Dans la région Nord du Ghana, l’étuvage du riz est l’une des principales activités de transformation qu’exercent les femmes. Lors de réunions de groupes, elles font part de leurs attentes et des difficultés liées à la dévalorisation des petites entreprises agroalimentaires au profit d’un développement axé sur la modernisation.
Dans les zones rurales de la région Nord du Ghana, les femmes exercent plusieurs activités pour assurer leur subsistance. En plus d’accomplir leurs tâches agricoles et ménagères, elles génèrent des revenus en travaillant dans le secteur de la transformation agroalimentaire artisanale. Les activités de transformation et de commercialisation pratiquées à petite échelle participent au développement du micro-entrepreneuriat féminin en zones rurales, qu’il soit formel ou non. Selon le Global Entrepreneurship Monitor (GEM), les femmes d’Afrique subsaharienne détiennent l’un des taux d’entrepreneuriat les plus élevés du monde. Dans son rapport de 2015 sur l’entrepreneuriat dans le monde, le GEM déclarait que les femmes sont plus enclines que les hommes à créer une entreprise (27 % contre 24 % de la population). En revanche, au Ghana, le taux de cessation d’activité est deux fois plus élevé chez les femmes que chez les hommes.
En 2018, dans le cadre du projet UPGRADE Plus financé par l’Office fédéral allemand de l’alimentation et de l’agriculture (BLE), 27 groupes de femmes réunissant 523 participantes établies aux alentours de Tamale (districts de Gonja, Savelugu, Nanton et Tolon) ont pris part à des discussions de groupe organisées selon un principe de récit collectif participatif afin de retracer visuellement les activités exercées par chacun des groupes au fil des années depuis leur création et d’imaginer ensemble leur orientation future. L’activité de transformation la plus citée par les femmes de cette région concernait le riz, suivi du beurre de karité.
L’étuvage du riz : une activité incontournable. Le riz sert à la confection de nombreux mets ghanéens, comme le fameux riz jollof. Il est produit dans la région du Nord. L’étuvage consiste à faire tremper le riz cru dans de l’eau et à le faire bouillir, puis sécher, afin d’en faciliter la décortication. Le riz étuvé se conserve plus longtemps, car l’étuvage permet de diminuer le risque d’infestation par des insectes et évite aux grains de casser. Le temps de cuisson est également réduit. Selon le Département britannique du développement international, près de 100 000 femmes pratiquent l’étuvage du riz à domicile au Ghana. Dans la région du Nord, il s’agit d’une activité génératrice de revenus incontournable pour les femmes. Les femmes achètent le riz auprès des hommes de leur communauté ou sur le marché le plus proche. Dans plusieurs groupes interrogés, elles estimaient pouvoir transformer 2 à 3 sacs de riz par semaine. Elles expliquaient ne pas avoir les moyens d’en mettre en réserve : “Nous vendons au fur et à mesure que nous transformons.” Les participantes de l’un des groupes déclaraient : “Nous gagnons de l’argent grâce à la transformation du riz ; si le produit transformé est de qualité, il se vendra bien. Le bénéfice réalisé après déduction des charges nous permet de payer les frais de scolarisation de nos enfants et de mettre de l’argent de côté.”
Beaucoup de ces femmes confiaient que pour générer des revenus, leur premier réflexe lorsqu’elles empruntaient de l’argent à leur groupe était d’acheter du riz paddy. Elles expliquaient : “Au départ, nous étions sept et un jour, nous nous sommes dit que nous devrions nous associer afin de se réunir et de se cotiser pour aider celles qui en avaient besoin. Nous avons ensuite pensé qu’après tout ce temps, il faudrait que nous investissions davantage pour qu’un jour, l’une de nous puisse acheter un sac de riz et en tirer un peu d’argent.
Des conditions de travail difficiles. Les femmes pratiquent la transformation du riz dans des conditions difficiles. Selon l’une d’entre elles, “le plus gros problème, c’est le manque d’infrastructures. Nous n’avons pas d’usines : si nous voulons travailler, il faut se rendre dans d’autres communautés. Les camions ne peuvent pas rouler jusqu’ici pour nous aider à transporter nos produits, alors nous nous déplaçons en tricycles à moteur.” Une autre ajoutait que l’absence d’usines les empêchait d’avancer. Les usines en vente au Ghana coûtent trop cher pour les petits producteurs et les femmes ont besoin d’usines rentables pour économiser du temps et de l’énergie. Un autre groupe déclarait : “C’est pour ces raisons que nous travaillons à petite échelle. De plus, notre système d’approvisionnement en eau n’est pas fiable. Nous nous servons du feu pour la transformation du riz.”
Beaucoup de femmes nous exprimaient leur mécontentement vis-à-vis du marché et leur difficulté à trouver des acheteurs fidèles. L’une d’entre elles nous expliquait : “Parfois, nous transformons le produit, mais il n’y a personne pour l’acheter.” Puisqu’elles n’ont personne en particulier à qui vendre, elles se rendent au marché et attendent, mais ne trouvent pas preneur ou finissent par vendre leurs produits sans faire de marge pour éviter d’avoir à les ramener chez elles. Acheminer le riz jusqu’au marché leur coûte de l’argent, mais une fois sur place, c’est l’acheteur qui fixe le prix. La consommation locale de riz est en hausse, mais la demande en riz étuvé transformé à petite échelle par les femmes rurales ne suit pas. Le travail qu’elles fournissent n’est pas reconnu et lorsqu’elles sont remplacées, peu sont ceux qui s’en rendent compte. La filière rizicole évolue sans vraiment tenir compte des répercussions que cela a sur les femmes.
Au Ghana, la demande en riz est forte (p. 30). L’une des plus grandes usines de transformation du riz d’Afrique de l’Ouest s’est installée dans la région du Nord et a été accueillie comme un modèle de réussite de la modernisation de l’industrie agroalimentaire. Elle produit un riz “Made in Ghana” qui vient concurrencer les autres marques consommées au Ghana, généralement importées de l’étranger. En promettant de créer un million d’emplois dans les cinq ans suivant sa création, elle met en relief le maillon de la filière qui relie les petits producteurs à l’industrie agroalimentaire. Des acteurs du développement, telles que des ONG internationales, sont intervenus pour encourager l’usine à prendre en compte les petits producteurs de riz, car en général, les grosses entreprises refusent de multiplier leurs sources d’approvisionnement. Néanmoins, si les revenus issus de la riziculture sont généralement versés à l’homme qui porte l’étiquette de chef de famille, ceux issus de l’étuvage du riz demeurent la propriété des femmes.
Trouver d’autres moyens de subsistance pour les femmes rurales. Au vu de l’évolution des dynamiques de marché dans la filière rizicole, il convient de trouver d’autres solutions qui permettent aux femmes de continuer à gagner de l’argent grâce aux activités de transformation. Il s’agirait par exemple d’étudier la possibilité de se tourner vers la transformation d’espèces sous-utilisées, qui pourrait générer des revenus, améliorer la disponibilité d’aliments nutritifs et contribuer à l’agrobiodiversité. Le néré (Parkia biglobosa) est un exemple d’espèces sous-utilisées transformées par les femmes pour leur consommation personnelle. Elles sont de plus en plus nombreuses à envisager leur transformation à des fins commerciales, mais la population de néré est en baisse, car les arbres sauvages sont rarement remplacés une fois abattus. Il s’agit pourtant d’un élément important de l’identité des femmes Dagomba, qui s’en échangent lors d’événements marquants. Ses graines, également désignées par le terme Dawadawa, renferment une pulpe de fruit comestible et sont utilisées pour produire du thé et un condiment savoureux qui parfume les ragoûts. Il existe de nombreuses autres espèces sous-utilisées, comme l’oseille de Guinée et l’hoffe, qui offrent des possibilités de valeur ajoutée.
Puisque le Ghana investit dans la modernisation de l’agriculture, il est crucial que les mesures prises n’empêchent pas les femmes de générer des revenus. Leur voix doit être prise en compte dans la planification et les initiatives de développement rural ne doivent pas ignorer leurs besoins. Nul ne sait pour combien de temps l’étuvage du riz restera une activité incontournable pour les femmes ; il est donc essentiel d’adopter des mesures qui visent à renforcer la capacité des femmes à exercer d’autres activités. Certaines initiatives, comme la création de fonds d’innovation locaux, la formation par des pairs et la mise en place de réseaux, peuvent être intégrées à d’autres initiatives plus larges qui visent à rendre le secteur de la transformation agroalimentaire plus juste.
Margareta Lela est chercheuse senior à l’Institut allemand pour l’agriculture tropicale et subtropicale (DITSL) situé à Witzenhausen, en Allemagne