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Ceci est un article de la publication "Le pastoralisme a-t-il encore un avenir en Afrique de l'Ouest ?", publiée le 4 janvier 2018.

Une brève histoire du pastoralisme dans les politiques publiques

Bernard Bonnet/Bertrand Guibert

PastoralismeRevue - BulletinAnalyse, synthèse

Une relecture des politiques d’élevage en Afrique de l’Ouest et du Centre souligne l’héritage d’une situation déséquilibrée pénalisant encore l’élevage pastoral et implique la nécessité de poursuivre un dialogue autour d’une vision partagée entre pays sahéliens et côtiers en faveur d’un pastoralisme porteur de dynamisme économique et contributeur à la paix.

Cet article propose de retracer les grandes évolutions des politiques concernant le pastoralisme.

Une marginalisation des éleveurs transhumants. L’époque coloniale se singularise par une généralisation du partage territorial en de nombreuses circonscriptions administratives réparties entre les sédentaires, plutôt agriculteurs, et les nomades ou transhumants. Ces structurations administratives fortes -particulièrement dans l’ensemble francophone- ont autoritairement fragmenté les grands espaces du pastoralisme. Parallèlement, une politique généralisée d’aménagements hydro-agricoles a écarté les pasteurs des milieux humides, lieux privilégiés de repli en cas de sécheresse. Reprises par les jeunes États indépendants, ces orientations ont induit une crispation sur l’usage des ressources naturelles du fait de délimitations administratives incompatibles avec l’exercice d’un pastoralisme nécessairement mobile.
Cette dynamique a contribué au développement de visions simplistes sur le devenir de l’élevage. Au travers des politiques aménagistes des jeunes États, la modernisation de l’élevage se devait d’être traduite selon une conduite maitrisée des animaux au sein de parcours sous enclosure (ranchs, parcs et stations d’élevages modernisés). De ce fait, l’élevage pastoral a été indexé comme « archaïque ». Il s’est trouvé relégué dans des zones marginales où les aléas climatiques demeurent des plus virulents et récurrents (zones sahariennes et sahéliennes nord).
Du fait de cet isolement des zones pastorales, les politiques de développement n’ont pas pu ou su, assurer les grands services attendus des États : scolarisation, santé humaine, sécurité, commerce, etc. Le clivage entre les groupes de producteurs (agriculteurs et éleveurs transhumants) n’a fait que s’accentuer.

Années 1970 et 1980 : libéralisation économique et politique. Faisant suite aux dramatiques sécheresses des années 1970 et 1980, les États ont tenté d’intégrer le pastoralisme dans les économies par la réalisation d’infrastructures (points d’eau en particulier), mais ces actions n’ont pas toujours été à la mesure de la demande. Les conditions de vie des pasteurs se sont dégradées, notamment à l’occasion de ventes massives d’animaux, pendant et à la suite des sécheresses (notamment celles de 1972-73 et 1984), et aux situations d’insécurité localisées sur les zones sahéliennes nord, particulièrement excentrées des capitales.
À partir des années 1970-80, les politiques pastorales ont été marquées par un désengagement des États. Ajustements structurels et association erronée du pastoralisme à la désertification ont aussi gelé la création et l’entretien des infrastructures (points d’eau, marchés à bétail, aires d’abattage, sécurisation des axes de transhumance).

Années 1990 : décentralisation et régionalisation. Avec le processus de décentralisation des années 1990 se traduisant par des résultats variables selon les pays, les collectivités territoriales ont ouvert des possibilités de législation et de gestion des ressources naturelles. Cependant, l’élevage pastoral est apparu comme incompatible avec les échelles d’interventions décentralisées, trop restreintes et exclusives. Malgré les recettes locales que les collectivités territoriales n’ont pas manqué de percevoir sur les marchés à bétail, celles-ci n’ont en général que très peu investi pour mieux accueillir les éleveurs par des services publics adaptés.
Pour répondre aux demandes protéiniques croissantes des villes côtières, les mobilités pastorales entre Sahel et zone soudanienne se sont renforcées et ont ainsi apporté des arguments économiques décisifs à la construction de cadres régionaux impliquant une réglementation partagée (Décision de 1998 relative à la réglementation de la transhumance, Tarif extérieur commun, etc.).
Malgré ces processus intégrateurs initiés par la Cedeao, le constat de manque d’applications concrètes de politiques et stratégies nationales en faveur du pastoralisme est flagrant. Il résulte principalement de raisons institutionnelles. En effet, le pastoralisme se trouve à la croisée des prérogatives de plusieurs ministères. La synergie apparaît complexe s’il n’y a pas de grandes orientations décidées collectivement, tendant vers un objectif commun.

Années 2000 : un soutien accru au pastoralisme. De nouvelles évolutions régionales majeures sont constatées à partir de la fin des années 2000. Face à la montée des entraves à la mobilité et l’interpellation par des acteurs de plus en plus nombreux de la société civile (chefferies, organisations professionnelles agricoles), les États sahéliens prennent des mesures stratégiques pour tenter de sécuriser la mobilité de l’élevage pastoral.
Des initiatives de relance des investissements en hydraulique pastorale sont mises en oeuvre dans les grands pays pastoraux comme le Tchad, le Niger et le Mali. Elles intègrent des dimensions importantes et relativement nouvelles d’appui à la concertation et la gestion des ressources pastorales, pour l’implantation et la bonne exploitation des points d’eau. Elles s’élargissent également à la mise en oeuvre des nouveaux textes intégrant le pastoralisme (code rural ou pastoral, charte ou loi pastorale suivant les pays, mais aussi les textes sur la décentralisation).
Parallèlement les pays côtiers, après certaines ouvertures majeures anciennes (au Nord de la Côte d’Ivoire avec une véritable politique d’accueil des éleveurs à travers l’aménagement de plus de 300 barrages pastoraux), peuvent actuellement être tentés par une politique restrictive de la pratique des élevages mobiles, pourtant contraire aux principes de la Cedeao.
Des engagements politiques ont été pris conjointement par les États sahéliens et sahariens et les organisations de la société civile allant de la Mauritanie au Tchad (Déclaration de N’Djamena de mai 2013). Quelques mois après cette déclaration stratégique, la Déclaration de Nouakchott a ouvert l’opportunité de la préparation d’un grand programme régional en cours depuis trois ans (projet PRAPS financé par la Banque mondiale dans six pays sahéliens).

Une rupture entre pays sahéliens et pays côtiers. Depuis les années 2010 on observe une rupture de plus en plus préoccupante entre les trajectoires suivies par les politiques concernant le pastoralisme dans les pays sahéliens et dans les pays côtiers. Alors que les pays du Sahel ont progressivement revu leur réglementation (voir carte) pour intégrer la sécurisation de la mobilité pastorale et l’accès à l’eau pour les troupeaux, les pays côtiers s’inscrivent davantage vers des tendances protectionnistes, impliquant des entraves à la circulation des animaux. Cette asymétrie forte entre pays sahéliens et pays côtiers concerne autant les politiques et les programmes de développement pastoral que la vision (pas toujours partagée) du pastoralisme entre les différentes organisations des producteurs.
Plus que jamais, l’importance du dialogue politique entre acteurs publics et société civile se révèle prioritaire. À court terme, il s’agit d’accompagner les initiatives de dialogue transfrontalier de construction de liens sociaux et économiques, tout en maintenant une aide humanitaire qui demeure indispensable dans les contextes post-crise pour les éleveurs en détresse.
À moyen et long terme, il y a lieu de s’atteler à la mise en oeuvre d’actions structurantes de développement intercommunautaire local. La volonté d’opérationnaliser une vision régionale intégrée de l’élevage a conduit la Cedeao, les gouvernements des pays côtiers et les réseaux régionaux de pasteurs et d’agro-éleveurs à se mobiliser pour instituer un cadre régional de dialogue politique de haut niveau sur la transhumance transfrontalière. La caractéristique principale de ces rencontres tient au fait qu’elles constituent des espaces d’échanges entre les praticiens et les acteurs de la transhumance transfrontalière afin de dresser le bilan des campagnes antérieures, mieux préparer les campagnes à venir et convenir d’une feuille de route qui fait l’objet d’évaluations périodiques.
Ce type d’initiative est porteuse non seulement d’amélioration des politiques au niveau régional mais également de renforcement des visions partagées et de coopération indispensable à la paix et au développement économique des élevages pastoraux et agro-pastoraux dans les espaces transfrontaliers. Ce cadre a permis de promouvoir l’initiative régionale PRIDEC — visant la mise en place d’inventaires nationaux pour les besoins d’investissements en faveur des élevages des pays côtiers.
La participation réelle des pays côtiers à ces projets demeure toutefois un défi crucial à relever.

Bernard Bonnet (b.bonnet@iram-fr.org) est géographe pastoraliste et agronome, chargé de programme au pôle Acteurs, Ressources et Territoire à l’Institut de Recherches et d’Applications aux Méthodes de développement (IRAM).
Bertrand Guibert est zootechnicien à l’IRAM.

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