Au Burkina Faso, la Fédération nationale des Groupements Naam (FNGN) a mis en place depuis les années 1970 des banques de céréales qui ont connu ces dernières années une série d’évolutions leur permettant d’améliorer leur fonctionnement, de renforcer leur autonomie financière et de mieux répondre aux enjeux de la sécurité alimentaire.
Les « banques de céréales » (BC) avaient été promues au Sahel dans les années 70, suite aux sécheresses qui ont sévi dans la région. Si les BC diffèrent dans leurs modes de fonctionnement, elles opèrent selon le même principe de base : un comité gère, de manière collective pour le village, l’achat de céréales (peu après la récolte, lorsque les prix sont les plus bas), leur stockage puis la vente au détail aux familles pendant la période de soudure, à un prix inférieur à celui pratiqué par les commerçants, mais permettant de constituer une marge pour pérenniser l’activité de la banque de céréales. Des milliers de BC ont ainsi été créées dans plusieurs pays sahéliens dans les années 70 et 80, mais la majorité d’entre elles ont rapidement fermé.
Fonctionnant sur la rotation de quelques produits, ces BC étaient en effet difficiles à gérer, et ce d’autant plus que leurs responsables étaient peu formés (maîtrise insuffisante des fonctions d’achat, de stockage, de vente et de gestion comptable). À ces problèmes de gestion se sont ajoutées des malversations ou encore des tensions sur le rôle et la viabilité économique des BC, entre d’une part la volonté de mettre à disposition des populations des biens alimentaires à bas prix et d’autre part la nécessité de dégager un minimum de bénéfices afin de couvrir les frais de fonctionnement. L’expérience de la Fédération nationale des Groupements Naam (FNGN) offre une évolution intéressante.
Au début des années 70, la FNGN a mis en place de nombreuses BC, dont la gestion a connu des évolutions successives. Au départ, chaque banque recevait d’un bailleur de fonds un stock initial de céréales et devait verser les produits des ventes sur un compte bancaire de la FNGN, qui se chargeait ensuite d’assurer les approvisionnements ultérieurs de manière centralisée pour chaque BC. Au début des années 90, suite aux difficultés rencontrées par plusieurs banques, la coopération suisse a conditionné la recapitalisation d’une centaine de BC à la décentralisation de l’approvisionnement : chaque BC devait déposer ses recettes sur un compte bancaire propre et gérer elle-même ses achats. Malgré cette recapitalisation, une étude menée en 1999 a indiqué que, sur 180 BC pour lesquelles des données étaient disponibles, seules 47 (26 %) disposaient d’un fonds de roulement supérieur à 1 million de FCFA, témoignant d’une base économique saine, tandis que 95 (53 %) disposaient d’une valeur inférieure à 500 000 FCFA, signe d’une dégradation forte de leur situation. Partant de ce constat, la FNGN a initié à partir de 2002 un programme visant à améliorer durablement les performances des BC. Renommées « greniers de sécurité alimentaire » (GSA), ces banques présentent plusieurs innovations majeures.
Les Greniers de sécurité alimentaire (GSA)
La spécificité des GSA est de faire appel à un fonds de roulement (FdR), remboursable en fin de campagne, pour effectuer leurs achats. Ce FdR est sollicité annuellement par les comités de gestion (Coges) des GSA auprès de l’Unité d’appui (UA), chargée au sein de la FNGN de l’animation et de l’appui technique aux groupements villageois sur le programme GSA. Les fonds dont dispose initialement l’UA proviennent de dotations des partenaires de la FNGN. Lorsqu’ils sont transférés aux GSA, ils sont le plus souvdent déposés dans les caisses des Baoré tradition d’épargne et crédit (BTEC), des mutuelles d’épargne et de crédit créées en 1992 par la FNGN et agréées par le ministère des Finances et du Budget. Un comité d’octroi (composé de 3 responsables de la FNGN et 2 de l’UA) se charge d’octroyer ces fonds en fonction de critères bien définis : le GSA doit pouvoir apporter une garantie de 5 % sur le montant demandé, présenter des bâtiments de stockage en bon état et témoigner de pratiques acceptables. Un taux d’intérêt de 9 % est appliqué au montant accordé aux Coges des GSA, afin de couvrir les frais de fonctionnement de l’UA.
Les Coges se chargent ensuite de l’achat d’un éventail élargi de produits de base en fonction de leurs estimations de la demande anticipée. La collecte se fait auprès des producteurs locaux, par transfert des zones excédentaires vers les zones déficitaires, et au niveau des commerçants. Plusieurs outils et stratégies permettent de garantir de bons approvisionnements. La majorité des achats (environ 60 % des besoins) sont réalisés « en gros » dès le début de la campagne, afin de tirer partie de prix relativement bas. Un système d’information des marchés a été développé par les UA, afin de permettre aux Coges de réaliser de bonnes opérations d’achats. Des bourses d’échanges des produits alimentaires sont organisées par les structures décentralisées de la FNGN. Rassemblant les Coges, les producteurs et les commerçants, ces bourses permettent aux GSA de négocier des prix avantageux en faisant se rencontrer vendeurs et acheteurs.
Les produits achetés sont ensuite vendus à un prix permettant de rembourser le crédit et de dégager une petite marge, tout en se situant en dessous des prix du marché. La bonne gestion des approvisionnements est ainsi essentielle au succès des GSA ; elle leur permet de remplir leur mission (mettre à disposition des populations des produits de qualité à coûts modérés) de manière durable, c’est-à-dire en couvrant leurs coûts voire en dégageant des bénéfices. Car l’objectif à terme est l’autonomisation financière du R-GSA, qui semble en bonne voie. Les GSA dégagent en effet une marge bénéficiaire sur les ventes et une soixantaine de GSA (sur 393) possèdent aujourd’hui des fonds propres supérieurs ou égaux à un million de FCFA. Le taux moyen de remboursement des FdR à 98 % laisse présager une autonomie financière du réseau dans les années à venir.
Des effets multiples sur la sécurité alimentaire des populations. Couvrant 400 villages, répartis dans 29 des 45 provinces et 9 des 13 régions du Burkina, les GSA représentent aujourd’hui un des programmes de sécurisation alimentaire les plus significatifs de l’Afrique de l’Ouest. Près de 22 000 tonnes de produits alimentaires ont été stockées et vendues depuis 2002, bénéficiant à une population estimée à près de 1 million de personnes.
Les GSA contribuent à améliorer la sécurité alimentaire des populations
En moyenne plus de 3 500 tonnes de vivres par an sont commercialisées par les GSA à des coûts modérés, de façon permanente, dans au moins 200 villages, situés dans le Nord du pays. Les premiers résultats de l’étude d’impact en cours de réalisation ont montré que les prix des produits vendus par les GSA étaient inférieurs à ceux pratiqués par les marchands. Les GSA favorisent ainsi concrètement et de manière mesurable une meilleure disponibilité des céréales à proximité des populations.
L’une des spécificités des GSA est la vente à un niveau de détail qu’on ne trouve pas tout le temps chez les commerçants ruraux. Par exemple, un acheteur qui désire se procurer un quart de kilo de mil peut l’obtenir auprès des GSA. Cette spécificité permet aux populations plus pauvres d’accéder aux produits vendus par les GSA.
Autre différence notable avec les banques de céréales qui préexistaient : les produits stockés se sont considérablement diversifiés. Il s’agit essentiellement (80 %) de céréales, mais aussi de protéagineux, oléagineux et d’autres produits alimentaires non céréaliers (ligneux et non ligneux). Depuis le début du programme on est passé de 3 produits céréaliers d’une valeur de 60 millions de FCFA à 32 produits commercialisés aujourd’hui par le réseau, pour une valeur qui représentaient sur l’exercice 2011 près de 895 millions de FCFA. Cette diversification et différentiation permettent de mieux répondre aux besoins nutritionnels des populations tout en assurant la durabilité du modèle économique des GSA.
Enfin, les achats réalisés pour approvisionner les GSA offrent aux producteurs des débouchés souvent plus intéressants que les commerçants et leur permettent d’obtenir des revenus plus élevés, ce qui les encouragent à augmenter leur production vivrière. Les GSA soutiennent ainsi les exploitations familiales.
Des difficultés liées à l’environnement économique et politique
Certaines difficultés propres au milieu rural entravent néanmoins le bon fonctionnement des GSA et le déroulement des cycles d’approvisionnement et revente : le niveau d’instruction très faible de la population, le risque acridien, l’absence d’infrastructures et d’investissement adéquats, le fait que certains projets publics tendent à « casser » les circuits privés établis par la FNGN (ventes à « prix sociaux » de l’État par exemple).
Malgré ces difficultés, les GSA présentent des atouts solides. La vente au détail disponible pendant pratiquement toute l’année à des coûts moins élevés que ceux du marché, la diversité et qualité des produits, les bonnes conditions de stockage permettent d’améliorer l’alimentation des populations vulnérables du Nord Burkina.
Créée en 1967, la Fédération Nationale des Groupements Naam (FNGN) regroupe 5 260 groupements de base et plus de 700 000 adhérents. Présente dans 10 des 13 régions du Burkina Faso, notamment dans le Nord du pays, elle lutte pour endiguer l’insécurité alimentaire et éradiquer la pauvreté. Elle a en particulier mis en place deux instruments pour y arriver : les Greniers de sécurité alimentaire (GSA) et les Baoré tradition d’épargne et crédit (BTEC).
Pour en savoir plus : http://fngnbf.org/fngn/