L’élevage mobile ayant une importance majeure en Afrique de l’Ouest, s’assurer de la bonne santé des cheptels revêt une dimension stratégique certaine. Or les services vétérinaires actuels sont inégalement répartis, de qualité variable et souvent coûteux. Le service vétérinaire privé de proximité vise à y remédier.
Dans de nombreux pays africains, l’élevage contribue significativement à la richesse nationale et à la sécurité alimentaire et économique des ménages. Il mérite donc de bénéficier de services d’appui adéquats permettant de garantir la santé animale mais également la qualité de l’ensemble des produits d’origine animale consommés.
En ce qui concerne l’élevage traditionnel de ruminants dans le Sahel, ces services doivent pouvoir répondre aux besoins de deux systèmes d’élevage très différents, sédentaire et mobile. Dans le contexte actuel de privatisation de la profession vétérinaire, le démantèlement des services étatiques a souvent été brusque, sans que le milieu soit suffisamment préparé pour une reprise des services par le secteur privé.
Trop peu de services de santé. Le maillage du territoire en professionnels vétérinaires est globalement très insuffisant. À titre d’exemple, le Burkina Faso compte 102 vétérinaires pour 9 millions de bovins répartis sur plus de 270 000 km2. Du fait de leur nombre réduit, ces professionnels s’installent préférentiellement dans les grands centres urbains, plus attractifs, au détriment des vastes espaces pastoraux. Il arrive ainsi qu’un éleveur ne dispose d’aucun service vétérinaire dans un rayon de plus de 50 km.
Par ailleurs, là où ces services sont disponibles, les coûts des prestations d’un vétérinaire dépassent les capacités à payer des petits éleveurs familiaux.
Enfin, les déplacements des animaux entre plusieurs pays entrainent, de facto, une discontinuité dans l’offre de services et une variabilité dans l’organisation des systèmes de santé animale d’un pays à l’autre.
En lien avec les difficultés d’accessibilité, la qualité des prestations vétérinaires est encore à améliorer. Les zones rurales sont généralement occupées par des para-professionnels vétérinaires (techniciens d’élevage) ne disposant pas de toutes les compétences requises. À côté de ces acteurs et du fait du grand vide laissé par les professionnels, des clandestins sans aucune formation sont devenus le recours privilégié des agropasteurs.
Faux médicaments et qualité variable des vaccins. Le trafic de faux médicaments est une problématique mondiale qui ne se limite pas aux médicaments humains. Pour certains, il supplante le trafic des drogues par les bénéfices qu’il génère. Dans le domaine de la santé animale, l’utilisation de médicaments falsifiés peut avoir des conséquences évidentes sur la santé animale, mais également sur la santé publique du fait des résidus qui peuvent persister dans les produits d’origine animale. Il se développe d’autant plus facilement que les législations sont inadaptées, les populations mal informées, les chaînes d’approvisionnement complexes et incertaines, les structures de régulation et moyens de contrôle absents, les frontières poreuses et la corruption présente.
À cela s’ajoutent des difficultés logistiques qui ne permettent pas le respect rigoureux de la chaine de froid, compromettant alors la qualité des vaccins administrés aux animaux et entrainant, in fine, des résurgences fréquentes de foyers de maladies.
Stratégies d’évitement des services vétérinaires étatiques. La définition des prérogatives, le maillage et l’opérationnalisation de services de santé animale demeurent jusqu’à présent, et dans de nombreux contextes, l’affaire des seuls professionnels vétérinaires. Ceci engendre une incompréhension, voire des tensions entre les utilisateurs (les éleveurs) et les prestataires (les vétérinaires) des services.
Les éleveurs, ne percevant pas tous les enjeux de santé publique inhérents à leur activité, développent des stratégies d’évitement des services vétérinaires étatiques qu’ils perçoivent comme une « police vétérinaire ». Ces stratégies se retrouvent vis-à-vis des vétérinaires privés. Cette situation compromet le bon déroulement de la lutte contre les épizooties et entraine un dysfonctionnement des dispositifs d’épidémiosurveillance.
Développer un service vétérinaire adapté aux transhumants. Face à ces défis, Vétérinaires Sans Frontière Belgique (VSF-B) accompagne depuis plus de 15 ans la politique de privatisation de la profession vétérinaire adoptée par les États en Afrique. VSF-B a ainsi développé un « Service vétérinaire privé de proximité » (SVPP) au Burkina, au Mali, au Niger, en RDC, au Rwanda, en Ouganda, au Burundi et au Kenya.
Le SVPP vise à permettre aux ménages d’agropasteurs, notamment les transhumants, de sécuriser la santé de leurs troupeaux, de leur assurer un accès à des services de santé animale de qualité tout au long de leurs déplacements, y compris transfrontaliers, et en toute saison. Ce dispositif, conçu principalement pour les zones rurales, respecte les normes de l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) et la législation des pays d’intervention.
Ce travail s’effectue en partenariat étroit avec l’État qui appuie les SVPP sur les plans financier et logistique.
Combler le vide. Un des objectifs du SVPP est d’attirer les opérateurs privés dans des régions peu couvertes. Cette mesure passe par l’adoption de mesures incitatives favorisant l’installation des vétérinaires privés dans des zones défavorisées (subventions à l’installation, appui financier et matériel remboursable sans intérêt, mise en relation avec des institutions de financement, subvention des séances de sensibilisation des éleveurs pour encourager la demande…), mais aussi par la valorisation des para-professionnels vétérinaires et des agents communautaires de santé animale (ACSA) plus disposés à travailler dans ces zones pastorales.
Les vétérinaires privés, les techniciens vétérinaires et les agents communautaires de santé animale travaillent dans un même réseau. Le vétérinaire assure la qualité du service fourni par les techniciens vétérinaires et les ACSA par le parrainage, la formation, le suivi accompagnement et l’approvisionnement en médicaments vétérinaires. L’ACSA assure la proximité avec les éleveurs. Le bon fonctionnement du réseau dépend de la reconnaissance, par les éleveurs, des compétences des professionnels et de la disponibilité de médicaments vétérinaires à un prix raisonnable.
Taux d’éleveurs pratiquant régulièrement les vaccinations sur leurs animaux au Niger
Les adhérents sont les éleveurs des zones couvertes par un SVPP Source : Capitalisation SVPP au Niger, le SVPP « Quelle place dans la sécurité alimentaire et économique des ménages ruraux au Niger ? »
Changement de comportement. Au-delà de cet aspect technique, le dispositif travaille aussi à changer le comportement des éleveurs afin d’améliorer leur coopération avec les services vétérinaires. Pour cela, les acteurs locaux (associations d’éleveurs, chefferies traditionnelles) devant collaborer à l’installation du SVPP sont identifiés de manière la plus objective possible. Ils se regroupent au sein d’un cadre informel de concertation en santé animale qui analyse périodiquement l’encadrement vétérinaire et propose des voies d’amélioration du dispositif.
L’installation du SVPP doit se faire sur la base de la représentativité, de la présence sur le terrain, de l’influence sur les communautés cibles et sur le dynamisme de ces acteurs. Elle offre l’opportunité de rétablir la confiance et les bases d’un partenariat stratégique entre les organisations paysannes et la profession vétérinaire.
Dans le dispositif des SVPP, l’État se désengage des fonctions techniques au profit du secteur privé et se repositionne sur ses fonctions régaliennes, notamment la définition des programmes de lutte contre les maladies animales jugées prioritaires et des modalités de contrôle de leurs mises en place. En collaboration avec les acteurs impliqués (ordre vétérinaire, association des professionnels vétérinaires, acteurs de développement), il définit les normes d’éthique et de compétences applicables aux professionnels et en garantit le respect.
Prise en charge des coûts par les éleveurs. Du point de vue financier, les coûts des prestations vétérinaires sont pris en charge par les éleveurs et sont réduits grâce à des actions de prévention (vaccinations, déparasitage, bonne alimentation de l’animal).
Ces coûts sont variables et peuvent aller de 150 FCFA (pour une vaccination) à plusieurs dizaines de milliers de FCFA dans le cas des soins curatifs sur un bovin. Dans toutes les zones où le SVPP a été mis en oeuvre, les résultats sont très satisfaisants avec une amélioration nette de la couverture vaccinale (jusqu’à plus de 100 %), une forte réduction des taux de mortalité (plus de 50 %), ou encore l’amélioration des paramètres zootechniques.
Afin de pérenniser ces acquis, il est nécessaire de disposer de mécanismes de financement adéquats, qu’il s’agisse de financements émanant de l’État qui délègue une partie de ses rôles aux opérateurs privés ou de conditions d’emprunt adaptées au monde agricole de façon générale, avec des taux d’intérêts moins élevés que la pratique actuelle.
Christian Dovonou (c.dovonou@vsf-belgium.org) est docteur vétérinaire, il travaille pour Vétérinaires Sans Frontières Belgique (VSF-B), au Burkina Faso, en tant que Directeur Pays.
Pour en savoir plus, nous vous recommandons la lecture des documents suivants : Guide service vétérinaire privé de proximité (SVPP), Capitalisation SVPP Niger, Policy Brief « One health », policy brief « des services de santé animale de qualité adaptés au pastoralisme en Afrique de l’Ouest ».