Cet article présente le modèle de développement d’une filière vivrière au Ghana. Il apparaît que les acteurs du secteur privé comme Guinness Ghana jouent un rôle déterminant dans la structuration de la chaîne de valeurs du sorgho. Quelles questions cela soulève-t-il ?
Le sorgho représente la deuxième céréale produite au Nord Ghana, après le maïs. Les statistiques de production sont assez peu fiables, on estime la superficie totale emblavée à environ 250 000 hectares (ha), pour une production de 300 000 tonnes (T). On distingue le sorgho rouge, essentiellement destiné à la production de bière locale et le sorgho blanc, utilisé principalement dans l’alimentation humaine. La place de la filière sorgho au Ghana est comparable à celle rencontrée dans les autres pays d’Afrique de l’Ouest partageant des conditions agro-écologiques similaires. Le sorgho constitue donc un aliment de base pour de nombreuses communautés rurales, il est principalement cultivé pour la consommation des ménages et dans une moindre mesure pour la commercialisation.
Guinness Ghana et la filière sorgho au Ghana “Guinness Ghana Breweries Limited” (GGBL) est l’un des principaux producteurs de bière au Ghana et a souhaité depuis plus de 15 ans pouvoir produire au Ghana une partie de ses matières premières. À cet effet, GGBL a développé un système d’approvisionnement en sorgho avec les petits producteurs dans le cadre d’un système d’agriculture contractuelle (p. 28-29). Des variétés de sorgho blanc (préféré au sorgho rouge car exempt de tanins) sont utilisées. Les besoins en sorgho sont estimés à au moins 20 000 t/an mais GGBL n’a, jusqu’à présent, jamais été en mesure d’atteindre cet objectif. Il est difficile d’estimer la part des besoins de GGBL en comparaison des quantités de sorgho blanc commercialisées au Ghana, en l’absence de données sur le sujet.
Les Aggregators : clé de tout le système
GGBL est l’acheteur ultime du sorgho. L’entreprise passe des contrats annuels de fourniture avec des vendeurs, les Aggregators, sous la forme de commandes (Purchase Orders PO) stipulant les quantités, normes de qualité, variétés, prix. Le prix des contrats impose une livraison à l’usine de Kumasi, où sont réceptionnés et testés les produits, en particulier sur l’aflatoxine. GGBL est relativement peu impliquée dans le dispositif de production et de collecte ; elle ne préfinance pas les Aggregators, bien que le manque de fonds de roulement constitue le problème majeur de ceux-ci, et elle n’est pas directement impliquée non plus dans la fourniture d’intrants. En conséquence, après 15 ans de développement du système, GGBL n’est toujours pas en mesure de s’approvisionner à hauteur de ses objectifs.
Cependant, GGBL a fourni à ses plus gros Aggregators les équipements nécessaires aux tests de l’aflatoxine, le coût, élevé des tests demeurant à la charge de ces derniers. Le “purchase order” constitue une garantie de marché solide pour l’Aggregator, avec un acheteur fiable et un prix fixé à l’avance ce qui est supposé faciliter l’obtention de crédits bancaires.
En réalité, cela n’est souvent pas jugé comme suffisant par les banques pour lesquelles le secteur agricole est considéré comme très risqué ; les Aggregators doivent ainsi autofinancer leurs fonds de roulement, le manque de ressources propres limitant et retardant les capacités d’achat auprès des producteurs au moment de la récolte. Les Aggregators sont la clé de tout le système, leur rôle étant cependant très variable selon leurs capacités technique et financière. Certains Aggregators sont également fournisseurs d’intrants et ils peuvent délivrer des conseils techniques aux producteurs. Les Aggregators de GGBL disposent généralement de moyens de transport (camions), d’infrastructures de stockage et d’installation de nettoyage post-récolte.
Les Nucleus Farmers comme acteurs intermédiaires
Les “Nucleus Farmers” (le terme n’a pas réellement d’équivalent en français) font le lien entre les Aggregators et les producteurs, ils sont en contact direct avec ces derniers, avec parfois un échelon supplémentaire, des “Lead Farmers” au niveau des villages (ou “Communities”). Les Nucleus Farmers sont généralement de gros producteurs qui possèdent un ou plusieurs tracteurs. Ils fournissent ainsi le plus souvent aux producteurs des prestations de service liées à la mécanisation, en particulier le labour et aussi le battage des récoltes. Ces prestations sont le plus souvent payées en espèces, en nature pour le battage, une fraction de la production (plus ou moins 10 %) étant prélevée pour le service. Un crédit intrants, total ou partiel, peut être accordé par le Nucleus Farmer aux producteurs, selon le degré de confiance existant entre les partenaires et selon ses capacités à préfinancer le dispositif. La possession de tracteur(s) et la possibilité de fournir des services de labour (charrue à disques le plus souvent) sont cruciales pour un Nucleus Farmer, la plupart des producteurs ne disposant pas d’autres moyens pour la préparation de leurs champs.
Contrairement aux zones agro-écologiques similaires dans les pays francophones, la culture attelée est en effet très peu développée au Nord Ghana, en raison de l’importance historique relativement marginale de la filière coton (p. 34-35), celle-ci ayant été à l’origine du développement à grande échelle de la traction animale par les sociétés cotonnières en zone FCFA.
Modèle standard : un faible rôle pour les OP
Les producteurs sont le plus souvent distingués en deux grandes catégories au Ghana, les Subsistence Farmers et les Commercial Farmers. Cette approche est différente de celle historiquement promue dans le cadre des filières coton en Afrique francophone, où tous les producteurs étaient a priori considérés sur un plan d’égalité. L’objectif des dispositifs de conseil agricole est que les premiers acquièrent le statut “commercial” en s’intégrant dans le marché. Dans cette approche, les plus gros Commercial Farmers, ces paysans pilotes-modèles, peuvent créer un réseau d’Outgrowers à qui ils dispenseront un minimum de conseil technique, des services (mécanisation, intrants) et pour qui ils organiseront la commercialisation des surplus vendus, en liaison avec les Nucleus Farmers et les Aggregators. Le système mis en place par GGBL est peu contraignant, son principal intérêt pour les producteurs est la garantie d’un prix généralement plus élevé que le prix du marché au moment de la récolte. L’exemple de l’implication de Guinness Ghana dans la filière sorgho est courant pour la plupart des filières (surtout le maïs), mais souvent avec un dispositif simplifié (un ou deux échelons en moins) et un degré d’intensification variable.
Dans tous les cas, et à de rares exceptions près, les organisations de producteurs sont peu présentes et jouent un faible rôle. Pour des raisons historiques (p. 6-7) le développement des OP n’a en effet jamais constitué une priorité de la politique de développement du secteur agricole.
Lucien Rossignol est agro-économiste, il possède plus de vingt ans d’expérience dans des projets de développement rural en Afrique. Il a notamment passé quatre ans au nord Ghana, dans le cadre de projets de promotions des filières agricoles.
Abu Huudu est Directeur régional du “Régional Department of Agriculture – RDA” de l’Upper West Région à Wa, Ghana.