Dans Ghana’s Agricultural and Economic Transformation : Past Performance and Future Prospects, les auteurs s’appuient sur l’exemple du Ghana pour analyser la trajectoire de développement de l’Afrique et les opportunités qui s’offrent à elle en matière d’agriculture. Le présent article reprend les grandes lignes de l’ouvrage et met en évidence certains éléments manquants, tels que les conséquences du changement climatique.
Depuis une vingtaine d’années, l’Afrique occupe la deuxième place du classement des croissances économiques les plus rapides, derrière l’Asie. Mais contrairement à l’Asie et à l’Amérique latine, la croissance qu’elle enregistre n’a pas conduit sa main-d’oeuvre à quitter le secteur agricole au profit de l’industrie. Même si, pour la plupart des pays d’Afrique, la part de l’agriculture dans le produit intérieur brut (PIB) a diminué, celle de l’industrie a elle aussi souvent diminué ou stagné. Les jeunes travailleurs qui migrent vers les zones urbaines se retrouvent généralement à occuper des emplois peu rémunérés et à faible productivité dans le secteur tertiaire informel.
L’ouvrage Ghana’s Agricultural and Economic Transformation: Past Performance and Future Prospects s’appuie sur l’exemple du Ghana pour examiner pourquoi les pays d’Afrique suivent une telle trajectoire de développement. Les auteurs expliquent que, contrairement aux attentes, la croissance économique du Ghana n’a pas poussé le pays à délaisser l’agriculture traditionnelle à faible productivité au profit de secteurs à plus forte productivité, comme l’industrie. Ainsi, si les autres pays africains veulent enregistrer une croissance économique suffisamment solide pour permettre la création rapide d’emplois décents, il faut qu’ils encouragent le développement des secteurs à forte productivité, tels que l’agriculture moderne, l’industrie ou les services formels.
Un développement économique, sans gains de productivité. Le développement économique que connaît le Ghana depuis son indépendance en 1957 repose dans l’ensemble sur la production et l’exportation de quelques denrées agricoles non transformées, de minéraux et, plus récemment, de pétrole. Le pays est lent à transformer son économie pour qu’elle s’appuie davantage sur l’exportation de biens manufacturés et de services à forte valeur ajoutée. À l’aide d’analyses statistiques, les auteurs démontrent que si la transformation structurelle du Ghana n’engendre qu’un faible gain de productivité du travail, c’est parce que les travailleurs sont nombreux à quitter l’agriculture pour le secteur tertiaire, où la productivité n’est pas beaucoup plus élevée que dans l’agriculture traditionnelle. En réalité, elle est même parfois moins élevée, ce qui signifie que le départ des travailleurs du secteur agricole traditionnel pour celui peu productif des services réduit la productivité du travail moyenne nationale. À titre d’exemple, entre 1990 et 2010, la part des services est passée d’environ 2 % à environ 50 % du PIB, alors que la valeur ajoutée par travailleur a diminué, passant de 6 % à 3,1 %.
Peu d’investissements dans le secteur agricole. Lorsque le retard accusé par le Ghana dans sa transformation économique est analysé du point de vue de l’économie politique, la façon la plus prometteuse de créer de l’emploi productif semble résider dans l’intensification de l’agriculture et le développement des industries modernes, comme l’agro-industrie. Jusqu’ici, l’agriculture a joué un rôle décisif dans la transformation économique du Ghana. En revanche, le secteur n’a pas encore réalisé tout son potentiel, puisque la croissance a été davantage portée par l’expansion des terres que par le recours aux technologies permettant d’accroître le rendement. Dans l’ensemble, le secteur agricole se porte bien et enregistre un taux de croissance annuel de 4,5 % en termes réels. Cependant, outre le cacao, peu de produits agricoles sont exportés (p. 25) et le Ghana dépend de plus en plus des denrées alimentaires importées. La transformation agricole qui s’est produite au Ghana peut s’expliquer par la hausse de la production de cacao, mais également de racines, de tubercules, d’autres cultures et de bétail. La croissance démographique annuelle de 2,5 % et l’augmentation annuelle des revenus par tête de 2,9 % ont été assorties d’une hausse de la production de denrées alimentaires de base. Il existe plusieurs façons de poursuivre la croissance dans le secteur agricole, en accélérant par exemple la production de bétail, de riz, de volaille et d’autres cultures, non seulement pour en limiter l’importation, mais également pour en exporter davantage.
Le Ghana investit-il suffisamment dans l’agriculture ? Quel rôle les modèles d’investissement dans le secteur jouent-ils dans la hausse de la productivité ? Il semblerait que depuis 1961, en général, moins de 10 % des dépenses publiques sont consacrées à l’agriculture. Dernièrement, cette part n’a été en moyenne que de 2 à 3 %, ce qui est peu, même dans le contexte africain. En outre, relativement peu d’argent a été investi dans le réseau routier ou dans d’autres infrastructures rurales fondamentales.
Les interventions publiques dans les cultures commerciales : une réussite ? Les interventions publiques dans la filière du cacao se révèlent être concluantes. Cette réussite sert de base à l’évaluation des interventions publiques dans trois autres filières, qui sont l’ananas, le riz et la tomate. Il a été établi que ces cultures présentaient un potentiel sous-exploité, car les agriculteurs ne sont pas en mesure de produire suffisamment de produits d’assez bonne qualité pour répondre à la demande du marché urbain, des entreprises agro-alimentaires et des acheteurs extérieurs, et cela en raison du manque de meilleures variétés de semences, de l’absence de contrôle de la qualité au travers de l’évaluation et de la tarification dans les filières et de la mauvaise gestion des produits une fois récoltés (notamment le transport, l’entreposage frigorifique et les ateliers de transformation modernes). Il semblerait que la mécanisation agricole au Ghana soit largement sous-exploitée. Le gouvernement pourrait donc collaborer plus étroitement avec le secteur privé afin de renforcer le développement de la mécanisation agricole.
Conclusions principales. L’ouvrage insiste sur le fait que si le Ghana veut parvenir à entretenir, ou même accélérer, le rythme de croissance de son PIB par habitant, il faut absolument qu’il élargisse son éventail d’activités agricoles et industrielles à forte productivité. Le secteur agricole offre un certain nombre de possibilités, comme celle de répondre à la hausse rapide de la demande nationale en denrées alimentaires de plus grande valeur, telles que les fruits, les légumes et les produits animaux, ainsi qu’à celle en aliments transformés et précuits. Il existe également des solutions de substitution aux produits importés comme le riz, la volaille et la tomate, et des moyens d’étendre les exportations agricoles non traditionnelles aux marchés régionaux d’Afrique de l’Ouest et d’ailleurs.
Qu’en est-il du changement climatique et des TIC ? L’ouvrage dont il est question ici est très bien écrit et fournit de bons conseils pour résoudre beaucoup des difficultés que rencontre le secteur agricole du Ghana. Il comporte des enseignements utiles dont peuvent bénéficier les autres pays d’Afrique et les conclusions et les recommandations qu’il émet reposent sur un travail d’analyse solide. Toutefois, deux aspects d’importance ne sont pas traités. Premièrement, puisque le Ghana et la plupart des autres pays d’Afrique dépendent économiquement de l’agriculture comme source de revenus, il aurait été pertinent d’aborder les dangers associés au changement climatique et les mesures qui doivent être prises pour y faire face. L’ouvrage fait référence aux perspectives d’avenir en matière d’agriculture ; or, les petits agriculteurs subissent déjà les effets du changement climatique. Il est donc impossible de parler de perspectives d’avenir si la question climatique n’est pas sérieusement abordée. Deuxièmement, la seconde partie de l’ouvrage omet de mentionner un aspect important, qui est la manière dont la technologie et l’innovation peuvent servir à accroître la productivité agricole et à faciliter l’adaptation des agriculteurs au changement climatique. Aujourd’hui, plus de 40 millions de téléphones portables sont en service au Ghana, alors que le pays compte à peine plus de 30 millions d’habitants. Les technologies mobiles et numériques peuvent être mises à profit pour améliorer l’accès au crédit et proposer des produits d’assurance abordables. Les TIC peuvent également servir à fournir des renseignements relatifs au marché et au climat.
John Asafu-Adjaye est chercheur senior et directeur de recherche au Centre africain pour la transformation économique (ACET) à Accra, au Ghana.