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Ceci est un article de la publication "Le pastoralisme a-t-il encore un avenir en Afrique de l'Ouest ?", publiée le 4 janvier 2018.

Les unités pastorales : gérer les ressources à l’échelle de la communauté

Atoumane Kane

PastoralismeConflits, insécuritéRevue - BulletinAnalyse, synthèse

Face à la concurrence des agriculteurs et des pasteurs pour les ressources sur un même espace, les unités pastorales ont été envisagées comme une stratégie communautaire de gestion de ces ressources pastorales.

L’élevage mobile est le mieux adapté aux conditions écologiques des zones arides et semi-arides au Sénégal, en particulier dans la zone sylvopastorale du Ferlo. Il fait toutefois face à de nombreuses contraintes. Les ressources naturelles se dégradent du fait de la baisse de la pluviométrie, du surpâturage autour des points d’eaux, des coupes et des feux. L’espace pastoral se réduit au profit de l’agriculture. Des conflits parfois sanglants éclatent entre autochtones et transhumants.

Des unités pastorales pour gérer les ressources locales. Face à ces contraintes, l’État avec l’appui de ses partenaires, encourage la mise en place d’outils de gestion concertée des ressources sylvopastorales. Dans la région du Ferlo, cette démarche privilégie la mise en place d’unités pastorales (UP).
Le concept d’UP a été développé au Sénégal dans les années 1970-1980 dans le cadre de divers projets. À partir de 1993, une deuxième génération de projets, née dans un contexte de renforcement de la décentralisation, a davantage mis l’accent sur la responsabilisation, la formation des populations et l’implication des collectivités locales.

Élaborer des cartes à dires d’acteurs. L’UP peut être définie comme un espace géographique où vivent des populations appartenant au même terroir, ayant des intérêts communs, exploitant les mêmes parcours, les mêmes zones agricoles et utilisant les mêmes points d’eau. Ces populations optent librement de s’unir, avec pour ambition d’assurer leur mieux-être social et économique.
Le processus de mise en place d’une UP se déroule en plusieurs étapes. Il est encadré par les autorités locales, les services techniques (élevage, Eaux et Forêts, hydraulique, etc.), la structure d’appui au développement et les leaders communautaires.
D’abord, des réunions d’information et de sensibilisation sont organisées par les partenaires et les services techniques, sous l’égide de la commune dans les villages et campements. Des cartes à dires d’acteurs sur l’occupation des sols, l’orientation des pistes de bétail et les aires de pâturage sont élaborées avec les populations et l’appui des services techniques. Des documents de caractérisation permettent ensuite de délimiter la zone d’emprise de l’UP, de la cartographier voire de recenser les expériences de gestion des ressources.
Dans un deuxième temps, des séances de concertations regroupant l’ensemble des acteurs locaux sont organisées pour élaborer un plan de gestion intégrant les intérêts des différentes parties prenantes à l’exploitation du terroir.
Ce plan de gestion est fondamental car il contient des dispositifs définis par les populations elles-mêmes et spécifiques à chaque UP : modalités d’utilisation de l’espace selon les activités (zones de cultures ou de parcours, couloirs de passage des animaux, etc.) et les modalités d’exploitation des zones de parcours. Il comporte aussi des dispositions communes à toutes les UP : gestion des points d’eau, accueil et installation des transhumants, conditions, protection et amélioration d’utilisation des parcours.
Les transhumants sont informés sur les dispositions prises dans chaque UP par les membres de la commission d’accueil et d’installation des transhumants. Ces derniers vont à la rencontre des transhumants dès qu’ils entrent dans le périmètre de l’UP afin de leur expliquer les dispositions retenues et validées par la commune et le sous-préfet.

Approbation par la collectivité locale et le sous-préfet. Le plan de gestion élaboré est ensuite validé par le comité de gestion de l’UP, puis adopté par l’assemblée générale (AG) de l’UP qui regroupe les délégués paritaires de tous les villages. La collectivité locale (généralement la commune) délibère et doit approuver ce plan avant de le soumettre à l’autorité administrative (le sous-préfet), garant de la conformité administrative et juridique des règles édictées.
L’approbation du sous-préfet se matérialise par un arrêté de création de l’UP qui est fondamental pour sa légitimité. Ceci vise aussi à définir le cadre juridique de l’UP sous forme de convention locale, de faciliter son accès aux services des institutions financières et de favoriser l’appui de partenaires au développement.
La mise en oeuvre des activités prévues dans le plan de gestion est pilotée par le comité de gestion de l’UP, qui est mis en place par l’AG. Un plan d’action et un chronogramme des activités sont définis par l’assemblée des délégués. Ce plan est vulgarisé à travers les radios communautaires et des réunions de villages et/ou de secteur. Des renforcements de capacité (formations en vie associative, en gestion et amélioration des pâturages, etc.) sont dispensés pour en faciliter la mise en oeuvre.
Les partenaires techniques coordonnent les activités d’appui conseil en faveur de l’UP (présence d’un animateur projet), apportent un appui ponctuel (matériels de lutte contre les feux de brousse par exemple) et participent à l’évaluation annuelle du plan de gestion réalisé par le comité de gestion de l’UP sous la supervision du conseil municipal.
Ce dispositif est complété par un code local qui est une innovation majeure dans l’organisation et l’animation des UP. Celui-ci définit des règles d’accès et d’exploitation des ressources en s’appuyant autant que possible sur la règlementation nationale (code forestier, loi foncière, etc.), tout en y ajoutant une touche locale inhérente aux réalités et à la volonté consensuelle.
Il existe aujourd’hui 118 unités pastorales dans la zone du Ferlo. Leur forme actuelle est préconisée par le Projet régional d’appui au pastoralisme au Sahel qui intervient au Mali, en Mauritanie, au Niger, au Tchad, et au Burkina Faso. Au niveau du Sénégal, plusieurs programmes de l’État ont aussi recours aux UP.
Séance de cartographie participative de parcours saisonnier des troupeaux dans une unité pastorale de la région de Matam (Sénégal).
Réduction des conflits. En ce qui concerne la réduction des conflits, ce dispositif a eu un effet louable dans la zone de contact entre le front agricole Nord du bassin arachidier et la zone sylvopastorale. On observe une consolidation des droits des éleveurs sur les aires pastorales ainsi qu’une rationalisation de l’exploitation des ressources avec une stratégie de maitrise de l’installation des transhumants dans les lieux d’accueil. Des actions concrètes de lutte contre la dégradation des ressources (mise en défens, lutte contre les feux de brousse, reboisement, maîtrise des eaux souterraines et de surface, etc.) sont également observées.
Les UP ont aussi vocation à améliorer les implantations de campements et d’habitations des transhumants. Les comités d’accueil veillent à ce que leur installation se fasse dans les meilleures conditions. Ils peuvent faire appel aux services techniques et aux autorités locales et administratives pour faire respecter les dispositions du plan de gestion. Les sociétés pastorales étant le plus souvent individualistes, la mise en place des UP permet une meilleure cohésion sociale dans certaines zones.

Un risque de surconcentration d’animaux. L’expérience d’AVSF et l’évaluation de différents programmes ont toutefois soulevé certains risques opérationnels intéressants à relever.
Les UP peuvent parfois engendrer une surcharge sur les ressources naturelles et des concentrations excessives en animaux. En effet, la création d’UP isolée est souvent associée à la disponibilité de ressources pastorales (pâturages, ouvrages et équipements hydrauliques : forages, puits) qui attirent les transhumants de toute la zone provoquant une surconcentration. La création progressive d’UP aux alentours des UP précédentes permet d’éviter ce phénomène.
Les UP doivent également évoluer vers une meilleure articulation avec une organisation faîtière forte pour faciliter la concertation, et une complémentarité entre les zones de départ, de transit et d’accueil ; le tout dans un esprit de consensus pour une gestion durable et un accès équitable aux ressources pastorales. En effet, des UP ont eu des difficultés à faire respecter les plans de gestion sans l’intervention de l’autorité. De plus, des conflits récurrents sont constatés. Ils font appel aux capacités de négociation et de plaidoyer des leaders pour un règlement amiable suite au non respect des dispositions réglementaires arrêtées (zones de pâturage, couloirs de passage, accès aux points d’eau, etc.).
Enfin, un des objectifs est de faire reconnaître les UP comme forme de mise en valeur d’un terroir par le Code pastoral en cours d’élaboration par les autorités. Bien qu’étant une création de la commune (qui cède aux UP une partie de ses compétences, notamment la gestion des ressources naturelles), cette reconnaissance légale leur donnerait plus d’autorité pour la mise en oeuvre et le suivi des outils de planification et de gestion ; cela en ferait certainement un interlocuteur plus légitime pour la défense des intérêts des acteurs de l’élevage pastoral.

Atoumane Mamadou (kane_atoumane@ yahoo.fr) Kane est chef de projet au sein d’Agronomes et Vétérinaires sans frontières (AVSF). Il est basé à Matam et travaille depuis 1980 sur les problématiques de gestion locale des ressources naturelles.
Vous pouvez également lire l’article sur les solutions aux conflits du pastoralisme p. 13-14.

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