Les collectivités locales jouent un rôle de plus en plus important dans la gestion des ressources naturelles et dans l’encadrement du pastoralisme. Comment concrètement exercent-elles cette fonction ? Quelles difficultés rencontrent- elles ?
Grain de sel : L’élevage est-il une activité importante pour la ville d’Agadez ?
Rhissa Feltou : C’est une activité essentielle pour le pays et pour la population d’Agadez qui est en majorité composée d’éleveurs aujourd’hui sédentarisés dans la ville ou à sa périphérie. Ces familles continuent de pratiquer l’élevage de chameaux, de chèvres et de moutons. La plupart des habitants pratique un élevage de « sécurité économique ». Ils ont souvent deux, trois, voire une dizaine de chèvres ou de moutons qu’ils élèvent chez eux. En cas de période difficile, ils peuvent faire appel à cette « épargne sur pattes ». Tous les matins, des bergers rassemblent ces animaux, moyennant 150 ou 200 francs par mois par tête, pour les emmener pâturer à plusieurs kilomètres en-dehors de la ville : ces chèvres et moutons constituent des troupeaux qui avoisinent les 200 à 300 têtes.
En dehors de cet élevage « local » ou urbain, la région d’Agadez est une grande zone de pâturage et de transhumance. La région couvre trois quart de la surface nationale, soit plus de 550 000 km². Nous sommes au centre géographique du Niger, à l’abord des montagnes de l’Aïr et en bordure du désert du Ténéré. À certaines périodes de l’année, il y a beaucoup d’animaux et d’éleveurs sur un espace réduit, ce qui impacte les réserves d’herbes et d’eau qui sont, certaines années, largement dépassées.
GDS : Cette position de « zone de passage » crée-telle des conflits ?
RF : Bien sûr, la coexistence des zones agricoles et des zones de pâturages engendre une difficile cohabitation qu’il faut gérer avec tous les acteurs au sein d’un cadre de dialogue permanent. Les animaux errent, entrent dans les zones de culture, détruisent ou mangent la production agricole, ce qui crée des problèmes avec les agriculteurs. De l’autre côté, les agriculteurs empiètent sur les terres pastorales, parce que la population s’accroît et les progrès technologiques permettent aujourd’hui de cultiver des terres arides. C’est difficile d’interdire aux gens de cultiver une terre qui peut leur paraître « inutilisée » parce qu’elle sert de pâturage aux troupeaux une partie de l’année.
Les conflits entre agriculteurs et éleveurs sont permanents. Souvent, des commissions foncières composées des leaders villageois, des pasteurs, de la population et des services publiques interviennent pour arbitrer et concilier les parties.
GDS : Que fait la mairie pour soutenir les activités d’élevage ?
RF : Notre plan de développement communal place au premier plan les actions à mener pour soutenir l’élevage qui est l’une des activités les plus importantes de la commune urbaine d’Agadez. À ce titre nous avons un service communal voué entièrement à l’élevage. Ce service a d’abord recensé le cheptel existant dans la commune : celui-ci est composé d’environ 1 700 camelins, 8 700 bovins, 8 200 ovins, 13 900 caprins, 2 250 asins et 25 équins. Des campagnes de vaccination sont organisées en collaboration avec les services de l’État et certains organismes partenaires (prise en charge des coûts des vaccins). La commercialisation, sous la forme de la vente d’animaux sur pieds, est importante. Elle a lieu dans le marché à bétail autogéré d’Agadez. L’ouverture vers les marchés nationaux ou voisins connaît quelques difficultés liées à la situation d’insécurité. Toutefois, des sous-produits — comme le lait, le fromage ou le beurre — sont destinés à la vente de même qu’à la consommation locale.
La commune dispose aussi de 16 puits pastoraux dont seuls 10 sont opérationnels. Les puits pastoraux sont à majorité traditionnels et menacés d’ensablement, surcreusement et éboulement. L’accès à l’eau est une difficulté majeure pour les éleveurs. Les infrastructures d’appui à l’élevage (comme les boutiques d’aliments pour bétail et d’intrants zootechniques) sont insuffisantes de même que l’encadrement professionnel et sanitaire vétérinaire pour faire évoluer le mode d’élevage encore très traditionnel.
Enfin, les services de l’environnement luttent contre le ramassage abusif de l’herbe. Il est interdit de couper l’herbe pour la revendre et l’exporter car les éleveurs partis en transhumance sont alors privés d’aliments pour leurs troupeaux. Mais il y a beaucoup de fraude et pas assez d’agents pour la contrôler, ce qui provoque de vives tensions.
GDS : L’élevage est-il une source de financement importante pour les communes ?
RF : Tout à fait. Des taxes sont prélevées sur le marché à bétail, elles représentent environ 20 % du budget de la commune. Elles dépendent du nombre d’animaux, de sa taille, de sa destination (exportation, consommation, élevage domestique), etc. Mais ce n’est pas le seul secteur taxé. Au total, 40 % du budget de la commune provient de taxes directement prélevées. Le reste vient de l’État et de quelques partenaires.
GDS : Le processus de décentralisation est-il bien avancé au Niger ?
RF : L’idée de décentralisation date d’il y a une trentaine d’années, mais n’a vraiment été mise en oeuvre qu’à partir des années 2000. Les communes ont acquis une autonomie et une responsabilité financière. Elles sont ainsi en charge de la gestion des écoles (niveau préscolaire et primaire), de la voirie, des services d’assainissement et d’hygiène, des dispensaires, de l’eau, de l’environnement et des forêts, des espaces publics et verts, de l’éclairage public, etc.
Il y a beaucoup à faire et très peu d’argent. Il y a certes une décentralisation des pouvoirs mais le plus grand des pouvoirs reste l’argent. Et l’État a du mal à s’en départir. Il est important que la population comprenne que l’État a donné beaucoup plus de devoirs que de droits. On nous réclame beaucoup de choses mais on n’a pas toujours les moyens et les possibilités de le faire. Or, ici comme partout, quand on donne à l’État ou aux collectivités, on a besoin que ce soit tout de suite transformé en quelque chose de visible. Il est difficile de convaincre les citoyens de s’acquitter de leurs impôts s’ils ne voient pas les résultats immédiatement.
GDS : La commune est-elle en lien avec des associations pastorales ?
RF : Oui, la société civile est très présente, notamment sur ces questions d’élevage. La commune d’Agadez emploie directement 250 personnes qui travaillent sur un territoire de 650 km² pour environ 130 000 habitants. Dans ce contexte de moyens limités, ces associations sont importantes car elles permettent d’atténuer les tensions entre communautés — en menant des actions de sensibilisation — et de rendre visibles certains services. Ces associations nous interpellent aussi beaucoup. Et il est vrai que les éleveurs sont dans une situation difficile, à la fois fragilisés par l’environnement lui-même, les pratiques commerciales, l’avancée des zones de culture et l’urbanisation. Et c’est pourquoi il est important pour nous qu’ils soient au centre de nos échanges et de nos activités.
GDS : L’expansion de la ville d’Agadez pose-t-elle problème pour les éleveurs de la région ?
RF : La vitesse d’expansion de la ville d’Agadez est à peine croyable, que l’on considère l’augmentation de la population, l’étalement territorial ou encore le rythme des constructions. Je me demande d’ailleurs comment on pourra, un jour, réussir à satisfaire à la fois les besoins d’expansion de la ville et la mise en place des services minimums (la santé, les écoles, les routes, l’assainissement, etc.).
Cette expansion touche les zones des éleveurs transhumants. Par exemple, les citoyens qui veulent construire une maison à la périphérie de la ville ont besoin d’une autorisation et le plus souvent d’un titre de propriété sur le terrain de la future maison. Or, ces espaces sont généralement situés sur des terres pastorales qui font partie du domaine de l’État : les éleveurs y ont un droit d’usage mais pas de propriété. L’expansion de la ville nécessite un processus de lotissement par la commune : nous faisons une demande au ministère de l’Aménagement du territoire afin de pouvoir établir un titre de propriété sur la parcelle et le vendre à un particulier. Ceci contribue aussi à alimenter le budget de la commune.
Les associations pastorales s’opposent bien sûr à cette privatisation à leurs dépens, mais en fin de compte ce sont les intérêts et les besoins de l’État qui l’emportent. Il y a des compensations lorsque des terres pastorales sont privatisées mais elles reviennent en général aux chefs traditionnels qui sont les garants de la propriété traditionnelle foncière, et non aux associations d’éleveurs.
Rhissa Feltou (mairie.agadez@gmail.com) est maire d’Agadez (Nord du Niger) depuis 2011.