Au Ghana, les programmes de subvention des intrants sont ambitieux, tant par leur ampleur que par leur portée, et méritent de faire l’objet d’un examen approfondi. En s’appuyant sur une étude menée par l’IFPRI, Kwaw Andam revient sur certaines interrogations qu’ils suscitent, telles que la définition de leurs cibles et leurs effets à long terme.
Les gouvernements successifs du Ghana ont cherché à réduire les dépenses en intrants des producteurs et à leur donner accès aux nouvelles technologies agricoles afin d’accroître leur productivité. Il ne fait aucun doute qu’il existe une volonté politique de développer de tels programmes. Le plus récent, Planting for Food and Jobs (PFJ), s’avère particulièrement ambitieux. Après un projet pilote lancé en 2017 qui profitait à 200 000 producteurs, le PFJ s’est progressivement étendu à 500 000 bénéficiaires en 2018 et entend en compter 1,2 million d’ici 2020. Il dépasse tous les autres programmes en proposant également des subventions pour les semences et l’éventail des cultures qu’il couvre s’élargit avec le temps : il portait au départ sur trois céréales (maïs, riz, sorgo), trois légumes (tomate, oignon, poivron) et le soja, et s’applique désormais aussi à l’arachide, au niébé, à d’autres légumes et aux racines et tubercules. Il dispose en outre d’un budget conséquent : le gouvernement prévoit d’investir plus de 650 millions de dollars américains entre 2018 et 2021.
La nécessité d’un examen approfondi. Au vu de son ampleur et de ses objectifs de développement, il apparaît crucial d’analyser les effets du PFJ afin de guider l’élaboration de politiques, de garantir leur mise en oeuvre efficace et de définir une base qui servira à évaluer leur impact. Des actions ont récemment été menées avec le concours d’organisations comme l’IFRPI et l’AGRA pour renforcer le suivi et l’évaluation du programme ; pourtant, les résultats et effets attendus restent discutables.
Le ciblage : une question épineuse. En 2018-2019, 12 millions de dollars américains d’engrais subventionnés auraient été déplacés à l’étranger au cours de la période de semis. S’il est difficile de déterminer le montant exact, le fait que les responsables des subventions aient dû réagir (en changeant par exemple la taille des sacs d’engrais subventionnés, en les étiquetant ou en limitant la vente dans certains districts frontaliers) en dit long. Si l’exportation des engrais se révèle plus lucrative que l’agriculture, on peut se demander comment le secteur parviendra à réaliser les gains de productivité qui permettront de créer les dizaines de milliers d’emplois promis aux jeunes générations.
Mais alors, les programmes de subvention profitent-ils aux bonnes personnes ? Au vu de ce qui précède, ils pourraient être réservés à ceux qui produisent sur le sol ghanéen. À l’instar du PFJ, ils sont généralement perçus comme favorables aux plus démunis ; or, une étude publiée par Houssou dans le Journal of Development Studies en 2019 démontrait qu’en 2012, le programme ne profitait qu’à 11 % de producteurs défavorisés dans le pays, contre 72 % de producteurs plus fortunés. Si aucune cible prioritaire n’est définie, le programme risque d’échouer. S’il s’était limité aux plus démunis en 2012, il aurait permis d’aider près de 70 % des familles d’agriculteurs défavorisées du nord du Ghana. D’après l’étude de l’IFPRI, le ciblage impliquerait de déterminer plusieurs critères de pauvreté, comme l’éducation, les caractéristiques agricoles ou les conditions de logement, par le biais d’entretiens et de visites de terrain. Les nouveaux projets pilotes visant à collecter des informations sur les producteurs ghanéens vont donc dans le bon sens.
S’interroger sur les effets à long terme. L’analyse devrait également porter sur les effets du PFJ à long terme. Quel rôle jouerat- il dans l’accroissement de l’utilisation des technologies agricoles ? Par exemple, dans le secteur semencier, les subventions qu’il octroyait visaient à encourager le recours aux variétés améliorées. Or, la contribution du secteur privé au système de production des semences est faible et pourrait encore diminuer si les subventions du PFJ causent son éviction. L’octroi de subventions pour les intrants met également à mal les finances publiques dans un contexte de ressources limitées et de risques de déficit budgétaire. Il est donc crucial d’analyser rigoureusement les effets du PFJ afin de l’améliorer et de favoriser sa réussite. Plus généralement, la politique agricole du Ghana doit laisser de côté les subventions pour les intrants au profit d’autres éléments nécessaires à l’accroissement de la productivité agricole, comme la recherche et le développement de variétés de semences améliorées et l’investissement dans les infrastructures agricoles telles que les systèmes d’irrigation et les routes de campagne.
Avant de diriger l’équipe de l’IFPRI au Nigeria, Kwaw Andam a travaillé comme chercheur pour le programme de l’IFPRI au Ghana de 2014 à 2019.