Il existe toujours des écarts entre une politique sur le papier et son application sur le terrain. La mise en œuvre des transferts monétaires (CT) au Niger est un exemple typique de l’imposition de normes externes contestées et contournées par les destinataires. Cet article décrit les perceptions et les stratégies des populations face à ces transferts.
Cet article est la version longue de l’article du même auteur publié dans le numéro 59-62 de la revue Grain de Sel. Il s’appuie sur des recherches menées par le Laboratoire d’études et de recherche sur les dynamiques sociales et le développement local (Lasdel) établi au Niger et au Bénin. Elles ont été financées par la Coopération française au Niger, et les ONG ASB et Concern. Un article de synthèse complet et détaillé a été édité dans les Études et Travaux du Lasdel, n°108, en accès libre sur http://www.lasdel.net. Il s’appuie sur cinq rapports réalisés par Nana Issaley, Hannatou Adamou, Issaka Oumarou, Younoussi Issa et Oumarou Hamani (cf. Études et Travaux du Lasdel n° 106, 107, 109, 110).
Les transferts monétaires, ou cash transfers (CT) sont un cas particulièrement fascinant pour la socio-anthropologie du développement pour trois raisons : (a) parce qu’ils sont dans une phase d’expansion considérable, tant dans les pays intermédiaires que dans les pays les plus pauvres, et représentent la dernière « mode » en date dans l’univers de l’action humanitaire et du développement ; (b) parce qu’ils sont dans une phase d’implantation à vaste échelle au Niger, ce qui nous a fourni une situation exceptionnelle d’expérimentation naturelle et de suivi de la mise en œuvre d’un dispositif d’intervention innovant ; (c) parce que les spécificités de ce dispositif CT (diffusion d’un « produit » nouveau – l’argent – à travers l’importation d’un système de normes nouvelles), malgré ses incontestables retombées positives, concentrent ou exacerbent les principales ambiguïtés, contradictions, difficultés et inadaptations des interventions courantes des agences de développement (quelle que soit la bonne volonté de leurs personnels et les résultats positifs qu’elles peuvent obtenir), quand elles se confrontent aux multiples logiques locales à différents niveaux.
Certes, les écarts entre une politique publique sur le papier et une politique sur le terrain existent partout : c’est ce qu’on a appelé « implementation gap ». Tout dispositif d’intervention (toute politique publique) subit des dérives dues à l’interaction de logiques diverses, souvent divergentes, parfois opposées, sous-tendant les comportements des divers groupes stratégiques (ou stakeholders) qui se confrontent autour de sa mise en œuvre.
Mais ces écarts sont plus ou moins grands selon les situations. Ils sont ici particulièrement importants à trois niveaux.
1. D’une façon générale, les interventions en développement et les interventions humanitaires connaissent une ampleur particulière de ces écarts du fait d’un processus habituel selon lequel on applique dans un pays des dispositifs d’intervention standardisés issus d’autres contextes (ce qui est typiquement le cas des CT, dont les expériences pionnières ont été menées en Amérique Latine, puis en Europe de l’Est). Et cette ampleur s’accentue d’autant plus que le dispositif d’intervention est complexe, et suppose la mise en place d’architectures institutionnelles et de procédures nouvelles (ce qui est aussi le cas des CT). Pour les populations, il s’agit d’un nouvel ensemble de règles imposées de l’extérieur, peu compréhensibles, et très décalées par rapport au contexte local.
2. A ces motifs généraux d’écarts, s’ajoutent d’autres causes spécifiques, relevant du contexte nigérien, qui exacerbent encore les écarts.
- Les CT sont injectés au Niger dans un contexte social rural déjà « assistancialisé », placé sous « régime d’aide » , autrement dit où les stratégies de captation de la « rente du développement » sont fort développées à tous les niveaux (paysans et chefs, électeurs et maires, enquêteurs et agents de projets, etc.)
- Les villages nigériens sont fortement clivés et fragmentés, traversés de conflits plus ou moins larvés, de contradictions plus ou moins souterraines, et constituent donc de forts « espaces de soupçon » , que des enjeux monétaires avivent inéluctablement.
- Les diverses formes d’autorité locale (chefs, maires, fonctionnaires déconcentrés) sont fréquemment contestées, leurs pratiques clientélistes et leur corruption sont largement connues, et les divers modes de gouvernance locaux connaissent de grandes difficultés pour délivrer des services satisfaisants aux usagers.
3. Enfin, d’autres causes spécifiques d’écarts interviennent, cette fois liées à la nature même du dispositif d’intervention (les CT), plus exactement au type de produit (argent) et aux modalités de sa distribution (importation de règles et de procédures complexes et diverses).
- L’argent est un puissant « accélérateur de suspicion », alors que la recherche de cash est une préoccupation centrale pour une majorité d’acteurs ruraux, non seulement pour des motifs d’insécurité alimentaire, mais tout autant pour des motifs sociaux (cérémonies, déplacements, etc.), au point qu’on a pu parler d’une « surmonétarisation » des campagnes nigériennes. Sa distribution sous forme de « manne » (un don venu du ciel) par des agences de développement selon des procédures censées être impersonnelles s’éloigne radicalement des formes locales habituelles de secours monétaire, qui sont très personnalisées (charité, mécénat, prêt, aide de voisinage)
- Cette distribution bureaucratique d’une manne étrangère s’opère par l’introduction de tout un ensemble de « règles du jeu » nouvelles imposées par les agences de développement (ciblage des « très vulnérables », enquêtes household economic analysis (HEA) dans les ménages, versements réservés aux femmes, assemblées générales villageoises, désignation d’auxiliaires villageois du CT, comités de plaintes ou comités des sages, restitutions en mairie, séances de distribution avec procès-verbal)
La vague récente et massive de CT inconditionnels, sans contrepartie, au Niger recouvre trois sous-types de CT : un appui à moyen terme à la résilience de familles vulnérables pour le projet « filets sociaux » de la Banque mondiale ; des secours d’urgence à des familles vulnérables en période de crises alimentaires, pour la majorité de CT (sur financements Echo, USAID, PAM); une aide aux victimes de catastrophes pour quelques CT. Mais derrière ces objectifs principaux se dessinent d’autres objectifs, plus ou moins imbriqués : freiner les migrations, prévenir la malnutrition infantile, promouvoir les femmes, lutter contre la pauvreté, esquisser une politique sociale…
On peut distinguer trois grandes étapes : le ciblage, la distribution, et l’usage des sommes reçues.
Ciblage
C’est le principe même d’une sélection interne au village qui fait problème pour de nombreux villageois. Les malentendus reposent sur deux piliers : (a) l’introduction d’un effet de seuil ; (b) les soupçons de biais dans la sélection.
L’introduction d’un effet de seuil très mal perçu
Dans des villages où les niveaux de vie et les modes de consommation restent assez proches malgré les inégalités économiques, la sélection introduit un effet de seuil qui apparait comme profondément arbitraire. C’est d’abord le cas pour la sélection entre villages, qui apparait systématiquement comme injuste : qu’est-ce qui sépare vraiment un village « choisi » d’un village « exclu » ? C’est tout aussi vrai pour la sélection entre ménages au sein d’un même village. Presque rien (ou rien) ne sépare le dernier ménage « élu » du premier ménage « recalé ». Dans ce continuum très serré que constituent les ménages d’un point de vue socio-économique, tracer des frontières ou poser des barrières entre des ménages classés comme « très vulnérables » et d’autres classés comme « vulnérables » est peu compréhensible.
Une sélection objet de suspicion
La méthode dite HEA est la plus utilisée. Elle fait l’objet de nombreuses critiques de la part des fonctionnaires déconcentrés ou des agents de terrain des ONG pour son caractère bâclé ou superficiel. Le temps imparti est nettement trop court. La compétence et surtout le sérieux des enquêteurs salariés recrutés par l’ONG sont souvent contestés. Des assemblées générales des populations (villages ou quartiers) doivent valider ces enquêtes et les listes d’attributaires. En fait, une AG villageoise, contrairement aux attentes « participatives » des ONG pour qui elle doit être un espace de débat public et de transparence, est le plus souvent un espace de contrôle social, où prendre la parole pour contredire un orateur, dénoncer un voisin fraudeur, et plus encore critiquer publiquement le chef, qui plus est devant des étrangers, apparaît comme une conduite malséante, largement stigmatisée . Le principal enjeu de ces AG est le choix des auxiliaires villageois. En effet, ils vont contribuer à la constitution de la liste « courte » avec les agents de l’ONG. Leur choix est le plus souvent fait par le chef de village ou le chef de quartier, au profit de ses proches. C’est en fait le « maillon faible » du processus des CT, qui multiplient pourtant les procédures de contrôle à d’autres étapes (listes informatisées, établissement de cartes personnalisées pour les bénéficiaires, recours par appel d’offre à des IMF, dispositifs de témoins officiels, d’émargements et de procès-verbaux pour les distributions). Or, ces auxiliaires villageois placent souvent leur famille et les protégés du chef parmi les ménages à cibler. En outre, la catégorie de « très vulnérables », traduite par les agents des ONG par talaka talak ou alfukaru bi, n’est pas vraiment une catégorie locale : elle est « suggérée » par les agents des ONG et critiquée par les populations.
Les ONG demandent aussi à l’AG de constituer un « comité de sages » ou un « comité de plaintes », censé être un recours et contrôler le processus. En fait, ces comités n’ont pas d’existence réelle. Même quand il existe formellement, il y a une forte pression latente, et parfois explicite, pour que les plaintes ne s’expriment pas. Déposer plainte aurait un coût social très fort.
Un autre frein majeur à l’expression publique des frustrations et des accusations est la crainte que cela détourne les ONG du village, et mette fin à la « manne » extérieure. Il y a donc un intérêt commun entre bénéficiaires et non bénéficiaires à taire les détournements du ciblage, les seconds espérant toujours être inclus la prochaine fois.
Distributions
Les distributions proprement dites sont des cérémonies qui ne sont pas en elles-mêmes l’objet de contestations, et relèvent plutôt de rituels consensuels, contrairement aux étapes antérieures. D’ailleurs : « Au cours des opérations de distribution, très souvent, les membres du comité de distribution (s’il y en a un) adressent à l’endroit du public des « leçons de morale », priant les non-bénéficiaires de n’accuser ni ne condamner personne et de garder espoir d’être inscrits pour les prochaines opérations » (Issaley). On voit ici à l’œuvre la double logique dominante au sein des populations face au CT : logique « égalitaire » (chacun doit avoir un jour sa part) et logique « fataliste » (c’est une question de chance).
Dans ce rituel, d’autres « leçons de morale » sont aussi dispensées, cette fois par les agents des ONG, qui donnent des conseils appuyés quant à l’usage des fonds, ce qui est quelque peu contradictoire avec la non conditionnalité officielle des CT, qui est une de leurs justifications majeures dans les débats sur les outils de l’aide humanitaire.
Réaffectations et redistribution des sommes reçues
Les réaffectations de la somme perçue par les femmes
La remise de la somme perçue par l’épouse récipiendaire à son mari est assez générale. L’épouse n’est qu’une intermédiaire, et l’argent retourne au mari. Mais cela ne signifie pas que les femmes sont totalement dépossédées symboliquement : le fait que les CT soient remis aux femmes, comme les séances de sensibilisation faites par les ONG, permettent de donner malgré tout un certain statut « collectif » (« pour le bien du ménage ») à l’argent reçu au titre du CT, et donc de modérer les éventuelles tentations du mari d’en faire un usage strictement personnel (pour prendre une coépouse ou le dépenser au jeu…)
Des opérations de mutualisation
Par ailleurs, face au mécontentement des non-bénéficiaires, et dans le but de manifester une solidarité communautaire, menacée par le CT, des opérations de « mutualisation » ont été parfois organisées, en général à l’initiative d’un chef, sitôt le départ des agents de l’ONG et de l’IMF. L’argent est récupéré auprès des bénéficiaires, en vue le plus souvent d’une redistribution égalitaire à tous les ménages du village, soit directement en argent, soit en vivres achetés avec l’argent mutualisé. Mais il peut aussi servir à des dépenses d’intérêt général (paiement de l’impôt). La mutualisation peut aussi être partielle, sous forme de cotisation pour un objectif communément accepté. Mais les mutualisations suscitent évidemment une certaine opposition des bénéficiaires officiels du CT. Une mutualisation implique donc une autorité suffisante du chef pour obtenir le consentement, même réticent, de ses administrés bénéficiaires. Il faut en effet éviter à tout prix des plaintes publiques qui dissuaderaient les ONG de continuer à procéder au CT. Dès qu’une opposition résolue se manifeste il est mis fin à la mutualisation.
Les redistributions immédiates
Bien que les agents des ONG aient souvent fait passer le message de ne rien donner aux chefs, cette pratique reste courante. Parfois, les bénéficiaires donnent quelque chose au chef de leur plein gré, sans être sollicités. Un tel geste est à la fois un signe symbolique de respect envers le chef et une reconnaissance des services qu’il rend. Mais cette pratique est parfois exigée par le chef lui-même.
Par ailleurs, de petites sommes vont vers le « logeur » du lieu de distribution, les voisins, les parents. Cet entretien de la sociabilité de proximité par des cadeaux atténue un peu l’accentuation des divisions villageoises souvent reprochée aux CT par nos interlocuteurs.
Imposer des règles du jeu extérieures et hétérogènes : le paradoxe central des CT
Les CT au Niger sont fondés sur une série de règles du jeu « expertes » qui fonctionnent comme des « conditionnalités » pour bénéficier des versements ciblés, et sont donc imposées aux populations locales, qui ont non seulement du mal à les comprendre (les procédures de ciblages restent pour elles très opaques, même quand les procédures prévues par les experts ont été appliquées scrupuleusement par les agents de l’ONG, ce qui est loin d’être toujours le cas), mais qui aussi, bien souvent, ne les approuvent pas, et les « contournent ».
En outre, sur un fond de « macro-règles » à peu près partagées, les « micro-règles » qui régissent les dispositifs spécifiques de chaque CT sont différentes et non coordonnées sur le terrain, ce qui décrédibilise d’une certaine façon les CT. La durée des CT, leurs montants, les types de populations ciblées et les procédures de ciblage varient, d’un village à l’autre, mais aussi au sein d’un même village (il est fréquent que plusieurs opérateurs interviennent dans une même zone). Ces incohérences sont d’autant plus incompréhensibles que, pour les populations, les diverses formes de CT et les diverses procédures de ciblage qu’ils mettent en œuvre se mélangent dans une grande indiscrimination, et apparaissent non comme des interventions différentes, mais comme constituant en quelque sorte un vaste projet unique. Les mêmes noms s’appliquent ici ou là aux CT quels qu’ils soient, en hausa et en zarma, comme par exemple : Annasara nooru ou kuddin Nasara (argent des Blancs), nooru yaamo ou kuddin banza (argent gratuit, sans contrepartie), gaakasiney nooru ou kuddin taymako (argent de l’aide), nooru yeyno (l’argent frais, autrement dit ‘sans effort’, qui s’oppose à sungey nooro, l’argent de la sueur), Irkoy nooyon nooru ou rabo (argent donné par Dieu)…
A ces incohérences « internes » aux règles du jeu importées par les CT, il faut ajouter que ces dernières coexistent partout dans le pays avec d’autres modes de réponses aux crises alimentaires ou de soutien aux familles vulnérables, qui ont bien évidemment chacun des règles du jeu différentes : cash for work, food for work, distributions de vivres ciblées, distributions de vivres non ciblées, warrantage, ou ventes à prix modéré.
La principale contradiction oppose le principe des distributions gratuites généralisées auxquelles les populations ont été habituées depuis 2005 (et même auparavant), et le principe de sélection de proximité, qui préside à la grande majorité des CT.
Une autre contradiction oppose le principe de rémunération, inhérent au cash for work (et au food for work), selon lequel des sommes sont versées en échange d’un travail, et le principe de don, inhérent au CT (mais qui est fréquent dans le champ de l’aide pour d’autres produits: cf. distributions de vivres) selon lequel les sommes sont attribuées sans contrepartie. Or les deux systèmes coexistent dans les campagnes nigériennes. Ce « pluralisme normatif », ces contradictions, ces incohérences, ne font que renforcer les incitations aux comportements opportunistes, et au contournement des règles.
En tout cas un constat général s’impose: les règles du jeu imposées sont autant que possible recomposées et transformées, mais en catimini. Il n’y a aucune opposition frontale ni expression publique de mécontentement (qui risquerait de mettre fin à la ressource et de compromettre les relations avec les « projets » qu’on cherche au contraire à attirer). Mais on peut énoncer quelques points qui expriment un large consensus:
- Les hommes devraient être récipiendaires car ils sont responsables de la nourriture et sont chefs de famille
- La distribution sélective divise le village, le CT devrait s’adresser à tous, ou, sinon, bénéficier à tour de rôle aux ménages du village
- La catégorie de très grande vulnérabilité (talaka talak) et les critères proposés par les ONG sont trop restreints
- Quiconque intervient dans le processus et y consacre du temps devrait être rémunéré, surtout s’il n’est pas bénéficiaire
Mais les villageois s’adaptent avec une combinaison de fatalisme et de pragmatisme aux exigences des bailleurs, afin de continuer à bénéficier de leur « manne ».
Les bailleurs de fonds sont en général inconnus, et c’est l’ONG qui mène l’opération qui est créditée de la générosité des CT. Mais la reconnaissance des bénéficiaires se dirige surtout vers des acteurs et non des institutions, en tant que ces acteurs ont pu, à titre personnel, jouer un rôle dans leur propre sélection pour bénéficier de cet argent tombé du ciel. On suppose ainsi qu’ils sont intervenus, d’une façon ou d’une autre, au profit des heureux élus.
Les chefs sont remerciés au premier rang car ils jouent un rôle pivot dans les CT, même si les dispositifs prévoient en général de les tenir à l’écart du processus de sélection. Tout d’abord, ils constituent la seule autorité au niveau du village (la décentralisation s’est arrêtée au niveau des communes), et, à ce titre, ils convoquent et président les assemblées générales, qui se tiennent le plus souvent dans leur cour, ainsi que la séance publique de distribution ; ils reçoivent les « étrangers » (cadres ou agents de l’ONG et de l’IMF), et leur donnent éventuellement des guides. Penser qu’ils usent de leur entregent et de leur autorité pour avoir un droit de regard sur les listes est donc logique.
La plupart des bénéficiaires et des non bénéficiaires partagent donc une même appréciation : la liste finale est le produit de diverses interventions, quels qu’en soient les motifs (commisération, bienveillance, solidarité familiale, solidarité de village, clientélisme). Le mélange complexe de critères « objectifs externes » (enquêtes HEA) et de critères « communautaires » (constitution des listes) selon lesquels les institutions opérant le CT entendent établir la sélection de façon incontestable se heurte au contraire dans les villages aux soupçons et/ou aux manœuvres du fait de ce mélange même. Le processus de ciblage est évalué par les populations locales sur la base des critères locaux qui leur servent d’ordinaire à évaluer la gouvernance locale, l’action politique et l’action publique (où « l’échange généralisé des faveurs » est de rigueur). Tout le monde sait en effet que les normes officielles venant d’en haut (Etat ou institutions de développement) – et les critères des ONG de CT sont un cas typique de normes officielles parachutées – sont assez systématiquement adaptées, arrangées et contournées dans la pratique quotidienne des acteurs. Paradoxalement, ce sont les critères « communautaires » que les CT ont introduits dans le processus, pour y associer des représentants des populations, qui le rendent suspect.