Au Burkina Faso, la Sonagess est chargée de gérer deux stocks de sécurité alimentaire, et tente par ailleurs de développer de nouvelles stratégies d’appui à la commercialisation des produits locaux par les OP. Entretien avec son directeur général.

Grain de sel : Pouvez-vous nous présenter la Sonagess, son rôle et les caractéristiques des stocks qu’elle gère ?
Tinga Charles Sawadogo : La Sonagess est la Société nationale de gestion des stocks de sécurité alimentaire du Burkina Faso. C’est un instrument public créé en 1994 pour gérer le stock national de sécurité alimentaire (SNS). Ce stock, de 35 000 tonnes, est composé de trois céréales (mil, maïs, sorgho), qui correspondent aux habitudes alimentaires des populations du pays. Il bénéficie de l’appui de bailleurs de fonds pour son financement. Les partenaires financiers et l’État décident ensemble de la mobilisation du stock et les critères de mobilisation du stock sont stricts : un des critères impose de constater un déficit d’approvisionnement de 5% sur le plan national. Or dans les faits ce taux n’a jamais été atteint. Comme le SNS ne peut pas être mobilisé si, localement, des régions connaissent des poches de sécheresse, l’État a décidé de mettre en place en 2005 un autre stock, plus souverain : le stock d’intervention (SI). Ce dernier, de 10 000 tonnes, est plus souple dans son déclenchement, afin de répondre de façon ponctuelle à des cas critiques : pic de prix, sinistre climatique ou déficit de production dans une zone. Entièrement financé par l’État, le SI est composé de sorgho, mil, maïs, niébé et riz. Il est mobilisé via des ventes de céréales à prix modéré ou social pour les couches vulnérables. Ces ventes sont confiées aux Conseils provinciaux de secours d’urgence (Coprosur) qui connaissent les familles vulnérables sur le terrain. La Sonagess exerce un suivi de ces ventes pour le recouvrement.
L’État burkinabé a un contrat plan avec la Sonagess pour assurer la gestion des stocks (réception du stock, approvisionnement des magasins de stockage, entretien et mobilisation en cas de besoin). Quand des pays étrangers fournissent une aide alimentaire au Burkina, la Sonagess réceptionne les stocks et agit sur instructions de l’État : distribution gratuite ou ventes à prix sociaux.

GDS : Comment se fait l’approvisionnement des stocks? Quels liens tissez-vous avec les OP ?
TCS : L’approvisionnement des deux stocks se fait par appels d’offre ouverts notamment aux OP, pour lesquelles la Sonagess réserve une part de l’approvisionnement afin de leur permettre de collecter et vendre les excédents de céréales de leurs membres. Les autres compétiteurs sont par exemple Afrique Verte pour le niébé, ainsi que le Comité interprofessionnel des céréales du Burkina (CICB) et le Comité interprofessionnel du riz du Burkina (CIRB) au nom du maillon des commerçants qui en sont membres. En 2010, les organisations de producteurs Feppasi, UGCPA et UNPCB ont remporté les appels d’offres. Il faut garder en tête que parmi les autres acteurs qui répondent aux appels de la Sonagess, il y a des opérateurs qui s’approvisionnent aussi chez les paysans.
Les OP sont en compétition entre elles : la Sonagess dépouille les dossiers, conserve les moins disant, tout en vérifiant leurs capacités à produire et à pouvoir livrer.
Afin de faciliter les démarches parfois trop contraignantes, la Sonagess accorde des dérogations aux OP. Nous sommes conscients que les OP ne peuvent pas fournir les mêmes documents que les commerçants. De même, les conventions entre la Sonagess et les producteurs ne sont pas enregistrées sur le plan fiscal. On note tout de même que les OP sont de mieux en mieux organisées pour répondre à nos appels. Par exemple, en 2010, l’État a mis à la disposition de la Sonagess un financement de 8 milliards de FCFA sous forme de filets sociaux, en réponse à la crise alimentaire. La Sonagess a ainsi pu acheter directement aux OP, 20 000 tonnes de produits, toutes spéculations confondues, et leur a également apporté un appui commercial.

GDS : Quelles sont les stratégies de la Sonagess pour soutenir les produits locaux ?
TCS : Notre approche stratégique est de favoriser les produits locaux. C’est pourquoi la Sonagess a ouvert récemment son stock d’intervention à de nouveaux produits locaux, comme le riz et le niébé.
En 2008, suite à la crise des prix, l’État a largement subventionné la production de riz (semences, engrais), ce qui a permis de doubler la production en un an. Du coup, un problème de commercialisation s’est posé. L’État a alors mandaté la Sonagess pour collecter le riz paddy auprès des paysans et le décortiquer (travail avec les transformateurs) afin d’approvisionner les cantines scolaires, prisons et hôpitaux. Cela a permis d’accompagner les producteurs dans l’écoulement de leurs produits et de stabiliser les prix grâce à la fixation d’un prix plancher. La Sonagess intervient également dans le remboursement en nature des crédits de campagne octroyés aux producteurs, en collectant et stockant 15 à 20% de leur production.
Aujourd’hui, excepté dans les cas d’aide alimentaire, notre politique est de n’acheter que du riz local. Nous travaillons aussi en partenariat avec des organisations féminines étuveuses de riz, dans le Sourou, à Bagré, Bama et Banzon, pour approvisionner les cantines scolaires.
La Sonagess encourage également la production de niébé, qui constitue un marché important pour le Burkina Faso. En vue d’approvisionner des cantines scolaires, la Sonagess a ainsi acheté 13 000 tonnes de niébé en 2010 et 8 000 tonnes en 2011, en contractualisant avec des producteurs. Dans la même lignée, l’État a lancé un projet pilote « niébé » pour 10 000 femmes via la fourniture d’intrants. Par exemple, dans le Bam, la Sonagess a collecté cette année 100 t de niébé (260 000 FCFA/t donc 26 millions payés !). L’an dernier nous avons acheté 750 millions de CFA de niébé dans une seule province. Au bilan, la Sonagess a acheté 2 750 000 CFA de niébé l’an passé pour les cantines scolaires.

GDS : Quelles sont les stratégies de la Sonagess en matière d’accompagnement des OP à la commercialisation de leurs produits agricoles ?
TCS : Aujourd’hui la Sonagess s’engage dans de nouvelles activités. Ainsi, nous souhaitons développer la vente commerciale du niébé et servir d’intermédiaire commercial, en collectant et revendant le niébé à un certain prix pour dégager une marge de fonctionnement. L’idée est d’aider ainsi les OP à écouler leurs produits. La Sonagess s’assurerait de la qualité du produit avant de le vendre. Notre ambition est d’écouler le niébé à l’extérieur du pays : l’an dernier nous avons eu un contrat de 1000 tonnes de niébé avec le Nigeria mais à la dernière minute les acheteurs se sont désistés. Beaucoup de pays sont intéressés pour l’achat de niébé, notamment le Ghana et le Nigeria, mais nous n’avons pas encore réussi à nous entendre sur la transaction ; ils sont durs en affaire !
Pour initier cette nouvelle stratégie, nous avons mis en place depuis 2010, sur fonds propres, un stock afin d’aider à la commercialisation des produits, et de renforcer la collecte des excédents auprès des paysans. C’est en quelque sorte un « accompagnement commercial » des producteurs. Nous envisageons par exemple de proposer aux grands services de l’État (Onatel, etc.) des produits locaux via des comités d’entreprises. Nous souhaitons faire de même pour la pomme de terre.
La Sonagess a permis également de relancer des petites entreprises de transformation. Par exemple, l’an dernier, elle a récolté 1056 tonnes de riz dans le Sourou et les a fait décortiquer sur place par 4 transformateurs (petites entreprises). De la même façon, à Banzon, 400 tonnes de riz ont été achetées et nous les avons fait décortiquer par un transformateur.
Une autre de nos ambitions est de travailler sur la qualité : nous avons à ce titre des agents d’appui formés sur la qualité, et des critères précis de qualité sont mentionnés dans les contrats avec le fournisseur. La Sonagess fournit par ailleurs un appui conseil auprès des OP, afin de les former notamment au stockage et au traitement post-récolte.
Enfin, au-delà du commerce de céréales, la Sonagess souhaite travailler sur la transformation et la valorisation des céréales sous forme de semoules, farines, etc.

GDS : Quelle vision avez-vous de la mise en place de stocks régionaux de sécurité dans le cadre de l’Ecowap ?
TCS : La création d’un stock régional a été entérinée en février 2010 au Sénégal, avec la rédaction d’un règlement intérieur et de statuts. La solidarité entre les pays de la région est primordiale. Une seconde rencontre a eu lieu à Accra en décembre 2010 et en mars dernier, il ne restait que les dernières mises au point à régler et surtout que les autorités politiques donnent leur accord.
Nous avons proposé de constituer à partir des offices nationaux existants (Sonagess, OPVN au Niger, Opac au Mali, Osat au Togo, etc.) un « noyau technique » du stock régional qui soit l’organe en charge de proposer les décisions à prendre, soit au niveau ministériel, soit au niveau des chefs d’États. Il nous semble également important de veiller à ce que la gestion de cet organe soit indépendante : il serait ainsi préférable que ce soit la Cedeao qui gère ce stock, plutôt que les États.

Initiative P4P du Programme alimentaire mondial, une opportunité de débouché pour les OP

Le programme P4P (« Purchase for Progress » signifiant « Achats au service du progrès »), initiative du Programme alimentaire mondial (PAM), vise à aider les petits producteurs en leur offrant des débouchés et en les rendant compétitifs sur les marchés agricoles. Lancée à titre de pilote en 2008 pour 5 ans et dans 21 pays, la démarche repose sur 3 piliers :

  • les achats du PAM : le PAM achète chaque année de grandes quantités de denrées alimentaires qu’il redistribue dans les zones sensibles sur le plan humanitaire. Par cette initiative, le PAM teste des modalités novatrices d’achat de produits alimentaires auprès des petits producteurs, par exemple sous forme de contrats directs, de contrats à terme ou d’appels d’offre simplifiés.
  • les partenariats avec les producteurs : le PAM assure un renforcement des capacités des OP partenaires sur ces opérations d’achat, notamment pour l’augmentation des rendements, la réduction des pertes post-récoltes ou encore l’amélioration de la qualité des produits. D’autres appuis en matière de gestion d’OP, de connaissance des marchés et pour l’accès au crédit sont aussi apportés.
  • l’apprentissage et le partage des connaissances : à l’issue du programme pilote de 5 ans, les enseignements seront partagés de manière à ce que les petits agriculteurs tirent le plus grand parti possible de la vente de leur production excédentaire. Les pratiques optimales qui auront été identifiées seront intégrées aux programmes du PAM et largement diffusées parmi les parties prenantes.

En Afrique de l’Ouest, l’initiative P4P touche 5 pays pilotes : Burkina, Mali, Ghana, Libéria, Sierra Léone. Au cours de la période 2008-2011, le l’Agence du PAM a acheté 105 000 tonnes de vivriers au niveau de ces 5 pays, dont 16% ont été effectués au niveau des petits agriculteurs dans le cadre du programme P4P.
Sources : PAM

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