Les filets sociaux sont largement utilisés pour lutter contre la faim en Afrique de l’Ouest. Ils ont connu de nombreuses évolutions au cours des dernières années, se diversifiant et visant des objectifs dépassant la simple réponse à une situation d’urgence.
Les « filets de sécurité sociaux » (Traduction du terme anglais « social safety net ») sont des transferts de ressources non contributifs (aucune participation financière n’est demandée aux bénéficiaires) visant à venir en aide aux populations pauvres ou vulnérables. En Afrique de l’Ouest, ils ont d’abord été conçus et utilisés pour faire face à des situations de crises alimentaires suite à des chocs de production agricole (grandes sécheresses dans le Sahel des années 70 et 80). Ils visaient à apporter directement de la nourriture aux populations affectées par une crise. Ils prenaient essentiellement la forme de distributions gratuites et généralisées de vivres au sein des zones touchées par une crise.
Ces premiers dispositifs ont essuyé de nombreuses critiques. Exigeant une logistique coûteuse et complexe, les distributions de vivres sont difficiles à mettre en œuvre de manière rapide et efficace. Par ailleurs, elles peuvent provoquer des distorsions sur les marchés (comme une chute des prix). Plus fondamentalement, les dernières crises alimentaires, en particulier celle de 2005 au Niger, ont montré que la sécurité alimentaire des populations ne dépend pas uniquement du niveau de production agricole, mais qu’elle est aussi liée à l’accès des populations à la nourriture et à la qualité sanitaire et nutritionnelle des aliments, de l’eau et des régimes alimentaires.
L’essor de la question de la malnutrition a également mis en évidence que de nombreuses populations souffrent de troubles nutritionnels, en dehors de tout contexte de « crise ». Elle a ainsi montré que l’insécurité alimentaire ne se limite pas à la faim transitoire on conjoncturelle (suite à une crise). Elle est également cyclique (touchant chaque année, lors de la soudure, une partie importante de la population) voire dans certains cas chronique : certaines personnes souffrent de faim et/ou de malnutrition en permanence.
À partir du milieu des années 2000, les filets sociaux mis en place en Afrique de l’Ouest ont évolué. Cela pour mieux intégrer ces différentes dimensions et temporalités de la faim. Ils ont cherché à prendre en compte toutes les composantes de la sécurité alimentaire (disponibilité de la nourriture, nutrition et accès des ménages à l’alimentation). Les méthodes de ciblage de ces filets se sont élargies pour intégrer des indicateurs fondés sur le suivi de l’état nutritionnel des populations ou de leurs moyens d’existence. Elles cherchent davantage à identifier des ménages ou des groupes pauvres ou vulnérables, et non plus seulement des zones touchées par une crise. La forme de ces filets a aussi évolué pour répondre à ces objectifs de nutrition et d’accès à la nourriture. Il existe ainsi aujourd’hui une grande diversité de filets sociaux, variant dans la nature du transfert (vivres, argent, intrants, petit bétail, aliments nutritifs…) et la contrepartie demandée (aucune, travail).
Les transferts monétaires en particulier ont connu un succès croissant ces dernières années, car ils permettent à la fois de renforcer le pouvoir d’achat des ménages, de leur donner les moyens d’accéder à une diversité d’aliments, voire de s’engager dans des processus de développement. Dans certains cas, ces transferts permettent en effet aux ménages de démarrer une petite activité économique, ou encore de scolariser leurs enfants par exemple. Afin de renforcer ce potentiel « transformateur » des transferts monétaires, certains programmes intègrent des conditionnalités (scolarisation ou suivi médical des enfants).
Enfin, de plus en plus, des programmes sont mis en place en dehors de contexte de « crises » et sur des durées plus longues (plusieurs années). Ce caractère durable vise à permettre aux filets sociaux de prévenir les crises et de s’attaquer à la faim chronique, en agissant notamment sur la pauvreté des ménages. De tels systèmes reviendraient moins chers que des filets sociaux « curatifs » mis en place à la hâte et à répétition.
Ces évolutions sont néanmoins relativement lentes et tardives en Afrique de l’Ouest. Certes, depuis la fin des années 2000, les États et la Cedeao intègrent les filets sociaux dans leur politique agricole (Ecowap). On assiste aussi au développement de filets sociaux « prévisibles » (mis en place sur plusieurs années), mais qui ne touchent que peu de ménages, et qui sont essentiellement financés et déployés par des acteurs extérieurs, notamment la Banque mondiale. Les pouvoirs publics nationaux se retrouvent surtout cantonnés à un rôle de supervision, souvent théorique, de ces programmes.
L’institutionnalisation et la mise à l’échelle apparaissent ainsi aujourd’hui comme des conditions sine qua non pour la mise en œuvre de véritables filets de protection sociale en Afrique de l’Ouest, qui soient prévisibles, pour partie indépendants des conjonctures de crises et inscrits dans la loi.