Madagascar a vécu en 2004-2005 une sérieuse crise sur son marché du riz, suite à une combinaison de facteurs physiques et monétaires, internes et externes : cyclones, estimation erronée de la production nationale et des besoins d’importation, rapide dépréciation de la monnaie, renchérissement du riz sur le marché international. Une intervention directe de l’État à l’importation est venue aggraver la situation. La crise a atteint son paroxysme à partir d’octobre 2004 en raison d’un manque physique de riz sur les marchés. Cette pénurie a généré une flambée des prix du riz local, largement au-dessus de leur niveau de parité avec le prix du riz importé.
Une crise féconde…
Cette crise a mis en lumière les limites du mode de régulation alors en vigueur, basé sur le seul jeu du marché, et a eu le mérite d’impulser la mise en place d’un nouveau modèle de pilotage de la filière, favorisant la restauration de la confiance et l’amélioration de la communication entre le secteur privé et l’État. En effet, depuis le début de la décennie, différents diagnostics établis sur la filière avaient souligné le déficit de coordination et de communication entre les différents intervenants, privés et publics, du sous-secteur rizicole. Mais malgré son inscription comme l’une des priorités de la politique rizicole, promue conjointement par le ministère de l’Agriculture et le ministère du Commerce, l’idée de cette instance de suivi, de concertation et de pilotage de la filière ne s’était pas concrétisée. C’est au cours de la période de sortie de crise, durant laquelle d’intenses débats ont permis de reconsidérer les positions en place, qu’elle a finalement vu le jour. Ainsi, les politiques ont admis que l’État ne devait pas se substituer aux négociants dans leur rôle d’approvisionnement du marché, ni au marché lui-même dans sa fonction de détermination des prix ; en contrepartie, les négociants ont accepté une plus grande transparence de leurs activités, en termes de quantité (volumes d’importations prévues et des stocks existants) et de prix (suivi mensuel de l’ensemble de la chaîne de valeur de la filière, dont les marges des transporteurs, grossistes et détaillants).
En juillet 2005, au cours d’un atelier rassemblant plus d’une centaine de participants issus du secteur public, d’organismes d’appui et de différentes catégories d’acteurs privés, la Plateforme de concertation et de pilotage de la filière riz (PCPRiz) a été lancée. À cette occasion, le projet de statuts a été discuté et le Conseil d’administration a été élu. Celui-ci compte 24 membres, à raison de 3 représentants pour chacun des 8 collèges : organisations de producteurs, transformateurs, intermédiaires, importateurs/exportateurs, organismes d’appui technique, organismes d’appui financier, administration (Agriculture, Commerce et Économie), consommateurs. Le président est un opérateur économique, à la fois transporteur, négociant sur le marché local et importateur, le vice-président est issu de l’administration (ministère de l’Agriculture, de l’Élevage et de la Pêche, MAEP) et le secrétariat technique a été assuré jusqu’à la mi-2008 par l’Unité de politique de développement rural du ministère de l’Agriculture, de l’Élevage et de la Pêche (UPDR/MAEP).
Une mission large et un programme de travail chargé pour la plate-forme
Cette plate-forme est au carrefour de plusieurs missions : favoriser le dialogue et les échanges d’information entre les acteurs directs et indirects de la filière ; jouer un rôle d’interface entre les producteurs, les négociants et l’État ; débattre de la politique du sous-secteur rizicole et suivre sa mise en oeuvre ; être un organe consultatif permanent : informer, orienter les thèmes d’étude nécessaires, proposer des solutions et orientations, contrôler la cohérence globale des actions.
Un vaste de programme de travail a été élaboré sur cette base en 2006, allant de la réflexion sur la politique rizicole (notamment le développement d’une stratégie d’exportation), jusqu’à la mise en place de plates-formes régionales, en passant par la promotion des investissements privés et le renforcement des capacités de ses membres. Mais le financement de la PCPRiz s’est jusqu’à présent limité à son fonctionnement, assuré par un budget alloué par le Projet de Soutien au développement rural de la Banque mondiale (PSDR) via l’UPDR. Depuis septembre 2008, un secrétaire exécutif permanent a été recruté avec l’appui financier de l’Agence française de développement (AFD).
Une plate-forme active, qui obtient des résultats malgré les difficultés
Les ressources financières ne sont toutefois pas le principal facteur limitant. Rapidement, la participation au Conseil d’administration s’est limitée à celle de quelques opérateurs de la commercialisation et de la transformation et aux représentants de l’administration. Les représentants des producteurs en particulier, parvenant difficilement à s’insérer dans ces débats de politique nationale, contraints par leur éloignement géographique et leurs faibles capacités en matière de représentation et d’argumentation, ne sont que très peu présents. Au-delà des réunions qui se tiennent en moyenne 4 fois par an, l’essentiel de la mobilisation repose sur les membres du bureau. La PCPRiz est toutefois loin d’être restée inactive. De fait, ses interventions se sont surtout orientées jusqu’à présent sur la gestion concertée des importations, qui, même si elles ne représentent que 10% de la production, sont cruciales pour la stabilité de l’ensemble du marché. La discussion régulière entre les principaux négociants en riz et le Gouvernement a permis d’éviter des interventions publiques déstabilisatrices sur le marché intérieur. La fixation concertée du niveau de taxation de la filière, qui permet de moduler l’équilibre entre prix acceptables pour le consommateur et prix incitatifs aux producteurs, est également au coeur des actions de la PCPRiz. La suspension de la TVA en juillet 2008, dans le récent contexte de flambée internationale des prix des produits agricoles, doit en particulier beaucoup au travail d’analyse et de lobbying de la PCPRiz.
La pertinence des réflexions de la PCPRiz sur la commercialisation tient en grande partie à la performance de l’Observatoire du Riz (OdR ), un outil économique indépendant mis également en place fin 2005. Il s’agit à la fois d’un système d’information de marché national (collecte et diffusion hebdomadaire des prix du riz et du paddy dans les 111 districts ruraux de l’île) et d’un dispositif de suivi rapproché du marché, qui propose chaque semaine une feuille d’analyse nationale, et chaque mois, au travers de sa revue Horizon, une analyse complète des tendances internationales et nationales. L’OdR participe à toutes les réunions de la PCPRiz. Périodiquement, la PCPRiz et l’OdR sont conviés par la Primature à des réunions de consultation où les questions stratégiques sur la filière riz sont discutées.
Finalement, les activités de la PCPRiz se sont jusqu’à présent caractérisées par un important degré de pragmatisme et d’informalité, s’orientant vers les domaines où ses membres actifs ont la capacité de se faire entendre. Ceci a rendu son action à la fois rapide et efficace, et lui a donné une véritable légitimité, malgré ses limites de représentativité et de fonctionnement. Sur cette base concrète, la PCPRiz vient de recruter un secrétaire général salarié, et projette d’étoffer son équipe de techniciens. Grâce à cette nouvelle équipe, la PCPRiz devrait pouvoir se saisir de missions supplémentaires, et progresser petit à petit dans la construction d’une véritable interprofession entre producteurs et commerçants-riziers, capable d’opposer aux tentations récurrentes de centralisme étatique un discours construit, responsable et professionnel.
Hélène David- Benz, agroéconomiste, est chercheure au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). Elle est spécialisée sur l’organisation des filières alimentaires et les dispositifs d’information et de concertation destinés aux acteurs des filières.
Olivier Jenn- Treyer est docteur en Économie. Après avoir travaillé en appui aux OP pour différentes structures, il a animé, de 2005 à 2008, le « Secrétariat multibailleurs », interface entre les partenaires techniques et financiers et le Gouvernement sur la politique de développement rural à Madagascar.