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Ceci est un article de la publication "Le pastoralisme a-t-il encore un avenir en Afrique de l'Ouest ?", publiée le 3 janvier 2018.

La radicalisation, symptôme d’une crise de la jeunesse pastorale ?

Mirjam de Bruijn

PastoralismeJeunesConflits, insécuritéRevue - BulletinEntretien

Cela fait plusieurs décennies qu’un fondamentalisme religieux se développe dans la région de l’Afrique de l’Ouest et du Sahel, notamment auprès des jeunes. Dans quelle mesure les jeunes pasteurs sont-ils la population la plus touchée ? Quelles sont les conséquences du radicalisme sur le futur du pastoralisme et quelles solutions envisager ?

Grain de Sel : Y a-t-il une crise du pastoralisme en Afrique de l’Ouest qui conduit les jeunes à se radicaliser ?
Mirjam de Bruijn : Oui, il y a une crise du pastoralisme, liée à plusieurs causes : à la démographie, au changement climatique, mais surtout à la manière dont les gouvernements se sont comportés envers les pasteurs. La plupart des États ont une logique sédentaire avec des mesures (démarcation des frontières, promotion de ranchs) qui ne conviennent pas aux éleveurs nomades ou semi nomades. Dans les pays sahéliens, une partie de la population ne se sent pas bien traitée par son gouvernement. Les jeunes ne veulent plus être marginalisés, économiquement, socialement et aussi politiquement. Pour certains d’entre eux, les mouvements djihadistes constituent une réponse à ce sentiment de marginalisation.

GDS : Les États sont donc en cause selon vous ?
MB : Les jeunes ne trouvent pas de réponses à leurs problèmes auprès des gouvernements. Le cas du Mali montre bien que ces jeunes qui se sentent marginalisés avaient d’abord une approche pacifiste de dialogue avec les autorités. Ensuite ils se sont engagés dans des groupes armés. En partie car le gouvernement malien les a utilisés pour lutter contre les Touaregs. A partir de là se sont mis en place des groupes d’autodéfense, maintenant accaparés par des mouvements djihadistes. Cela va être difficile de faire machine arrière car les jeunes ont trouvé une forme d’identité et de fierté dans ces groupes. La violence est en quelque sorte devenue une norme, ce qui est inquiétant. Très souvent, les réponses gouvernementales n’aident pas non plus. La force militaire sème encore plus de désordre. Je viens de faire un film au Nord Cameroun sur Boko Haram et la situation des réfugiés, la situation est grave. Cela ne risque que de nourrir une nouvelle génération de jeunes marginalisés. Parallèlement, différents groupes nomades voient leurs zones de pâturages occupées par les réfugiés, ce qui va exacerber les conflits. Il faut aussi préciser qu’il y a une diversité énorme dans ces groupes qu’on nomme « pastoralistes djihadistes ». Les circonstances et la manière dont ils se développent ne sont pas les mêmes dans le delta intérieur et dans les zones excentrées du Nord du Burkina et du Niger. On associe la région du Sahel à la question peule mais il y a d’autres groupes nomades comme les agropasteurs, qui sont aussi dans une situation de mécontentement. Il ne faut pas faire de généralités mais comprendre chaque localité avec ses propres dynamiques.

GDS : La radicalisation est-elle un moyen pour ces jeunes de lutter contre leur marginalisation socioéconomique ?
MB : Oui, rejoindre ces groupes est en quelque sorte une autre façon de se socialiser, mais là encore il y a des divisions. D’après ce que j’ai entendu, certains jeunes sont en recherche d’identité, ils sont dans une sorte de période « rock’n’roll » et ils vont probablement revenir à la normale. Et puis il y a ceux qui se sont vraiment radicalisés, avec qui il est difficile de parler. Ces jeunes se retrouvent dans le discours anti- État de ces mouvements.

GDS : Selon vous, quel est le rôle de la famille dans la radicalisation des jeunes éleveurs ?
MB : Ce n’est pas seulement familial. Les Peuls et les Touaregs par exemple vivent dans des sociétés hiérarchisées qui vont des élites jusqu’aux esclaves. Or justement sur ce point, il est intéressant de voir que les nomades se sont révoltés contre leurs élites qui étaient du côté de l’État : il y a eu une rupture profonde entre les élites et les nomades dans les sociétés Peul et Touareg, qui a en quelque sorte rapproché les nomades dans une même unité. Après il est vrai que ces nomades ont des structures familiales hiérarchiques, linéales avec des clans bien organisés, mais aussi très flexibles. Mais chez les Peuls du Mali central par exemple, l’ancienne solidarité familiale reste très forte. Les parents ne sont pas forcément contre la radicalisation de leurs enfants, dans certains cas ils la soutiennent même.

GDS : Quel est l’impact économique du radicalisme sur le pastoralisme ?
MB : La radicalisation s’accompagne d’un rejet des règles instaurées par les « élites ». Par exemple, la gestion des zones pastorales est soumise à des règles très anciennes. Or la révolte est dirigée contre ceux qui ont installé ces règles et qui souvent les ont corrompues. Le danger, c’est qu’en niant ces règles, on aboutisse à un problème écologique. Cette négation risque d’entraîner une diminution des pâturages, une réduction de la mobilité des troupeaux et ainsi une hausse de la mortalité des animaux.

GDS : Le radicalisme n’est-il pas davantage un outil au service de conflits préexistants que le résultat d’une véritable conviction religieuse ?
MB : Oui, je crois que la religion n’est pas le seul enjeu dans ce phénomène de radicalisation, elle est surtout un véhicule. Les conflits anciens entre agriculteurs et éleveurs, qui sont devenus des conflits ethniques, sont une des causes du ralliement des jeunes à des groupes radicalisés. Certains groupes djihadistes ont quant à eux ciblé les élites, d’autres l’État, d’autres certains groupes ethniques. Ils proposent une réponse violente à des conflits antérieurs.

Les Peuls nomades se réunissent à Serma au Mali central en 2014
Photo de Boukary Sangaré

GDS : Quel est le rôle des jeunes prédicateurs dans la radicalisation des jeunes pastoraux ?
MB : Je pense que leur rôle est très grand. J’ai suivi les prêches et l’évolution d’Amadou Koufa au Mali. Ses prêches se retrouvent dans tous les téléphones des jeunes, y compris à Bamako et dans le Sud du pays. C’est un ancien chanteur, reconnu depuis longtemps comme médiateur de messages religieux. Mais ses prêches sont devenus de plus en plus violents. L’essor des NTIC a amplifié son écho. Beaucoup d’informations circulent grâce à la téléphonie mobile, y compris dans les zones rurales reculées qui sont aujourd’hui connectées. Les prédicateurs touchent aussi les jeunes lors de voyages ou via certaines radios locales.

GDS : Quelles sont les solutions pour prévenir la radicalisation des jeunes éleveurs ?
MB : On n’a malheureusement pas de réponse. Jusqu’à présent il n’y a pas eu de politiques effectives. Les grandes mesures proposées, c’est toujours de rétablir les couloirs de passage pour l’élevage transhumant et de dire aux agriculteurs de se retirer des espaces pastoraux, mais ça a été essayé mille fois, sans réels résultats ! Il y a des initiatives nouvelles comme les programmes de sensibilisation des jeunes sur l’extrémisme violent, qui semblent constituer des pistes d’actions intéressantes. Mais dans la situation actuelle du Sahel il est difficile de les implanter. Beaucoup de ces mesures sont surtout orientées vers un environnement urbain, bien que la plupart des pasteurs vivent dans les zones rurales. C’est une question très difficile. Les lois existantes ne fonctionnent pas car l’État est corrompu à différents niveaux et on bute sur leur application. Il faut aussi réfléchir à une solution pour résorber les conflits, en mettant en place des cadres de concertation entre les différentes communautés, car la radicalisation est en partie due à des conflits existants. La manière de gérer le problème de l’espace demande une réflexion profonde avec les Touaregs, les Peuls et leurs partenaires paysans. Il faudra pour cela nouer un dialogue avec les « vrais » leaders, et non avec ces élites qui ne comprennent pas bien les enjeux car ce ne sont pas des éleveurs. Or ces « vrais » leaders ne parlent ni anglais, ni français, ils sont éloignés des centres de décision. Il faut aller les chercher. Enfin, il y a peut-être « trop » de jeunes dans des sociétés pastorales marquées par une faible diversification des activités économiques. Il faudrait réfléchir profondément à comment créer des industries dans les zones arides mais on en est tellement loin aujourd’hui que cela relève presque de l’utopie !

Une responsabilité familiale et paysanne

Lors de son Assemblée générale de 2017, l’Association pour la promotion de l’élevage au Sahel et en Savane (Apess) s’est interrogée sur la crise de la jeunesse en milieu éleveur. Les participants à l’AG ont constaté que les réponses actuelles sont insuffisantes ou inadaptées. Selon eux, le manque d’intérêt des jeunes pour l’élevage et leur sentiment de malaise sont en partie dus au fait qu’ils n’y trouvent pas les bénéfices qu’ils peuvent espérer car ils sont mal partagés, et qu’ils ont des doutes par rapport au modèle que leur proposent leurs parents. Ils ont décidé de poursuivre et d’approfondir cette réflexion sur la jeunesse dans les prochaines années, aux différentes échelles de l’Apess, avec les familles et les jeunes eux-mêmes. Instaurer des « conseils de famille » et donner plus de place aux jeunes garçons et aux jeunes filles au sein de l’activité familiale et de l’organisation paysanne s’avère selon eux essentiel pour sortir de l’impasse actuelle sur la question de la jeunesse.

Mirjam de Bruijn (m.e.de.bruijn@hum. leidenuniv.nl) est professeur en anthropologie et Histoire contemporaine de l’Afrique à l’Université de Leiden aux Pays-Bas.

Pour en savoir plus, un projet de recherche s’occupe de cette problématique (www. connecting-in-times-ofduress. nl) et le site web http://www.nomadesahel.org présentera les résultats d’une recherche en milieu nomade au Sahel.

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