La malnutrition touche l’Afrique de l’Ouest avec une ampleur et des impacts considérables. Depuis peu à l’agenda politique, la vulnérabilité nutritionnelle nécessite des approches multisectorielles et intégrées, que les États de la région ont encore des difficultés à mettre en œuvre.

L’Afrique de l’Ouest et le Sahel en particulier présentent des taux de malnutrition aiguë et chronique chez les enfants parmi les plus élevés au monde. Selon l’Unicef, 18 % des enfants de moins de 3 ans, soit 1,1 million d’enfants, souffrent de malnutrition aiguë et près de 40 % des enfants de moins de 5 ans souffrent de malnutrition chronique, ce chiffre dépassant même 50 % dans certains pays comme le Niger.

Les impacts de la malnutrition sont aussi considérables que son ampleur. En Afrique de l’Ouest, plus de 50 % des décès des enfants sont attribuables à la malnutrition, soit plus de 225 000 décès d’enfants chaque année. Les enfants souffrant de malnutrition sont plus souvent malades, apprennent moins bien à l’école et leurs capacités à l’âge adulte seront amoindries. Se transmettant fréquemment d’une génération à l’autre, la malnutrition contribue aussi à enfermer les populations dans une vulnérabilité chronique. Lutter contre la malnutrition s’avère donc un enjeu prioritaire pour les États de la région. Cela nécessite d’intégrer la question de la nutrition dans les politiques publiques, mais également de bien comprendre ses causes.

Lexique

La malnutrition aigüe reflète une perte de poids récente, mise en évidence par un faible poids pour une taille donnée. Elle résulte de changements brutaux et récents de l’état nutritionnel d’un enfant (pénurie de nourriture, maladie aigüe récente, pratiques de soins infantiles et/ou pratiques alimentaires inappropriées).
La malnutrition chronique se caractérise par un retard de croissance (enfant de taille inférieure à la moyenne pour un âge donné), qui est dû à des carences nutritionnelles répétées et prolongées (énergétiques ou micronutriments, exposition à des infections répétées et/ou à des mauvaises conditions de vie).

Mieux comprendre la vulnérabilité nutritionnelle

Proposer des actions pertinentes permettant de prévenir la malnutrition nécessite de bien comprendre les causes de l’insécurité nutritionnelle. Souvent perçue comme un enjeu humanitaire nécessitant avant tout des interventions d’urgence, la malnutrition est en fait également un problème structurel. Au Burkina Faso par exemple, d’après les enquêtes nutritionnelles nationales, plus de 300 000 enfants de moins de 5 ans (10 %) souffrent de malnutrition aiguë et la malnutrition chronique touche 1 million d’enfants de moins de 5 ans (3 enfants sur 10), en dehors de tout contexte de crise.

Autre idée largement répandue, l’insécurité nutritionnelle ne toucherait que les populations les plus pauvres. Certes, la malnutrition entretient de fortes interactions avec la pauvreté, mais force est de constater qu’elle touche aussi les catégories les plus riches de la population. Au Burkina Faso par exemple, la malnutrition chronique touche 42 % des plus pauvres et 18 % des plus riches (Unicef), et 80 % de la population est touchée par des taux de malnutrition chronique compris entre 33 et 42 %. La pauvreté ne suffit donc pas à expliquer à elle-seule la malnutrition.


Enfin, la malnutrition est souvent associée à un déficit de production agricole. Mais au Sahel, on observe fréquemment des taux élevés de malnutrition aigüe dans des régions excédentaires en termes de production agricole : ainsi, dans la région de la Boucle du Mouhoun, grenier du Burkina Faso, 13,1 % des enfants souffraient de malnutrition aiguë en 2011, alors que la prévalence nationale était estimée à 10,2 % (Enquête nutritionnelle nationale Smart 2011).

Ces « paradoxes » apparents montrent bien que sécurité alimentaire et sécurité nutritionnelle ne sont pas équivalentes. Un enfant correctement alimenté peut être fortement exposé à la malnutrition, s’il n’a pas, par exemple, accès à l’eau potable, à l’hygiène et aux services de santé, et/ou si sa mère n’a ni les connaissances, ni le temps, ni les moyens pour s’occuper correctement de lui (« pratiques de soins mère-enfant »).

Développer des approches intégrées et prioriser les interventions localement

Dès lors, une politique efficace de sécurité nutritionnelle doit s’appuyer sur des approches multisectorielles et intégrées, prenant en compte les différentes facteurs de malnutrition : accès à l’eau potable, l’hygiène, l’assainissement, à des services de santé de qualité, des aliments adaptés et de qualité, amélioration des pratiques qui accompagnent l’enfant dans son développement, protection sociale, éducation, planning familial, promotion des femmes, etc.

Elle doit également prendre en compte les causes locales de la malnutrition, qui peuvent varier d’une zone à l’autre. C’est l’objectif de la méthodologie « Analyse causale de la malnutrition » (NCA) développée par ACF et ses partenaires scientifiques (IRD, Pam et Tufts). Cette approche, intégrant les multiples causes de la malnutrition et impliquant les experts techniques nationaux et les populations concernées (en particulier les femmes), permet d’identifier et de « classer » les facteurs de risque par ordre d’importance afin de proposer des interventions de prévention pertinentes dans la zone ciblée.

Fin 2012, cette méthodologie a été testée dans la province de la Tapoa, dans l’Est du Burkina Faso. Parmi les 24 hypothèses initialement identifiées lors des premières étapes de l’enquête, 6 ont finalement été retenues comme hypothèses majeures : (1) les difficultés d’accès à l’eau potable, (2) les pratiques d’assainissement inadaptées, (3) le faible espacement des naissances, (4) le manque de moyen financier des femmes dans les ménages pour diversifier les repas, (5) le manque d’argent des ménages pour accéder aux services de base (santé, eau, éducation), (6) la charge de travail excessive des femmes allaitantes et des femmes enceintes.

Cette enquête confirme que les causes de la malnutrition sont diverses, nécessitant des interventions de natures très variées. Certes, les programmes de sécurité alimentaire se focalisant sur une augmentation de la production alimentaire nationale sont importants pour les pays sahéliens. Mais ils ne permettront pas, à eux seuls, de réduire la vulnérabilité nutritionnelle des populations. Au niveau des pays, la nutrition doit être incluse dans des politiques et stratégies nationales qui doivent être multisectorielles afin d’être réellement efficaces. Au niveau local, l’analyse des contraintes locales, spécifiques au contexte, doivent être promues pour améliorer la pertinence des interventions de prévention de la malnutrition.

Une intégration progressive de la nutrition dans les politiques publiques

Face à l’ampleur de la malnutrition, les États ouest-africains ont récemment intégré la question de la nutrition dans leurs politiques publiques. Ainsi, ils sont désormais tous dotés de politiques ou programmes nationaux de nutrition (qui dépendent encore le plus souvent des ministères de la Santé), souvent complétés par des volets plus spécifiques comme la supplémentation en micronutriments des mères et enfants, qui vise à utiliser un complément alimentaire pour pallier une carence, ou l’alimentation du nourrisson (Les interventions de prise en charge, de supplémentation et de soins aux nourrissons et de nutrition maternelle sont reconnues comme les interventions les plus efficaces par la recherche scientifique (The Lancet, 2013)). Tous les pays n’ont cependant pas encore intégré les analyses les plus récentes en matière de nutrition. Ainsi, les politiques nationales de nutrition de la Guinée Conakry et de la Guinée Bissau datent de 2005. Le Mali, en revanche, a adopté une nouvelle politique nationale de nutrition début 2013 qui intègre les derniers protocoles de prise en charge de la malnutrition et fait référence aux autres politiques sectorielles.

Le défi de la multisectorialité

Se détachant de l’approche traditionnelle consistant à considérer la nutrition principalement sous l’angle de la santé, à travers le traitement médical des enfants et des femmes enceintes ou allaitantes souffrant de malnutrition, les États ouest-africains adoptent progressivement des approches multisectorielles et intégrées, qui se heurtent néanmoins à la forte spécialisation sectorielle des modèles institutionnels.

La prise en compte de la nutrition, au-delà des programmes et politiques de nutrition, par les autres politiques sectorielles pertinentes sur cette question (alimentation et sécurité sanitaire, développement rural et agriculture, sécurité alimentaire et nutritionnelle, protection sociale, ou de réduction de la pauvreté) constitue encore un défi important à relever. Certes, la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest y travaille, mais à des vitesses différentes et avec des résultats mitigés.

L’intégration de la nutrition dans les politiques agricoles

Dans le cadre du Programme détaillé de développement de l’agriculture africaine (PDDAA), les États ont élaboré des plans nationaux d’investissement agricole, pour lesquels la Fao appuie depuis 2011 l’intégration de la problématique nutritionnelle. Un atelier régional sur le sujet a été organisé en novembre 2011, afin de conseiller les pays sur les choix d’orientations agricoles les plus favorables à la nutrition. Suite à cet atelier, le Burkina Faso, par exemple, a revu en 2012 sa politique de développement rural : différents ministères (Finances, Santé, ministères techniques du développement rural) ont ainsi participé au processus de révision et validation du document en intégrant la dimension nutrition à travers la promotion des filières agricoles riches en micronutriments, le renforcement des capacités des cadres du ministère et des services techniques en matière de nutrition. Des indicateurs de suivi et évaluation nutritionnels ont également été intégrés (voir l’étude de cas d’ACF : Réconcilier l’agriculture et la nutrition, étude de cas sur les politiques agricoles et la nutrition au Burkina Faso, 2013).

Améliorer la gouvernance de la nutrition

La mise en œuvre effective des politiques de lutte contre la malnutrition dans une approche multisectorielle et intégrée nécessite une structure institutionnelle permettant de coordonner les différents ministères impliqués ainsi qu’une instance décisionnelle ayant autorité sur les autres ministères pour coordonner et mettre en œuvre les politiques sectorielles. Or, seuls quelques pays, comme le Bénin, le Sénégal, le Ghana, ont créé une structure de coordination rassemblant les ministère-clés pour mettre en œuvre conjointement les politiques sectorielles sur les aspects de nutrition.

L’ancrage institutionnel peut également permettre d’accélérer la mise en œuvre des engagements pris sur la nutrition. À titre d’exemple, la coordination multisectorielle est gérée au niveau du ministère de la Santé au Mali, Burkina Faso ou en Guinée Conakry, alors que certains pays comme la Mauritanie, le Niger ou le Sénégal ont porté le sujet à un niveau politique plus élevé, la plupart du temps au niveau du cabinet du Premier Ministre.

Il existe différentes variantes de ces schémas institutionnels qui sont en cours d’évaluation par Cornell University pour apprécier le niveau d’efficacité en matière de mise en œuvre effective des politiques.

Une mise en œuvre effective compliquée

Au-delà de ces défis, la mise en œuvre effective de ces politiques est freinée par une série de contraintes importantes. Des situations de sécheresse, de conflits, d’instabilité politique ou de mauvaise gouvernance ralentissent l’intégration de la nutrition dans les politiques sectorielles et leur mise en œuvre dans de nombreux pays (Guinée Bissau, Mali, Tchad).

Tous les pays rencontrent par ailleurs des difficultés d’une part à budgétiser les politiques multisectorielles de lutte contre la malnutrition, qui nécessitent des ressources conséquentes et qui sont difficiles à évaluer avec précision du fait notamment du grand nombre de ministères concernées, d’autre part à réunir tous les financements nécessaires. Ils sont, dans la plupart des cas, soutenus par leurs partenaires techniques et financiers pour financer et assister techniquement les différents ministères. Si les volets « nutrition » des plans de réponse aux crises, comme ceux qui existent au Burkina Faso et au Niger, trouvent des financements auprès des partenaires, il existe un véritable défi pour passer de la collecte de fonds d’urgence à des fonds plus structurels.

Enfin, l’expertise en nutrition constitue aussi souvent une limite à la mise en œuvre effective des engagements et politiques en matière de nutrition. Cette expertise est la plupart du temps concentrée au niveau du ministère de la Santé où elle est parfois limitée, les agents de la santé n’ayant pas tous reçu une formation en nutrition. Les autres ministères, et notamment le ministère de l’Agriculture et les services techniques agricoles et de l’élevage, sont quant à eux souvent mal outillés ou ne possèdent pas de connaissances approfondies en nutrition, ce qui constitue un frein à l’intégration de la nutrition et à la mise en œuvre effective et pérenne des actions engagées.

Malgré une attention accrue pour la lutte contre la malnutrition, il reste ainsi aux États ouest-africains beaucoup de progrès à accomplir. La « mise à l’agenda » politique des questions nutritionnelles dans les pays d’Afrique de l’Ouest est encore souvent le fait d’initiatives ou d’acteurs internationaux et elle reste incomplète, notamment du fait de l’absence de visibilité et de la grande marginalisation politique des personnes souffrant de malnutrition (enfants, femmes, familles pauvres, etc.). L’apparition d’autres formes de malnutrition, notamment le surpoids et l’obésité en milieu urbain, et le manque de priorité sur la malnutrition chronique, qui touche pourtant près d’un enfant sur deux en Afrique de l’Ouest, constituent de nouveaux défis qu’il sera crucial d’intégrer dans les politiques jouant un rôle dans le domaine de la nutrition.

Voir aussi le schéma causal de la malnutrition développé par Unicef : http://www.unicef.org/french/sowc98/f025.htm

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