Le riz fait partie des habitudes alimentaires du Burkina (25 kg par habitant et par an) surtout en milieu urbain (50 kg par personne et par an). La croissance de la consommation de ce produit a fortement augmenté en 2005, année déficitaire en céréales, où le riz était alors importé à un prix bas. Avant 2008, le Burkina produisait 60 000 tonnes de riz « blanc » soit 100 000 tonnes de paddy et en importait quatre à cinq fois plus, soit environ 250 à 300 000 tonnes. Compte tenu de la part autoconsommée par les producteurs dans les zones de production, la quantité de riz local arrivant sur les marchés urbains restait faible (provenant surtout des périmètres irrigués), saisonnière, et surtout largement minoritaire en milieu urbain. La facture des importations est estimée pour le pays à 40 milliards de FCFA soit approximativement plus du quart des recettes cotonnières.
Le Gouvernement du Burkina prend des mesures en réponse à la crise alimentaire
Début 2008, la flambée des prix des produits de base importés (lait, huile, sucre, etc.) et du riz évidemment, provoque des manifestations violentes contre la « vie chère » dans les grandes villes. Le Gouvernement prend des mesures pour réduire le coût des produits alimentaires importés : des mesures essentiellement fiscales par la suppression ou la diminution des droits de douanes et de la TVA, des mesures pour fixer et contrôler les prix (peu opérantes) et des interventions sur le marché, notamment des ventes de céréales à prix réduit. En plus de cela, le Gouvernement lance un « programme d’urgence pour la sécurité alimentaire » afin d’augmenter les productions vivrières de la campagne 2008, en ciblant plus particulièrement la production rizicole.
Appui à la production rizicole et soutien à la commercialisation
Ainsi sont prévus la distribution gratuite de 2 750 tonnes de semences de riz, la vente à crédit et à un prix subventionné de 10 000 tonnes d’engrais et l’envoi « d’encadrement technique » sur les principaux périmètres rizicoles. Les « semences sélectionnées » ne sont pas toutes des semences (souvent du paddy « tout venant » acheté aux coopératives), les engrais ou le personnel technique n’arrivent pas toujours à temps, mais globalement ces mesures encouragent fortement la production rizicole, notamment pluviale dans les centaines de bas-fonds du Burkina. Un encouragement appuyé par une météo très favorable pour la riziculture de bas-fonds.
Les chiffres annoncés pour la récolte sont « énormes », la production aurait augmenté de 242% passant de 68 000 tonnes à 235 000 tonnes de riz blanc, soit 350 000 tonnes de paddy. Les autres productions vivrières sont également en augmentation.
Les responsables du plan d’urgence anticipent ces augmentations de production en voulant soutenir la commercialisation à des « prix rémunérateurs ». Un « comité de réflexion » d’une cinquantaine de personnes est mis en place avec des représentants des commerçants, des consommateurs, une majorité d’agents de l’administration et de projets et… trois ou quatre représentants des producteurs. Son objectif : fixer un prix à la fois « rémunérateur » pour les producteurs et intéressant pour les consommateurs. Il est également prévu de remettre en route les unités industrielles de décorticage dont une grande partie ne fonctionnent plus depuis 2004 et de voir comment l’État et les commerçants organiseront la collecte du paddy et la commercialisation du riz.
Du prix « rémunérateur » au « prix plancher »… l’État tranche
Divers scénarios de prix sont étudiés par le Comité de réflexion prenant en compte théoriquement les coûts de production des riziculteurs, les charges et les marges des différents acteurs (producteurs, transformateurs et commerçants). En septembre, le groupe arrive aux recommandations suivantes : un coût de production estimé à 103 FCFA, un prix de vente au consommateur à 350 FCFA et un prix d’achat du paddy aux producteurs de 125 ou 135 FCFA, tout en faisant une recommandation forte pour que l’État puisse ajouter une prime, afin d’encourager les producteurs à accroître leur production et leur productivité.
Mais lors de la réunion suivante, en octobre, il n’est plus question de négociation. Le Gouvernement « propose » un prix qui n’est plus qualifié de « rémunérateur » mais de « plancher » : 115 F/kg. De plus la commercialisation sera organisée afin que les producteurs livrent (aux unités de transformation et commerçants) 90% de leur production dont 15% seront destinés aux femmes étuveuses. Les représentants des producteurs sortent de la réunion sans valider ce prix, jugé trop bas. En effet, au même moment, les étuveuses achètent le paddy à 150/160 FCFA le kg. Par la suite ils demandent officiellement que le prix du paddy soit fixé à 175 FCFA.
Deux rencontres rassemblant commerçants, transformateurs et producteurs sont organisées par le Comité interprofessionnel du riz, mais elles ne permettent pas d’arriver à un accord. Il est quand même décidé que les producteurs vendent du paddy à 115 FCFA pour rembourser les intrants fournis à crédit par l’État. Pour les autres opérateurs, le prix sera fixé lors des transactions. Les femmes étuveuses continuent à acheter une grande partie de la production autour de 150 F/kg de paddy. Les paysans des bas-fonds rizicoles, peu organisés et peu informés, ont commencé à vendre à 115 F/kg en trouvant ce prix rémunérateur. Depuis certains se sont rendus compte que les collecteurs revendaient à des prix nettement plus élevés et ont aligné leurs prix sur ceux des périmètres irrigués.
État et producteurs : des préoccupations et priorités différentes
Il est évident que l’État recherche un prix du riz le plus bas possible pour satisfaire ou venir en aide aux populations urbaines frappées par la crise et capables de manifestations explicites de leur mécontentement. L’État estime également qu’il a apporté une aide substantielle aux producteurs et donc qu’en retour, les producteurs doivent fournir les consommateurs à un prix jugé raisonnable.
Mais, ces dernières années, les paysans ont dû faire face aux aspects négatifs de la loi du marché – les prix étaient bas, c’était à eux d’être compétitifs… Maintenant que la fameuse « loi du marché » est davantage en leur faveur, il leur faudrait vendre leur production à un prix beaucoup plus bas. Est-ce juste ?
Mais surtout il est dommage que les intentions du groupe de réflexion ne se soient pas concrétisées. Les membres de ce groupe avaient semble-t-il bien compris que pour relancer la riziculture burkinabè, il était important que les producteurs puissent avoir des revenus plus élevés, susceptibles non seulement de les nourrir, mais en plus de leur permettre d’inÛ vestir. C’est cet investissement dans l’entretien des infrastructures et surtout dans l’amélioration de la productivité qui peut permettre, à moyen terme, une augmentation de la productivité et la fourniture de riz à des prix compatibles avec les revenus de la population.
« L’État n’a pas peur de vous les paysans. En février, ceux qui ont cassé les villes de Bobo, de Ouaga, de Banfora, etc. n’étaient pas des paysans, mais bien des fonctionnaires. C’est ceux-la qui peuvent faire tomber le Gouvernement et les autorités en sont bien conscientes… ». Ce « cadre du ministère » qui s’exprime très bien, mais loin de certaines oreilles indiscrètes a tout résumé, car depuis 1997 (plus de 10 ans) nos autorités ne jurent que par les lois du marché, pour rémunérer les producteurs. Or si depuis janvier 2008, les lois du marché sont favorables aux producteurs, et qu’ils devraient être rémunérés par le marché pour la première fois depuis plus de 10 ans survient le prix plancher ! Une source de discorde importante entre l’État et les producteurs. Ces derniers estiment que le prix plancher est bien un prix minimum et que si certains acteurs leur proposent d’acheter à un prix supérieur ils sont libres de vendre. En revanche, le ministre de l’Agriculture s’estime « feinté », et traite les producteurs de manipulateurs attirés par le profit… En effet, l’État avait dégagé un budget de 4 milliards de FCFA pour acheter du riz au prix plancher afin de ravitailler les hôpitaux, les écoles, l’armée, mais les paysans ne veulent pas vendre à ce prix. Si le soutien du Gouvernement en matière de relance de la filière « riz local » leur a été bénéfique, les relations entre État et producteurs ne sont donc pas au beau fixe. Ainsi, le 9 février dernier, le journal Sidwaya relatait- il les propos du ministre de l’Agriculture Laurent Sédégo : « Vous nous avez feinté et c’est décevant. […] Nous n’achèterons pas votre riz à plus de 115 FCFA le kg. Autant revenir au riz importé ! ».
Des tensions regrettables, surtout après de réels efforts de concertation… qui avaient été un des rares effets « positifs » de la crise alimentaire. Gageons que chacun saura raison garder, pour que tous s’y retrouvent, consommateurs comme producteurs.
Armel Guenguéré est étudiante en Économie et Sciences de gestion, en 4e année à l’Université de Koudougou, et réalise un stage sur les comptes d’exploitations des étuveuses de riz.
Patrick Delmas est membre du comité de rédaction de Grain de sel et membre d’Inter-réseaux.