Face aux spécificités de la vulnérabilité pastorale, humaine et animale, des outils et des solutions ont été pensés et instaurés pour accroitre la résilience des acteurs. Quels sont-ils et quel bilan en tirer ?
Grain de Sel : La vulnérabilité des populations pastorales est-elle similaire à celle des agriculteurs ?
Abdoul Aziz Ag Alwaly : Non les pasteurs sahéliens sont sujets à une vulnérabilité qui se distingue de celle des agriculteurs. Cette vulnérabilité est déterminée par une diversité de facteurs, aussi bien économiques que culturels. La vulnérabilité pastorale s’exprime dans un premier temps lorsque les conditions de survivance du bétail ne sont pas assurées (manque de pâturage pour l’alimentation, manque d’eau, risques épidémiologiques). C’est seulement dans un second temps que la survivance du pasteur lui-même est mise en cause.
Une multitude de chocs peuvent conduire un pasteur en situation de vulnérabilité (sécheresses, inondations, accaparement de terres, banditisme, terrorisme, maladie et épidémie animales, actions politiques, etc.). Ces chocs sont souvent globaux et touchent l’ensemble de la communauté pastorale. De fait, une multitude de mesures doivent être mobilisées pour les atténuer. Le problème, c’est que les dispositifs de prévention et de gestion des crises ont longtemps privilégié l’évaluation des déficits céréaliers. Les outils de réponse qui en découlaient reposaient sur des distributions de céréales gratuites, l’appui aux cultures de contre-saison, la distribution de semences… des actions dont ne bénéficiaient pas les pasteurs. Heureusement, c’est en train de changer, notamment grâce au plaidoyer mené par les organisations d’éleveurs.
GDS : Comment peut-on suivre l’évolution de cette vulnérabilité pastorale ?
AA : L’anticipation et l’évaluation de cette vulnérabilité sont complexes puisque le seuil de viabilité pastorale est encore aujourd’hui difficilement mesurable. Il s’agit du seuil en dessous duquel on considère que les exploitations pastorales ne seraient pas viables économiquement, et ne permettraient pas de faire vivre les membres du ménage. Plusieurs critères sont proposés mais ils font toujours débat (taille et composition du troupeau, taille et composition du ménage, autres pratiques génératrice de revenus). Au niveau du RBM, nous sommes en train de tester, dans le cadre d’un projet pilote financé par la Cedeao et ses partenaires, une méthodologie de ciblage adaptée aux ménages pastoraux. Avec l’aide de partenaires spécialisés sur la gestion et la prévention des crises, nous avons défini une méthodologie de ciblage qui nous a permis d’identifier 1 900 ménages vulnérables dont nous allons suivre l’évolution jusqu’à fin 2018. L’impact des chocs et des mesures mises en oeuvre sera également évalué.
GDS : La mobilité est-elle une réponse suffisante à cette vulnérabilité ?
AA : C’est une solution incontournable au Sahel où la disponibilité des ressources est très variable dans l’espace et le temps, mais c’est une solution qui doit aller de pair avec beaucoup d’autres. Il faut faciliter la mobilité, en limitant tout ce qui l’entrave comme l’accaparement des terres ou encore l’obstruction des passages. Selon qu’elles soient bonnes ou mauvaises, les conditions de mobilité vont soit faciliter soit aggraver le règlement des crises pastorales.
Mais la mobilité seule ne suffit pas. Les pasteurs ont ainsi développé d’autres stratégies pour gérer « l’effet domino » des petits chocs et des crises. Depuis plusieurs années, le RBM a par exemple développé un système de veille sur l’état des ressources pastorales ou encore les mouvements des troupeaux.
Ces systèmes permettent d’une part aux éleveurs d’anticiper les zones et les périodes de tensions, d’autre part à leurs organisations de développer des argumentaires utiles pour leur plaidoyer, d’alerter les pouvoirs publics sur les risques de crise, etc.
GDS : Pensez-vous que des « filets sociaux » adaptés aux éleveurs mobiles devraient être mis en place ?
AA : Bien sûr ! Et ils commencent à l’être. Des mécanismes comme la distribution d’aliments du bétail sont par exemple essentiels. En période de crise pastorale, les éleveurs vulnérables cherchent à vendre une partie de leur troupeau pour subsister. L’offre d’animaux excède alors la demande ce qui entraine une baisse du prix de vente. Non seulement, les éleveurs vendent à vil prix mais ils décapitalisent aussi leurs troupeaux. Or, le troupeau c’est la base de la résilience pastorale. Et en reconstituer un peut prendre des dizaines d’années. Ainsi la prévention des crises alimentaires et nutritionnelles en milieu pastoral passe avant tout par la protection des troupeaux.
Aujourd’hui il n’y a pas suffisamment de banques d’aliment du bétail dans la région, ou alors elles sont situées près des agglomérations et non le long des voies de transhumance. On espère que cela va changer avec la Réserve régionale de sécurité alimentaire.
Très peu de services sociaux de base adaptés sont initiés en faveur des groupes les plus vulnérables, notamment les enfants en âge de scolarisation, ou les jeunes désoeuvrés. Les rares services existants ne sont pas fonctionnels, faute de ressources humaines qualifiées et d’équipement minimum. Quelques expériences concluantes existent en Afrique de l’Est et dans d’autres pays du monde, en tout cas des tentatives qui peuvent inspirer des projets viables dans ce sens.
GDS : Quel rôle le RBM a-t-il joué dans la mise en place d’une composante « aliment du bétail » dans la Réserve régionale ?
AA : Le RBM, avec l’appui de l’APESS et du ROPPA, a demandé à ce que soit intégrée une composante « aliment du bétail » à la Réserve régionale de sécurité alimentaire. La Cedeao a reçu favorablement cette demande. Deux orientations ont été retenues : premièrement utiliser la réserve financière pour intervenir en faveur des éleveurs confrontés à des crises pastorales et deuxièmement lancer un projet pilote de mise en place de stocks décentralisés d’aliments du bétail pour en tirer des enseignements pour la conception de la composante physique aliments du bétail de la Réserve régionale.
Le RBM a engagé des travaux centrés sur la conception de cette composante. La Cedeao a financé avec ses partenaires un projet pilote centré sur le renforcement de la résilience des populations pastorales, mis en oeuvre par le RBM. Ce projet a permis de tester les opérations d’approvisionnement des banques d’aliments du bétail et d’en tirer des enseignements. Il a notamment conduit à la définition d’un ensemble de modalités spécifiques appropriées pour les achats publics ou les achats des organisations d’éleveurs financées par des fonds publics nationaux, régionaux ou internationaux. Ces modalités ont été consignées dans un manuel de procédures soumis à la Commission de la Cedeao.
GDS : Pour faire face aux risques de vols, que pensez- vous du regroupement de troupeaux pour la mutualisation de leur garde ?
AA : C’est l’idéal mais le regroupement ne va pas toujours avec les techniques et pratiques rationnelles de gestion des pâturages car il entraine un surpâturage. Le problème, c’est que ce sont des pasteurs eux-mêmes qui sont complices voire instigateurs de cette insécurité. Il s’agit des éleveurs ayant perdu leur cheptel suite aux différents chocs, surtout les jeunes éleveurs désoeuvrés face à des perspectives jugées sombres. Les victimes restent souvent silencieuses, elles n’osent pas dénoncer car elles ne sont pas sures d’être protégées par leur État d’origine.
GDS : Pourquoi ne pas armer les pasteurs alors ?
AA : L’armement n’est pas non plus une solution, ça ne peut qu’empirer l’insécurité ! Beaucoup de pasteurs se sont déjà armés spontanément pour protéger leurs troupeaux mais parfois l’arme en elle-même devient source d’insécurité car elle est si convoitée que d’autres viendront vous attaquer pour la récupérer.
GDS : En ce qui concerne la vulnérabilité liée à la dégradation des ressources naturelles, qu’en est-il des solutions de réhabilitation ?
AA : Il faut penser à des projets structurants d’aménagement de ces espaces, notamment des projets de grande envergure, générateurs d’emplois, de revenus conséquents ou offrant l’accès durable à des services sociaux de base : éducation scolaire, santé, etc. Il y a suffisamment de pluie et de cours d’eau pour permettre des aménagements conséquents. Une solution serait de former les éleveurs à la mise en place de ces aménagements et plus globalement à la protection de leur environnement.
GDS : Ne faudrait-il pas rendre l’accès aux ressources payant ?
AA : Mais les éleveurs payent déjà beaucoup ! Il y a les impôts par tête de bétail versés à l’État, les rançons à différents groupes, l’accès à certaines ressources… Les éleveurs paient déjà pour pas mal de choses (des taxes sur les marchés à bétail, sur les routes d’acheminement du bétail en faveur des forces de sécurité, etc.) même si ce n’est pas formalisé.
Abdoul Aziz Ag Alwaly (agalwaly@yahoo.fr) est coordinateur du Tassaght, organisation paysanne membre du Réseau Billital Maroobé (RBM) et point focal du RBM au Mali.