Entretien avec Dyborn Chibonga, dchibonga@nasfam.org, secrétaire exécutif de l’Association des petits producteurs du Malawi (National Smallholder Farmers’ Association of Malawi, Nasfam). Plus d’information: http://www.nasfam.org
Grain de sel : En quoi consiste le programme de subventions aux intrants du Malawi ?
Dyborn Chibonga : Le programme a d’abord été mis en place lors de la campagne 2005-2006. Le principal objectif était de répondre aux problèmes de déclin de la production et de sécurité alimentaire. Les petits producteurs avaient des difficultés à maintenir leurs niveaux de production et de productivité, du fait des défis liés au déclin de la fertilité des sols et à la difficulté d’accès aux intrants. Le gouvernement a répondu à ce problème en mettant en place un programme ciblé de subventions aux intrants afin de faciliter la production de cultures vivrières et d’exportation dans l’objectif de permettre de relancer l’industrie agricole et l’économie en général. Le programme consiste dans la distribution de bons aux producteurs, qui leur permettent d’acheter, à un prix subventionné, intrants, engrais, semences et pesticides.
Le maïs est une culture de base au Malawi [tout comme le riz. Les gens préfèrent le riz local ici, qui a plus de goût, mais consomment beaucoup de riz importé, qui est souvent bien moins cher]. Le programme a visé uniquement le maïs durant la première campagne; en deuxième année, d’autres cultures vivrières et d’exportation ont été ciblées (légumineuses, coton, thé, café). Les types d’engrais distribués diffèrent selon les différentes cultures. Au départ le programme visait 1,4 million de petits producteurs, pour un montant de 10 milliards de Kwacha du Malawi (MK) [55 millions d’euros] ; puis il a évolué vers 1,7 million de bénéficiaires pour un montant de 17 MK [94 millions d’euros] en année 2 (2006-2007) et en 2007, il a concerné 1,7 million pour 29 milliards [161 millions d’euros] (20 initialement prévus, devenus 29 milliards du fait de la crise financière internationale). L’an prochain, le programme tentera de maintenir le même nombre de bénéficiaires : 1,7 millions. Avec 16% de son budget dédiés à l’agriculture, le Malawi est l’un des très rares pays africains à avoir respecté son engagement – pris à Maputo en 2003 lors de la déclaration de la Communauté de développement de l’Afrique australe (Southern African Development Community) – de dédier un minimum de 10% de leurs budgets nationaux à l’agriculture.
Le gouvernement travaille avec les autorités locales traditionnelles et les comités de développement villageois afin de cibler les bénéficiaires. Ce sont également eux qui sont responsables de distribuer les bons aux producteurs.
GDS : Quelles ont été les principales difficultés auxquelles le programme a dû faire face et comment ont-elles été surmontées ?
DC: L’une des principales difficultés rencontrées lors de la première année du programme a été de répondre aux besoins zone par zone. En effet, alors, le gouvernement avait souhaité travailler seul, sans s’associer le secteur privé, ce qui n’a pas rendu la tâche facile. Une fois le secteur privé engagé dans le processus (c’est-à-dire lors de la seconde année du programme), les choses ont été plus simples : les engrais étaient disponibles dans toutes les boutiques d’engrais du pays. Quand j’évoque le « secteur privé », je parle des fournisseurs d’intrants mais aussi des organisations de producteurs. Au Malawi, il existe 5 à 10 principaux distributeurs d’intrants, et de nombreux petits revendeurs installés dans tout le pays.
Un autre problème a été d’identifier les bénéficiaires. Il avait été dit que le programme devait s’adresser aux « plus pauvres parmi les pauvres ». Or nous ne pouvions fournir « que » 1,4, puis 1,7 million de personnes. Les choses ont été facilitées par l’implication de toutes les organisations, comités de développement villageois etc., mais inévitablement des gens se sont sentis laissés pour compte car ils ne pouvaient bénéficier du programme.
Nous avons également eu à faire à des gens peu scrupuleux qui ont imprimé de faux bons… ce phénomène était moins important la première année mais il a été un problème très important l’an passé. Nous n’avons pas encore pu en mesurer l’impact avec précision, mais nous savons qu’il y aura des conséquences lorsque nous évaluerons le programme.
Les délais de mise en oeuvre du programme ont constitué une difficulté supplémentaire. L’Assemblée nationale est sensée voter le budget en juin, mais cela s’est fait 2 ou 3 mois après le programme, et cela a eu des conséquences sur les importations et la distribution des intrants : alors qu’ils auraient dû être distribués en octobre, des engrais n’ont été distribués qu’à la fin janvier. Les pluies avaient démarré deux mois plus tôt, les cultures avaient déjà poussé. Certains producteurs n’ont pu bénéficier d’engrais que pour la deuxième application, la première application d’engrais s’effectuant au moment des semis.
La dernière difficulté à laquelle je dois faire référence est une difficulté financière. En effet, du fait de la crise financière de l’an passé, les coûts du programme ont dû être réévalués de 20 à 29 milliards. Par exemple, l’urée, qui était achetée 1000 US$ [772 euros] la tonne vaut aujourd’hui 290 US$ [224 euros]… Mais rien n’a pu être fait. Le gouvernement avait passé des contrats pour jusqu’à décembre 2008.
GDS : Quel a été le rôle spécifique des OP dans le processus ?
DC: Nasfam a été engagée dans le processus avant que le budget du programme ne soit présenté au gouvernement. Chaque année, le gouvernement consulte les acteurs, dont notre organisation, tout comme les autres organisations paysannes. Nous avons aussi joué un rôle sur le terrain durant sa mise en place et la phase de suivi. Nous avons notamment mis en place des services de vulgarisation gratuits. Je dois préciser que tous nos membres ne sont pas bénéficiaires du programme. Comme signalé plus haut, le programme vise en priorité les plus pauvres, or les plus pauvres sont souvent aussi les moins organisés, n’appartenant pas à une organisation paysanne …
GDS : Quelles sont les perspectives pour le programme dans les années qui viennent ?
DC : Le programme va continuer. Cette année, le Malawi va vivre des élections présidentielles et des élections parlementaires, mais quels qu’en soient les résultats, le programme va continuer, les candidats élus voudront sûrement le maintenir car la sécurité alimentaire figure au programme de tous les partis. Ça n’est pas seulement une question de sécurité alimentaire, c’est aussi une question politique, sociale, économique.
Nous avons suggéré que le gouvernement introduise une nouvelle dimension au programme, qui vise à faire participer les bénéficiaires par une contribution aux stocks nationaux de céréales.
GDS : Étant donné votre expérience, quels conseils donneriez-vous à des organisations paysannes d’autres régions d’Afrique qui souhaiteraient mettre en place ce type de programme ?
DC : Nous avons désormais suffisamment de recul pour dire qu’il est beaucoup moins coûteux d’aider les gens à produire que de les aider à consommer de la nourriture importée. C’est un processus beaucoup plus durable, qui coûte beaucoup moins. Importer des denrées alimentaires est très coûteux (logistique, etc.).
Pour cette raison, je conseillerais aux organisations paysannes d’Afrique de l’Ouest d’essayer de mettre en place un tel programme. Ensuite, il est important de s’assurer que les secteurs public et privé établissent un réel dialogue dans les phases de planification, de mise en oeuvre et de suivi du programme.
L’appui des bailleurs de fonds est nécessaire. Certains disent qu’on ne devrait pas parler de « subventions ». Ce sont pour la plupart des gens originaires de grand pays, avec de bons niveaux de productivité, des agricultures mécanisées, et eux-mêmes subventionnent leurs agricultures. 10% de leur population vivent de l’agriculture. Alors pourquoi nos agricultures, dans des pays pauvres où les agriculteurs (qui représentent 80-90% de la population) sont principalement des femmes, souvent uniques chefs de familles, devraient fonctionner sans subventions ? Dans notre cas, la communauté internationale, après avoir été assez sceptique la première année, nous a beaucoup aidés (bailleurs multilatéraux, DFID/IFDC, Union européenne, USAid, etc.).