De nombreux pays (en Amérique latine, Asie, aux États- Unis, en Europe) ont adopté des politiques ambitieuses de développement des agrocarburants, impliquant généralement des modes de production à échelle industrielle. Ainsi, l’Union européenne s’est fixé un objectif de substitutions de 10 % d’ici 2020 dans le secteur des transports. L’ampleur même de cet objectif est aujourd’hui fortement critiquée. Tout d’abord, la question se pose de la pertinence de « l’alternative agrocarburant » sans objectif préalable de réduction des consommations. En outre, les surfaces agricoles disponibles en Union européenne ne sont pas suffisantes étant donné les besoins en surfaces à vocation de production alimentaire. Les pays en développement – et notamment africains – deviennent des lieux de production et d’importation potentiels. En plus de la compétition évidente avec la sécurité alimentaire, cela entraîne des impacts environnementaux et des risques de conflits sur l’usage des terres déjà observés par le passé avec d’autres modèles agricoles intensifs. Une large controverse existe ainsi aujourd’hui sur les impacts négatifs potentiels de la mise en culture, à très grandes échelles, de terres à des fins énergétiques.
Des filières alternatives non nocives, qui répondent à des besoins réels.
Parallèlement, on voit émerger plusieurs projets, notamment dans les pays du Sud, de filières alternatives dites « de proximité » qui visent la production d’agrocarburants à usage local (production d’électricité, mécanisation, transport local). Ces filières, aujourd’hui au stade de recherche- action pour la plupart, sont elles aussi confrontées à la polémique en cours. Soit parce qu’un amalgame est fait avec les filières industrielles, soit parce que l’on considère qu’elles sont minimes et donc négligeables au regard des enjeux en présence.
Pourtant, elles représentent, selon nous, une opportunité pour les pays du Sud i) de créer des revenus en zones rurales ii) de lutter contre la précarité énergétique iii) d’en retirer des enseignements pour une plus grande clairvoyance sur les risques et opportunités des agrocarburants en général.
La notion de précarité énergétique et d’accès aux services énergétiques est cruciale pour comprendre l’intérêt des filières alternatives au Sud. Les ménages les plus pauvres des pays en développement dépensent jusqu’à 30 % de leur budget pour l’accès à l’énergie. Les populations souffrent d’un accès limité et aléatoire à l’énergie, plus particulièrement en zone rurale distante des infrastructures (ports, routes goudronnées) ¹. La précarité énergétique est intimement liée à la raréfaction de sources d’énergie locales surexploitées (bois, charbon) et à l’inefficacité de l’approvisionnement en énergie moderne à coût raisonnable (produits pétroliers, gaz, électricité). Pourtant, le développement de « services énergétiques » appropriés est une condition essentielle à la satisfaction de certains besoins fondamentaux comme l’accès à l’eau, à l’électricité tout d’abord. Mais pas seulement, il est aussi indispensable à la mise en œuvre d’activités productives comme la transformation et la conservation des céréales qui permettent une plus haute valeur ajoutée et sont les seules garantes d’une dynamique de développement rural à long terme. Est-il besoin de rappeler que l’amélioration de l’accès à l’énergie fait partie des Objectifs du millénaire pour le développement ?
Pourquoi et comment des filières de proximité ? On entend par « filière de proximité » une production d’agrocarburant local à usage local et dont les bénéfices reviennent aux populations rurales. Ces populations doivent pouvoir s’approprier la production grâce à des technologies simples, peu coûteuses. Ces filières s’inscrivent dans un plan de développement des services énergétiques là où ils ont disparu ou n’ont jamais été déployés du fait de coûts de carburants trop élevés. L’huile végétale apparaît souvent comme emblématique de ces filières puisque qu’elle s’obtient par un processus mécanique d’extraction à partir de graines puis de décantage/filtrage relativement simple. L’approche en « circuit court » vise l’optimisation des coûts de production et place les petits producteurs au cœur des filières. Tout en fournissant la matière première, ils pourraient, par exemple, être actionnaires de l’unité d’extraction et distributeurs de l’huile. Leur implication dans l’ensemble de la filière est primordiale. Il n’existe pas un modèle seul et unique de filière. Compte tenu de l’importance de l’enjeu que représente l’accès à l’énergie, de nombreuses ONG des pays du Sud associent la production et l’utilisation d’agrocarburant dans leurs projets de développement local. Dans tous les cas, la mise en place des filières relève d’un processus de recherche- action complexe et de long terme. Il requiert l’implication des populations locales, en association avec les opérateurs de services énergétiques, les agriculteurs, les ONG de développement rural. Il vise à lever les barrières techniques, économiques et sociales de ces filières pour lesquelles de nombreuses incertitudes persistent et sont autant de risques.
Jeunes plants de Jatropha curcas
Des résultats encourageants pour les travaux du Geres et de l’Association malienne d’éveil au développement durable (Amedd). Le Groupe énergies renouvelables, environnement et solidarité (Geres) intervient au Sud Est Mali depuis 2006, en partenariat avec l’Association malienne d’éveil au développement durable (Amedd) et avec la société d’électrification rurale Yéelen Kura, pour le développement d’une filière de production d’huile de Jatropha (cf. encadré) locale couplé à l’amélioration des services énergétiques ruraux.
Les actions menées depuis 2006 ont principalement consisté en de la recherche-développement pour la maîtrise des itinéraires techniques du Jatropha, des essais aux huiles végétales sur des moteurs convertis. Une action de mobilisation sociale a également été entreprise pour mieux impliquer les acteurs ruraux dans la filière. Enfin, un dispositif de suivi-évaluation des filières a été mis en place afin de mieux les accompagner. Les indicateurs portent, par exemple, sur la durabilité des filières, etc. L’analyse individuelle et collective s’intéresse aussi bien à l’analyse des succès qu’à celle des échecs. Si les résultats sont encourageants avec 800 agriculteurs impliqués au Mali, des incertitudes techniques persistent (comme le dimensionnement des unités d’extraction, les rendements des plantes, etc.).
Réunion d’animation avec les agriculteurs
Filières à suivre. La crise alimentaire mondiale a encore une fois prouvé les limites des agrocarburants industriels et confirme leur remise en question. En revanche, occulter dans le même temps les modèles alternatifs revient à priver les pays en développement de solutions énergétiques durables, alors que ce sont ces mêmes pays en développement qui payent le plus lourd tribut à la spéculation énergétique actuelle. De plus, compte tenu de la diversité des projets en cours dans ces pays (investisseurs, ONG), la mise à disposition d’informations et d’analyse fiables sur la viabilité des filières ou les modalités d’implications économiques pour les petits producteurs est primordiale. Il s’agit de montrer les opportunités aussi bien que les risques à s’engager dans la production d’agrocarburants. Le processus de rechercheaction sur les filières alternatives est le moyen d’apporter aux pays du Sud un argumentaire économique, social et technique solide, et adapté à chaque contexte. Le Geres, en consortium avec l’Iram, développe un dispositif de suivi-évaluation pour l’ensemble de la région ouest africaine.
1. Dans des villages du sud-Bénin où le revenu mensuel par ménage ne dépasse pas 30 €, un litre de pétrole lampant pour une semaine d’éclairage domestique coûte actuellement 1,70 €.
Encadré : Le Jatropha curcas
LE JATROPHA CURCAS (« Pourghère » dans les pays francophones), est une des plantes à huile qui suscitent l’intérêt de nombreuses organisations de développement dans la perspective de produire des agrocarburants locaux. Cet arbuste de la famille des euphorbiacées est peu exigeant, il peut pousser sur des sols sableux, secs, dégradés – contextes dans lesquels ses rendements seront affectés mais pas anéantis. En plantation, la production de graines débute à 18 mois et le rendement optimal est atteint après 6 ans, avec deux récoltes de graines par an. Ces graines contiennent en moyenne 30 à 35 % d’une huile non comestible, ce qui a l’immense avantage de ne pas mettre son usage pour les agrocarburants en compétition avec un usage alimentaire. Le rendement du Jatropha, planté en haies, serait de l’ordre de 0,8 à 1 kg/mètre linéaire. De nombreux paramètres restent encore méconnus sur les véritables performances des plantations de Jatropha curcas notamment en lien avec le type de variétés plantées, les itinéraires techniques, l’apport ou non d’une irrigation.
Association créée en 1976, au lendemain du premier choc pétrolier, le Groupe Énergies renouvelables, environnement et solidarité (Geres) intervient en France et dans 8 pays d’Afrique et d’Asie. Préserver l’environnement, limiter les changements climatiques et leurs conséquences, réduire la précarité énergétique et améliorer les conditions de vie des populations pauvres, tels sont ses objectifs. http:// geres.free.fr