Auteur:
Sarah Bouziri, la rédaction de Grain de sel gds@interreseaux.org
Raréfaction du pétrole, hausse des prix du baril et réchauffement climatique ont accéléré le développement des agrocarburants. Mais, du fait de la hausse des prix agricoles et d’un bilan environnemental discutable, ces derniers sont aujourd’hui de plus en plus décriés. Qu’en est-il précisément et quels sont les enjeux ? Éclairages…
Une petite place dans les énergies
Dans le bouquet énergétique global, on trouve 35 % de pétrole contre 10 % de biomasse et déchets, dont seulement 1 % d’agrocarburants (carburants issus de productions agricoles), une niche donc sur le marché de l’énergie. Ils sont présentés comme une des solutions alternatives au pétrole (énergie fossile), avec l’énergie éolienne, hydraulique, solaire, le biogaz, etc. Solution partielle, la transformation en énergie de la biomasse planétaire (bois, biogaz et agrocarburants) ne pouvant satisfaire les niveaux de consommation actuels. Il faut aussi rappeler que le principal levier de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) est de diminuer la consommation d’énergie.
L’alcool et l’huile : deux énergies pour nos moteurs
Les agrocarburants ont été désignés comme solution pour « rouler propre ». Leur combustion est sensée dégager moins de GES que celle du pétrole (bien que désormais, diester ou diesel dégagent quasiment la même chose). Mais surtout il ne s’agit pas de carburant fossile et donc leur bilan carbone devrait être nettement plus favorable que ceux du pétrole et ses dérivés. Le boom du prix du pétrole a également provoqué un vif engouement pour ces énergies. Il existe aujourd’hui 2 filières :
- La « filière alcool » du bioéthanol/ agroéthanol issu de la fermentation alcoolique du sucre de betterave, canne à sucre, maïs, blé, sorgho doux, manioc, etc. ;
- La « filière huile » du biodiesel/ agrodiesel issu de l’estérification ou de l’extraction directe d’huiles végétales de palme, colza, jatropha, tournesol, ricin, etc.
Les rendements énergétiques sont très variables d’un produit à l’autre et les agrocarburants peuvent être mélangés aux carburants fossiles selon des proportions variables (5 à 100 %). Ainsi l’éthanol issu de la canne à sucre offre un meilleur « impact environnemental » que l’éthanol issu du maïs des États-Unis et le biodiesel européen.
L’histoire des agrocarburants n’en est qu’à ses débuts
Ces dernières années, la production mondiale d’agrocarburants a fortement augmenté, surtout pour l’éthanol qui atteint plus de 60 milliards de litres en 2007 contre 10 milliards pour le biodiesel. C’est au Brésil que la production d’éthanol à base de canne à sucre a été initiée à grande échelle suite au premier choc pétrolier (1973).
La première génération, issue de matières premières alimentaires (graines de colza, soja, tournesol, canne à sucre, etc.) dispose d’un bilan environnemental aujourd’hui critiqué. Par ailleurs, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estime que l’augmentation de la production d’agrocarburants est responsable de 1/4 à 1/3 de l’augmentation des prix des matières premières agricoles.
La deuxième génération, issue des matières premières non alimentaires ligno- cellulosiques (productions végétales non alimentaires, déchets agricoles et débris végétaux, bois, feuilles, tiges, pailles, etc.), aurait un effet meilleur sur l’environnement et moindre sur la sécurité alimentaire. Bien que les cultures du miscanthus, du jatropha, du moringa, etc., seraient tout de même source de concurrence sur les terres et les ressources, et détourneraient des producteurs des cultures alimentaires.
La troisième génération, issue de microalgues, est encore un sujet de recherche pour de nombreuses années, même si le premier vol expérimental d’un avion de ligne avec carburant partiellement issu de microalgues a eu lieu début janvier 2009.
Les risques et les opportunités sont à évaluer selon les cas
La distinction entre 1ière et 2ième génération ne suffit pas pour révéler la complexité de ces nouvelles filières, la destination des productions et leurs modes de cultures étant déterminants dans l’écobilan global comme le montrent les deux exemples suivants.Les agrocarburants destinés à l’exportation sont en majorité issus des grandes monocultures intensives allant jusqu’à plusieurs milliers d’hectares (Brésil, États-Unis, Indonésie, etc.) et font l’objet de nombreuses critiques. L’écobilan global est médiocre par rapport à celui du pétrole si l’on considère les consommations d’eau, d’engrais (issus du pétrole), de pesticides, de terres, et de carburants. Selon Paul Crutzen, la production d’1 litre d’agrocarburant en intensif (engrais azotés) peut contribuer jusqu’à 2 fois plus à l’effet de serre que la combustion d’1 litre de pétrole.
Pour Jean-Marc von der Weid, « les capitaux investis dans l’industrie du sucre misent sur les meilleures terres » brésiliennes et les surfaces vivrières reculent tandis que la forêt et la biodiversité sont menacées. De plus, ces grandes monocultures augmentent la pression foncière, souvent aux dépens de la forêt, et menacent les agricultures familiales vivrières.Les « Filières de proximité », leviers de développement local ? Des projets pilotes sont lancés dans plusieurs pays africains I. Il s’agit de mettre en place des cultures énergétiques destinées à la consommation locale d’huile pure dans les campagnes isolées. L’énergie obtenue sert alors à produire de la lumière et à faire tourner des moulins à grains, des pompes à eau, des machines à souder, des tracteurs, etc. Cette énergie étant moins coûteuse que le gasoil allège la facture énergétique des exploitations. Des co-produits peuvent aussi être valorisés en aliments du bétail. Le jatropha, plante non alimentaire, est également prônée du fait de sa capacité à pousser sur sols pauvres ou en haies autour de champs cultivés ou de jardins.
Un marché mondial porteur à terme
La Conférence des Nations unies sur le changement climatique à Copenhague (décembre 2009) doit aboutir à la signature d’un accord climatique s’inscrivant dans la suite du protocole de Kyoto. En attendant, les pays se préparent.
L’Union européenne a adopté le « paquet climat-énergie » (décembre 2008) visant notamment à atteindre 20 % de consommation d’énergies renouvelables d’ici 2020. Il s’agit d’un enjeu économique de taille, notamment pour les producteurs français de betterave et de colza. Des importations sont cependant à prévoir. Il faut aussi signaler que, en France, suite au « Grenelle de l’environnement », le gouvernement a remis en cause le plan de soutien aux agrocarburants.
La loi d’orientation sur l’énergie aux États-Unis (2007) prévoit de multiplier par 5 sa production d’agrocarburants d’ici 2022, soit atteindre 136 milliards de litres. Mais, après l’euphorie de 2007, la filière (producteurs et usines de distillation) affiche des résultats désastreux en 2008 du fait de la chute de la demande et des prix du pétrole.
Le Brésil, premier producteur mondial d’éthanol, satisfait sa consommation nationale et cherche à développer ses exportations. Les surfaces consacrées à la canne à sucre augmentent de 15,7 % par an au sud du pays (Institut national d’études spatiales).
Des politiques et stratégies nationales de promotion des agrocarburants sont aussi mises en place dans de nombreux pays ouest-africains (Sénégal, Ghana, Nigéria, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Niger, Mali, Bénin, etc.).
L’avenir des agrocarburants doit donner lieu à étude, bilan et choix politiques
Selon la FAO, les politiques publiques incitatives sont la principale cause de la croissance de la production d’agrocarburants. Ces derniers ne seraient en effet pas rentables sans subventions publiques (d’après la FAO, les pays de l’OCDE auraient soutenu les agrocarburants à hauteur de 11,3 milliards de dollars en 2006). Il convient de comparer dans la durée le coût moyen de l’extraction du pétrole dans les nouveaux gisements et le coût de production des agrocarburants.
Ainsi, les enjeux des agrocarburants sont économiques (facture énergétique, intérêt en matière de développement local et rural), politiques (sécurité énergétique et souveraineté alimentaire, utilisation de la terre), sociaux (emploi, revenus) et environnementaux (bilan carbone, biodiversité, protection des forêts, utilisation d’organismes génétiquement modifiés, etc.).
Les changements rapides de contexte mondial (volatilité des prix des produits alimentaires et du pétrole) ont fait évoluer les bases de raisonnement sur l’intérêt des agrocarburants produits actuellement. Une chose est sure : ils ont aujourd’hui une trop faible capacité à répondre aux besoins énergétiques sans nuire aux prix de l’alimentation et à l’environnement. La 2¨ génération et les filières de proximité suscitant beaucoup d’espoirs, la recherche doit continuer à étudier les bilans globaux, les effets sur l’affectation et la fertilité des sols, sur la gestion de l’eau, etc.Les futurs équilibres entre besoins alimentaires et énergétiques et entre impératifs économiques, politiques et écologiques restent à déterminer dans le cadre de larges concertations. Le développement des agrocarburants requiert des travaux approfondis et contradictoires sur leurs effets et impacts afin d’éclairer les choix politiques et l’élaboration des réglementations nationales, régionales et internationales.
Dans le cadre de la préparation de cet article, plusieurs entretiens ont été réalisés. Lisez en ligne les points de vue de Baba Seid Bally, président de l’Association africaine de promotion des biocarburants (AAPB), Lionel Guezodje, secrétaire général de la Fédération des Unions de producteurs du Bénin (Fupro) et Nestor Mahinou, secrétaire exécutif de Synergie paysanne, syndicat agricole du Bénin.