Longtemps oubliés des politiques publiques, les systèmes pastoraux ont fait preuve de grandes capacités d’adaptation et de résistance, toutefois mises à mal par des facteurs de vulnérabilité croissants. La reconnaissance accrue de l’importance de ces systèmes pourrait permettre de renforcer les politiques publiques en leur faveur.
Les sociétés pastorales des espaces saharo-sahéliens font preuve de longue date de capacités de résilience et d’un capital social exceptionnel, leur permettant de tirer parti d’un accès très aléatoire aux ressources vitales (pâturages et eau). Ces sociétés ont bâti des capacités de résilience aussi multiples que les aléas auxquels elles sont confrontées : mobilité et achat d’aliment bétail pour anticiper les crises de ressources fourragères, tissage permanent d’alliances et d’accords sociaux avec les autres communautés pastorales ou agricoles afin de prévenir les conflits, tactiques de reconstitution des troupeaux pour sortir des crises (prêts d’animaux, diversification temporaire des activités pour pouvoir racheter des animaux).
Suite aux crises, les dynamiques de reprise de l’économie pastorale se sont largement appuyées sur ces savoir-faire des pasteurs. Les appuis reçus des systèmes d’aide publique sont quantitativement marginaux et la plupart du temps largement décalés dans le temps pour avoir un effet sur ces communautés.
Des capacités de résilience de plus en plus menacées
Les grandes sécheresses de 1973-74 puis de 1983- 84 ont cependant provoqué des pertes importantes de cheptel. Lorsque ces pertes dépassent un certain seuil — le plus souvent 50 % du troupeau bovin — il est difficile pour les familles de rester dans un système pastoral. On assiste alors à une série de régressions dans les trajectoires familiales, vers un agro-pastoralisme non sécurisé au plan foncier, accompagné d’une pluriactivité faiblement rentable.
Des trajectoires et des formes de résilience différentes
Une recherche sur les évolutions de l’élevage a été menée dans le cadre du projet Élevage-Climat-Sociétés (ECliS), conduit entre 2009 et 2012. 4 études de cas ont été réalisées dans des communautés rurales au Sénégal, au Bénin, au Niger et au Mali. Elles ont concerné 46 familles d’éleveurs dans leur trajectoire d’évolution sur les 50 dernières années. Au Niger, l’analyse de l’évolution de 14 familles a fait apparaître 3 grands types de trajectoires :
1. Les anciens pasteurs sinistrés deviennent des bergers précaires au service des agriculteurs disposant de bétail. Ces familles s’inscrivent dans des trajectoires de grande vulnérabilité. Elles sont progressivement sorties du système pastoral et même agro-pastoral. Elles sont conduites à vivre de travaux pour des tiers, notamment le gardiennage de bétail.
2. Certains pasteurs deviennent agro-pasteurs et sont contraints à une agriculture non sécurisée. Ce groupe met en évidence des trajectoires faisant passer les familles du pastoralisme à un agro-pastoralisme qui semble se prolonger, même si souvent l’objectif de ces anciens pasteurs est d’acquérir suffisamment de bovins pour revenir à un mode de vie et d’élevage pastoral.
3. D’autres pasteurs ont réussi à se maintenir dans le système pastoral malgré les crises. Ce groupe présente des trajectoires qui ont fait preuve d’une plus grande résilience. Tenant compte des enseignements de 73, elles ont su limiter les pertes en 84, souvent grâce à des choix de mobilité exceptionnelle suffisamment anticipés. Elles sont parfois passées par un agro-pastoralisme de courte durée permettant avec l’exode de racheter suffisamment de jeunes reproductrices pour revenir dans des délais assez courts au système pastoral.
Récemment, d’autres menaces se sont développées, menaçant la durabilité et l’adaptabilité du pastoralisme dans ces zones (Marty, 2011). Les évènements extrêmes sont devenus plus récurrents du fait du changement climatique. La forte croissance démographique de la région a conduit à une pression croissante des activités agricoles sur les zones de pâturage. Enfin, les pasteurs font face à une monétarisation de l’accès aux ressources (eau, résidus de culture) et à une forte insécurité politique (rebellions, mouvements armés et trafics).
Un changement progressif de l’action publique
Les politiques publiques ont longtemps privilégié une intensification de l’élevage promouvant sédentarisation, ranching et élevage « moderne » (fourrages produits et insémination artificielle), des systèmes coûteux inadaptés aux situations économiques des populations sahéliennes. Depuis une quinzaine d’années toutefois, les gouvernements, leurs partenaires et la société civile ont pris conscience de l’importance économique, sociale et environnementale des espaces et systèmes pastoraux, ainsi que des défis auxquels ils sont confrontés.
Le ranching est une forme de gestion extensive du bétail où l’accès aux pâturages est privé, les limites étant matérialisées par une clôture périphérique ou non matérialisées et contrôlées par les gardiens de troupeaux. L’approvisionnement en eau est organisé. Le bétail est divisé en troupeaux choisis d’après le sexe ou l’âge et gérés sur différents pâturages ou dans différentes parcelles.
Des efforts ont ainsi été réalisés pour soutenir le développement des zones pastorales et la mobilité des troupeaux. Le Mali (2001), la Mauritanie (2000) et le Niger (2009) ont élaboré des codes ou lois pastoraux, précisant les principes et les règles qui régissent l’exercice des activités pastorales. Ces textes consacrent les droits essentiels des pasteurs, notamment en matière de mobilité des animaux et d’accès aux ressources pastorales. Un projet de Code pastoral est en cours d’élaboration au Tchad. Par ailleurs, le Mali et le Niger ont récemment élaboré une stratégie d’hydraulique pastorale, visant à garantir l’approvisionnement en eau des troupeaux et des éleveurs, tout au long des parcours de transhumance. Le Tchad et le Niger, appuyés par leurs partenaires, ont financé des actions de rénovation des infrastructures pastorales à grande échelle, basées sur des démarches de sécurisation de la mobilité pastorale.
Engager un changement d’échelle des actions structurelles de sécurisation
Ces efforts restent néanmoins à approfondir. Les actions menées depuis une vingtaine d’années par les communautés locales et les ONG devraient servir de point de départ pour des stratégies publiques visant à améliorer la gouvernance, la sécurité, la viabilité économique et la résilience des espaces et systèmes pastoraux. Adoptée le 29 mai dernier, la déclaration de N’Djaména (voir encadré) offre un cadre politique pour la mise en œuvre de politiques qui permettraient une véritable mise à l’échelle de ces expériences.
Les politiques publiques devraient s’inscrire dans 4 grands types d’actions.
Il est tout d’abord essentiel d’intégrer une meilleure compréhension des logiques scientifiques et des performances des systèmes pastoraux. Au cours des 20 dernières années, la théorie du développement pastoral et la compréhension des écosystèmes pastoraux ont été radicalement transformées. La valeur des systèmes pastoraux est de plus en plus reconnue, car ils permettent l’occupation humaine de zones arides et reculées. La mobilité est désormais considérée comme une stratégie cruciale dans l’exploitation des zones arides. Pour améliorer la définition des politiques publiques et la conception de mesures adaptées au développement de l’élevage, les États concernés doivent en premier lieu maîtriser la connaissance de cette activité sociale et économique fondamentale pour près de la moitié des ruraux. Il importe donc d’innover afin de mettre en place des dispositifs adaptés et peu coûteux de suivi de cet élevage pastoral familial. Pour cela, des méthodes de recensement du cheptel rigoureuses, à périodicité annuelle ou saisonnière, doivent être développées par les différents services en charge de l’Élevage.
Ensuite, il est nécessaire d’adapter les cadres juridiques en faveur de la mobilité. Certains pays ont progressé sur ce point, notamment le Niger, où l’État reconnaît et garantit la mobilité comme un « droit fondamental des éleveurs, pasteurs nomades et transhumants » (Ordonnance de 2009). Si la législation du Niger est souvent citée en exemple, beaucoup reste à faire pour une application plus systématique et plus effective des textes. Dans les autres pays, les dispositifs juridiques et institutionnels de sécurisation du foncier pastoral restent à mettre en place ou à approfondir.
Il faut également promouvoir des actions d’aménagement concerté des ressources pastorales et de sécurisation de la mobilité. Cela passera par le renforcement des capacités des institutions foncières locales à s’engager dans la mise en œuvre d’actions de sécurisation foncière des espaces pastoraux et des aires de pâturage. Il est nécessaire pour les acteurs publics de mieux intégrer la mobilité dans leur vision de l’aménagement du territoire. Il faut aussi poursuivre l’important travail d’élaboration des accords sociaux d’implantation et de gestion des points d’eau, ainsi que l’adaptation des infrastructures hydrauliques aux conditions hydrogéologiques. Sur ces éléments, le Tchad et le Niger ont accompli des progrès importants, qui peuvent servir d’exemples à leurs voisins.
Enfin, il est primordial d’améliorer le soutien à la réduction de la vulnérabilité lors des périodes de crises. À l’heure actuelle, les dispositifs de prévention et de gestion des crises ne permettent pas d’agir de façon suffisamment précoce et ciblée lors des crises pastorales. Il est pour cela essentiel de mettre au point des dispositifs pérennes d’approvisionnement en aliment du bétail au niveau local et national, afin de pouvoir intervenir de manière plus efficace et structurelle. En ce qui concerne les actions post-crises, les réticences sont toujours fortes pour aider les éleveurs à reconstituer leurs troupeaux, en partie du fait des échecs passés (systèmes de tontines ou de prêts). Mais il existe des exemples de réussites, s’appuyant sur les stratégies développées par les populations (prêts d’animaux entre éleveurs), qu’il faut capitaliser et développer.
Colloques
La déclaration adoptée lors du colloque de N’Djaména (Tchad, 27-29 mai 2013) appelle à placer l’élevage pastoral au coeur des stratégies de stabilisation et de développement des espaces saharo-sahéliens, à court, moyen et long terme. Cette déclaration constitue une référence majeure, qui fait la synthèse des cadres existants et définit les axes prioritaires d’une politique régionale d’appui au pastoralisme associant étroitement les enjeux de développement et de sécurité des espaces saharo-sahéliens (http://www.pasto-secu-ndjamena.org).
Une autre rencontre a eu lieu à Nouakchott (Mauritanie) le 29 octobre 2013, portant sur la résilience des sociétés pastorales saharo-sahéliennes. Sa déclaration appelle les acteurs impliqués à se mobiliser pour sécuriser les modes d’existence et les moyens de production des populations pastorales et accroître le produit brut des activités d’élevage d’au moins 30 % dans les 6 pays concernés au cours des 5 prochaines années, en vue d’augmenter significativement les revenus des pasteurs sous un horizon de 5 à 10 ans. Elle propose 3 grands champs d’action pour y parvenir : le renforcement des services à la production, l’amélioration de la compétitivité des filières animales et l’accès aux marchés et le renforcement de la sécurité des biens, droits et moyens d’existence des peuples pasteurs.