui près de 10 000, qu’elles soient déclarées, non déclarées ou inscrites comme entreprises coopératives.
Des associations de producteurs rattachées aux réseaux nationaux et régionaux. Les OP sont gérées par les agriculteurs, qui reçoivent parfois l’aide d’employés spécialisés. Elles sont généralement rattachées à des chaînes de valeur spécifiques et sont en voie de devenir des réseaux pour les ONG locales.
Au Ghana, la Peasant and Farmers’ Association of Ghana (PFAG), née en 2005 d’un groupe de petits agriculteurs, constitue désormais l’OP non gouvernementale faîtière. Elle entend militer pour la modification des politiques qui perpétuent la pauvreté des agriculteurs ruraux et d’autres difficultés qui les affectent. Elle compte actuellement 1 527 organisations membres déclarées et 39 156 petits producteurs individuels membres déclarés dans plus de 70 districts du territoire national. Sa mission : que chaque agriculteur vive dignement. Elle plaide en faveur de politiques commerciales et agricoles nationales et internationales favorables aux plus démunis, sert de plateforme aux producteurs pour qu’ils puissent renforcer leurs capacités à défendre des politiques et leur propose des formations techniques en affaires et en entrepreneuriat. La PFAG fait partie de l’association Réseau des organisations paysannes et de producteurs de l’Afrique de l’Ouest (ROPPA).
Les OP en faveur du développement durable. Au Ghana, les OP sont largement capables de contribuer au développement durable. Les petits producteurs sont essentiels : ils assurent environ 80 % de la production agricole nationale, alors que la plupart des exploitations font moins de 2 hectares. Les OP du Ghana existent depuis longtemps et jouent depuis toujours un rôle moteur dans la lutte pour l’indépendance politique du pays. Elles mobilisent souvent leurs membres pour s’opposer aux politiques économiques et aux programmes de développement néfastes du gouvernement.
La réponse des OP face à l’accaparement des terres. Les OP du Ghana, et d’Afrique de l’Ouest en général, font face à plusieurs défis : l’accès aux terres et leur accaparement, mais aussi le manque d’irrigation. L’accaparement des terres par des entreprises privées étrangères inquiète énormément les producteurs africains. Lors d’une conférence mondiale organisée par La Via Campesina en Espagne en 2017, les mouvements de producteurs rapportaient que presque partout en Afrique, l’élite et les grands groupes tentent de s’emparer et de prendre le contrôle des moyens de production de base de la population, comme leurs terres, leurs semences et leur eau. Ces ressources sont de plus en plus privatisées, en raison des nombreux accords et politiques d’investissement induits par les nouvelles approches institutionnelles qu’imposent les puissances occidentales et les institutions de Bretton Woods. (Monjane, B., 2017).
Au Ghana, l’accaparement des terres par des investisseurs étrangers s’intensifie, notamment dans les régions de Brong Ahafo et du Haut Ghana occidental, et les communautés locales en pâtissent : déplacement de la population, manque d’accès à l’eau, dégradation des sols et restriction de l’accès aux terres des agriculteurs défavorisés, notamment les petites agricultrices, qui voient leur droit d’en posséder limité par les normes traditionnelles. Elles comptent principalement sur leur famille pour y accéder. Caritas, l’organisation caritative de l’Église catholique du Ghana, a récemment appelé le gouvernement à agir rapidement pour mettre fin à la recrudescence de l’accaparement des terres. Les prix désavantageux exercés sur le marché mondial empêchent les producteurs d’étendre leur zone de production, et limitent donc leurs revenus. Les producteurs ghanéens de cacao, de riz et de cajou souffrent particulièrement de cette baisse des prix constante.
La plupart des OP de riz du district de Kasena Nankana ont réussi à négocier avec les propriétaires fonciers et les chefs de communautés pour obtenir l’accès aux terres, qu’ils répartissent ensuite entre leurs membres selon des critères convenus. Par exemple, d’après Donkor et Owusu (2014) et Dinye (2013), près de 18,4 % des 2 334 hectares de terres irrigables gérés par l’Irrigation Company of Upper Ghana (ICOUR) sont loués aux agriculteurs, tandis que les 81,6 % restants sont confiés aux Village Committees, euxmêmes constitués d’agriculteurs bénéficiaires sélectionnés.
Faire des OP des acteurs viables du développement durable. S’ils veulent faire des OP des acteurs viables du développement durable, le gouvernement, les agents de développement du secteur privé, les entreprises, les organisations de la société civile et le grand public devraient s’investir de manière plus significative afin de s’assurer que les politiques de développement rural soient durables, par le biais de mécanismes institutionnalisés qui impliquent les OP de façon efficace, de lois et cadres réglementaires adaptés, de services financiers ou de renforcement des capacités, de leurs connaissances, de l’information et des technologies.
Les organisations de producteurs de riz à Kessena-Nakana
Avec près de 118 441 habitants, le district de Kessena-Nakana (KND) dépend largement du riz, qui représente 54,8 % de la production céréalière du district. Le KND fournit également 4,5 % de la production régionale de riz, qui est une denrée alimentaire et une culture commerciale fondamentale au Ghana.
Cela fait longtemps que les producteurs de riz s’associent afin de prendre part à des rencontres, travaux communs et événements sociaux. Conscients que la production rizicole est risquée, ils s’organisent en vue de pratiquer le « désherbage tournant » et tissent des liens forts qui leur permettent d’exécuter plus facilement les tâches d’ordinaire difficiles. En parallèle, les ONG du KND s’emploient à aider les OP informelles du district à s’officialiser.
Le désherbage tournant n’est pas le seul avantage dont profitent les membres des OP de riz. Dans le KND, les OP de riz coopèrent étroitement avec l’ICOUR, qui s’associe avec plusieurs institutions financières du district pour proposer des prêts concessionnels aux producteurs. Les OP de riz sont reconnues par le comité des OP du district, qui les recommande ensuite aux investisseurs. Elles profitent ainsi d’un meilleur accès aux moyens de production intelligents (tracteurs, main-d’oeuvre salariée, etc.). Les OP aident également les agriculteurs et agricultrices à acquérir des terres et leurs membres accèdent à la propriété relativement aisément : ils possèdent près de 72,2 % des terres agricoles. En plus de les assister dans leurs activités agricoles, les OP encouragent les producteurs à diversifier leurs sources de revenu en s’adonnant, par exemple, au commerce à petite échelle, à la menuiserie, à l’enseignement, à la collecte des ordures ou la culture du champignon. Enfin, elles servent de filet de sécurité à leurs membres (soutien de groupe et solidarité individuelle).
Des difficultés subsistent cependant. Les OP de riz peinent à réaliser leurs objectifs car elles rassemblent des personnes ayant des opinions divergentes. Lorsque leurs membres se réunissent, ils se mettent rarement d’accord sur la répartition des ressources, à savoir les terres, les financements, les intrants (engrais, etc.) et l’utilisation des machines agricoles. Tout agriculteur peut y adhérer, qu’importe son ethnicité, sa nationalité, son genre ou son âge. Les membres des OP de riz s’associent parfois entre eux, en fonction de leurs intérêts individuels, de leur groupe ethnique ou de leur communauté, ce qui peut être source d’animosité, de conflits et de révolte contre la direction.
Cet article est disponible dans sa version longue et en anglais ici
Samuel Weniga Anuga participe au programme sur le changement climatique et le développement durable (Climate Change and Sustainable Development) dispensé par l’Université du Ghana.
Emmanuel Kwesi Boon est professeur et responsable des affaires internationales à l’International Centre for Enterprise and Sustainable Development (ICED).