Au Ghana, le cacao fournit une grande part des revenus agricoles en devises et fait vivre des millions d’agriculteurs. Sa culture affecte néanmoins l’environnement et il est crucial d’élaborer des politiques en faveur de pratiques agricoles durables afin de concilier production cacaoyère et préservation de la biodiversité.
Dans son plan d’action national pour la biodiversité (2002), le ministère de l’Environnement, de la Science et de la Technologie du Ghana annonçait voir son PIB décroître de 4 % chaque année du fait de la perte de biodiversité. Pourtant, le rôle que peuvent jouer les systèmes agricoles dans la préservation de la biodiversité a été longtemps négligé, même si celle-ci dépend largement de l’utilisation des terres agricoles et forestières situées hors des aires protégées. En Afrique de l’Ouest, l’extension de la surface dédiée à la cacaoculture menace les zones riches en biodiversité. En revanche, associer correctement l’agriculture et la foresterie peut aider à préserver les forêts et accroître leur aptitude à accueillir la culture du cacao. Les évolutions récentes en Afrique centrale et de l’Ouest indiquent qu’il est possible de réaliser des gains de productivité dans la filière du cacao grâce à des pratiques d’intensification agricole durables, comme l’agroforesterie ou la gestion intégrée de la fertilité des sols.
La cacaoculture, une culture extensive. La culture du cacao fait partie des systèmes de production les plus extensifs. Au Ghana, elle mobilise près de 1,4 million d’hectares de terres arables ; en Côte d’Ivoire, elle en mobilise 2,17 millions, au Nigeria, 700 000 et au Cameroun, 427 000. Les rendements moyens relevés dans ces pays oscilleraient entre 200 et 700 kg/ha, alors que selon les stations de recherches correctement gérées, ils devraient avoisiner les 2 000 kg/ha.
Cet écart de rendement (cf. graphique) s’explique par le vieillissement des cacaoyers (plus de 30 ans), la piètre qualité du matériel agricole, la mauvaise gestion de la fertilité des sols, la prévalence des maladies et des nuisibles, l’âge moyen des agriculteurs (plus de 45 ans) et le manque général de connaissances des bonnes pratiques agricoles. Le déplacement des activités agricoles vers les zones forestières depuis des décennies joue beaucoup dans la déforestation et la perte de biodiversité dans la forêt tropicale de Haute-Guinée. Aujourd’hui, il reste moins de 20 % de la surface forestière d’Afrique de l’Ouest. Cette perte est due pour 73 % à la cacaoculture, mais aussi à l’exploitation minière inconsidérée à ciel ouvert et à la progression de l’urbanisation.
La déforestation, un désastre au Ghana. Au Ghana, la surface forestière a disparu de près de moitié entre 1980 et 2010, passant de 8,8 à 4,9 millions d’hectares. Cette tendance se poursuit : en 2016 et 2018, les forêts primaires ont largement reculé et le World Resource Institute rapportait un taux de déforestation de 60 % entre 2017 et 2018. L’étude récente des images satellites de Krokosua Hills, Sui River et Tano Offin, trois réserves forestières classées zones d’intervention prioritaires par le programme Ghana Cocoa Forest REDD+, révélaient des taux de déforestation respectifs de 3,5 %, 3,7 % et 1,1 % entre 2010 et 2019, qui peuvent s’expliquer par l’extensification de la cacaoculture, l’explosion démographique, l’exploitation forestière illégale, l’extraction de bois à des fins domestiques et l’exploitation minière. Si l’on veut préserver les surfaces forestières restantes tout en répondant aux besoins sociaux et économiques en matière de développement et de sécurité alimentaire, il faut un nouveau paradigme de croissance pour la filière du cacao. D’après une étude réalisée par Asare et al. publiée en 2018, au travers des programmes Cocoa Hi-Tech et CODAPEC, le Ghana a distribué 110 millions de plants de cacao hybrides améliorés, 2,4 millions de sacs de 50 kg d’engrais en granulés, 1,6 million de litres d’engrais foliaires, 1 500 tonnes de fongicides et 1,7 million de litres d’insecticides entre 2014 et 2016. La durabilité de cette croissance fait débat et des réformes sont attendues.
Protéger la forêt en accroissant le rendement. Cette déforestation dramatique appelle à un débat éclairé sur la mise en oeuvre de politiques agricoles et forestières favorables. D’après la loi 617 (Timber Resources Management Act 2002) du Ghana, aucun droit forestier n’est accordé sur des terres occupées par des plantations forestières privées ou du bois d’oeuvre cultivé ou détenu par un individu ou un groupe d’individus. Cette loi, même si elle incite à la production de bois d’oeuvre dans les plantations, motive peu les agriculteurs à planter des arbres sur leur exploitation, car elle est peu connue et mal respectée.
En dépit du matériel et des intrants fournis par le gouvernement, la productivité n’a pas atteint le niveau escompté. Il est donc essentiel d’adopter une approche qui combine l’adoption de bonnes pratiques agricoles et la réhabilitation d’exploitations de cacao au sein de systèmes agricoles sédentaires, non prédateurs, lucratifs, respectueux de l’égalité des sexes, diversifiés et intégrés. Cultiver le cacao de manière durable implique d’épandre les pesticides et les engrais recommandés en quantité raisonnable, d’utiliser du matériel de meilleure qualité issu d’un vendeur certifié, d’adopter les pratiques de désherbage et d’élagage conseillées et de suivre les distances de plantation indiquées. Le respect de ces bonnes pratiques agricoles pourrait permettre de produire jusqu’à 2 000 kg/ha.
Il faudrait également créer un système innovant qui récompense les agriculteurs qui respectent l’environnement afin de garantir l’adoption de ces bonnes pratiques, l’objectif étant de réduire la dégradation environnementale, d’améliorer le rendement et les revenus des producteurs à long terme.
Diversifier les systèmes de cacaoculture. Il est possible d’accroître le rendement en facilitant la compréhension de la nutrition du cacaoyer grâce à un programme de gestion de la fertilité des sols intégré et soigneusement établi qui, assorti d’un système de diversification des cultures, peut également protéger les forêts de l’empiétement. Dans un système diversifié, le mélange d’espèces ayant des besoins et des aptitudes à produire différents peut réduire la compétition interspécifique et augmenter le rendement par unité de surface en générant divers produits, contrairement aux peuplements monospécifiques, et cela en plus de préserver les aires protégées face aux autres utilisations. La production de cacao en agroforesterie repose sur plusieurs stratégies visant à réduire l’exposition aux risques liés aux produits et aux revenus, en associant plusieurs activités (production, commercialisation, transformation, etc.), et permet d’obtenir des résultats constants dans des conditions agronomiques, environnementales et économiques diverses.
Asare et al. ont procédé en 2014 à une évaluation socio-économique des coûts d’opportunité des systèmes de production alternatifs au système agroforestier cacaoyer dans plusieurs zones forestières du Ghana. Ils ont souligné l’importance économique de la diversification et démontraient que si les agroforêts à cacaoyers peuvent faire office de corridors ou d’extension aux forêts, les arbres plantés dans les cacaoyères peuvent également servir à compenser les pertes de rendement en fournissant de l’ombre, par rapport aux plantations en plein soleil, avec un taux de rentabilité interne de 51,3 % contre 45 % pour un système de monoculture. Les agriculteurs sont payés pour les services environnementaux et écosystémiques qu’ils fournissent, en plus de bénéficier des avantages de l’agroforesterie. D’après les auteurs, cela pourrait encourager les agriculteurs à adopter ce système agricole.
Pistes de réflexion. Il est essentiel d’aligner les politiques existantes, les messages de sensibilisation et les pratiques agricoles avec les objectifs de préservation afin de maximiser leur effet. Le terrain politique des paysages de conservation influence grandement le rôle que peut jouer l’agroforesterie dans la préservation. La mise en oeuvre du programme REDD+ par la commission forestière et cacaoyère du Ghana, mais aussi des certifications environnementales (Rainforest Alliance et UTZ pour le cacao) et les initiatives des partenaires de l’industrie du chocolat (Cocoa and Forest Initiative et Sustainable Trade Initiative), rendent applicables et attrayantes aux yeux des agriculteurs et des décideurs l’utilisation de technologies innovantes telles que l’agroforesterie du cacao autour d’aires forestières protégées. Il s’agit désormais de trouver comment harmoniser les mandats, règlements, pratiques et besoins des différents acteurs qui vivent et travaillent dans ces paysages.
Richard Asare est producteur de cacao en système agroforestier. Il coordonne le projet CocoaSoils et le programme du CGIAR sur le changement climatique, l’agriculture et la sécurité alimentaire (CCAFS), qui porte sur l’intégration de pratiques agricoles climato-intelligentes dans les systèmes de production de cacao au Ghana.