Dégradation de la végétation des parcours, forte intensité d’émission de gaz à effet de serre…: l’élevage pastoral au Sahel est souvent accusé de nuire à l’environnement et de contribuer au réchauffement climatique. Une approche plus systémique d’un territoire pastoral indique pourtant des interactions bien moins néfastes entre les animaux et leur milieu.
Les ruminants contribuent aux émissions de gaz à effet de serre (GES) mais peu d’études ont quantifié et analysé de façon systémique l’impact des ruminants élevés de manière extensive sur le bilan carbone d’un écosystème. Des travaux de recherche ont été menés de mai 2014 à octobre 2015 au Sénégal afin d’estimer plus précisément les émissions de GES et les flux de stockage de carbone à l’échelle d’un territoire pastoral en contexte tropical sec.
Un élevage néfaste pour l’environnement ? Selon les estimations de la FAO, la contribution des activités d’élevage aux émissions de GES (dioxyde de carbone, méthane et protoxyde d’azote) est élevée : celles-ci seraient responsables de 14,5 % des émissions anthropiques mondiales. Les principales sources d’émissions associées à l’élevage proviennent de la production d’aliments du bétail, de la consommation d’énergie fossile pour le transport et la conservation des produits de l’élevage, de la fermentation microbienne des aliments dans le système digestif des ruminants et enfin des déjections animales.
Les élevages pastoraux sahéliens contribuent très marginalement aux deux premières sources. En revanche, ils ont une alimentation riche en fibres dont la digestion produit beaucoup de méthane. Leur productivité repose aussi sur un grand nombre d’animaux à l’hectare qui sont accusés de fortes émissions de GES par unité de produits animaux.
Par ailleurs, l’élevage pastoral au Sahel est souvent associé à l’idée d’une dégradation environnementale par surpâturage. En raison du piétinement des animaux et des prélèvements fourragers incontrôlés, l’élevage affecterait la production végétale, la biodiversité, la perméabilité et la fertilité des sols.
L’élevage sahélien est-il si néfaste pour l’environnement ? Cette interrogation a fait l’objet d’un travail de recherche mené dans la région du Ferlo au Nord du Sénégal, à l’échelle d’un territoire pastoral géré par une communauté d’éleveurs dont les troupeaux sont plurispécifiques et mobiles au cours des saisons. Cet article présente les résultats d’un premier bilan carbone établi à l’échelle de ce territoire.
Les pâturages communautaires du Sahel : le cas du Ferlo. Le Ferlo est une des principales zones pastorales du Sénégal et couvre environ 70 000 km2. Le mode d’élevage dominant est pastoral et repose à la fois sur la mobilité saisonnière des troupeaux, sur l’accès partagé et la gestion communautaire des parcours et des ressources en eau.
L’élevage pastoral du Ferlo est organisé autour d’un réseau de forages distants entre eux d’environ 30 km. Pour cet article, un bilan carbone est établi à l’échelle de desserte d’un de ces forages (Widou Thiengoly, 700 km²).
Un suivi mensuel de l’évolution des ressources fourragères du territoire pastoral autour du forage de Widou a été réalisé sur un échantillon de 15 sites couvrant la diversité paysagère. La mobilité et les activités pastorales ont également été suivies sur un échantillon de 40 troupeaux parmi les 354 exploitations du territoire. Chaque mois l’ingestion et la digestibilité des rations des bovins, ovins, et caprins ont été estimées par une méthode indirecte fondée sur la mesure de la réflectance des fèces à l’aide d’un spectromètre.
Des émissions de méthane surévaluées. Les résultats indiquent que sur un cycle annuel complet, moins de 30 % de la biomasse herbacée produite est ingérée par les animaux présents sur le territoire pastoral. De même, moins de 1 % de la production foliaire annuelle des ligneux est prélevée par le bétail.
L’ingestion fourragère journalière exprimée en grammes de matière sèche par kg de poids vif, varie saisonnièrement et selon les espèces animales. Elle est en moyenne annuellement de 17 pour les bovins, 32 pour les ovins et 35 pour les caprins. Elle est donc soit inférieure (bovin) soit supérieure (petits ruminants) à la norme standard (25) généralement utilisée par les services d’élevage des pays sahéliens. Cette différence conduit à une surévaluation de l’ingestion fourragère annuelle de 36 % dans le cas de cette étude qui propose des normes alternatives pour une estimation plus juste de l’ingestion fourragère des ruminants.
Ces observations de comportement alimentaire (estimation de l’ingestion et de la digestibilité des rations au cours de l’année), permettent d’affiner l’estimation des émissions de méthane lors de la digestion des aliments ingérés. Celles-ci s’avèrent environ deux fois moins importantes que les estimations régionales proposées par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Selon nos résultats, un bovin de 250 kg de poids vif émettrait 24 kg de méthane par an au lieu de 46.
Un bilan carbone en équilibre. Le bilan entre l’ensemble des émissions (fermentation entérique des animaux d’élevage et des termites, émissions de GES du sol et des eaux, par les feux de végétation et le fonctionnement de la motopompe du forage) et des accumulations de carbone dans les principaux réservoirs (matière organique des sols, bois et racines des ligneux) a été établi pour le territoire pastoral de Widou Thiengoly.
Cycle et bilan carbone simplifié d’un écosystème pastoral
Le bilan carbone se calcule par rapport au sens des flux d’échanges entre l’écosystème et l’atmosphère en comptabilisant positivement l’ensemble des flux de gaz à effet de serre vers l’atmosphère (i.e. émissions) et négativement les flux de carbone vers l’écosystème (i.e. séquestration). Ainsi un bilan négatif suppose une séquestration supérieure aux émissions et inversement un bilan positif correspond à des émissions plus importantes que la séquestration.
Ce bilan varie fortement entre les unités paysagères du territoire et au cours de l’année. Néanmoins, il apparaît comme pratiquement neutre, allant de -0,01±0,003 tonne équivalent carbone par hectare par an, à l’échelle du territoire et de l’année entière. Le bilan carbone du système pastoral serait donc en équilibre sur l’année avec des émissions de GES issues des animaux, des terres et des surfaces en eau compensées par le stockage du carbone dans le sol et les arbres.
Intégrer toutes les composantes du territoire pastoral. Les résultats de ces travaux de recherche témoignent de l’intérêt d’une approche écosystémique couvrant toutes les composantes d’un territoire pastoral. Les résultats montrent que les territoires pâturés sahéliens peuvent avoir un bilan carbone en équilibre, voire faiblement stockeur de carbone.
Cette connaissance du fonctionnement des écosystèmes pastoraux, en particulier de la mobilité pastorale, l’estimation plus exacte de l’ingestion fourragère et de sa digestibilité sont autant d’éléments clés pour évaluer les options d’aménagement du territoire privilégiant le stockage du carbone dans l’écosystème et l’augmentation de la productivité des cheptels au Sahel.
Mohamed Habibou Assouma (habibou.assouma@ gmail.com) est agronome forestier spécialiste de l’écologie et du bilan carbone des territoires pastoraux tropicaux. Il a consacré sa thèse de doctorat à la contribution de l’élevage aux GES dans un territoire sylvopastoral sahélien. Nous vous invitons à lire l’intégralité de cette thèse en ligne : ici
Philippe Lecomte, Christian Corniaux et Jonathan Vayssières sont chercheurs au Cirad au sein de l’Unité mixte de recherche Selmet affectés au DP Pôle Pastoralisme et zones sèches basé à Dakar.
Alexandre Ickowicz est chercheur au Cirad au sein de l’UMR Selmet.
Pierre Hiernaux est agronome et écologue, retraité du Centre national de la recherche scientifique et de l’Institut international de recherche en élevage (Ilri) et actuellement responsable de « Pastoralisme Conseil (Pastoc) ».
Cheikh. Mbow est enseignant chercheur en télédétection et changement climatique actuellement directeur exécutif de «International START Secretariat».
Pastoralisme et environnement : une relation conflictuelle ?
Émissions de gaz à effet de serre, surpâturage, surexploitation des ressources en eau, dégradation du couvert végétal, érosion des sols, désertification : l’élevage engendre des effets de plus en plus décriés par les experts internationaux (GIEC, FAO) comme néfastes pour l’environnement. Pour certains, les systèmes pastoraux seraient particulièrement en cause car ils reposent sur l’élevage d’un grand nombre d’animaux sur de larges espaces. Des systèmes sédentaires auraient moins d’impacts négatifs : en étant concentrés dans un espace définis, les animaux ne dégradent pas les alentours. Des travaux récents, généralement issus de la société civile et de la recherche, montrent toutefois que les systèmes d’élevage mobiles participent à l’équilibre des écosystèmes. Ainsi, la mobilité permettrait aux éleveurs de gérer de manière rationnelle les ressources, tout en évitant le surpâturage et donc la dégradation de l’environnement. La transhumance permet l’occupation, sur un temps limité, des pâturages ce qui assure leur régénération, la diversification des espèces, leur assainissement, la réduction des risques de feux de végétation et a fortiori la fertilité des sols. Dans certaines zones, la forte augmentation des cheptels et la réduction de la mobilité remettent en cause cet équilibre.
Pour en savoir plus : Garnett, T., et al. (2017). Grazed and Confused? Ruminating on cattle, grazing systems, methane, nitrous oxide, the soil carbon sequestration question—and what it all means for greenhouse gas emissions. FCRN, University of Oxford->http://www. fcrn.org.uk/sites/default/files/project-files/fcrn_gnc_report.pdf