En juillet 2003, les chefs d’État africains prenaient l’engagement d’accorder 10 % de leur budget à l’agriculture afin de favoriser la croissance agricole et réduire la faim. Dix ans plus tard, la situation de l’Afrique de l’Ouest et plus particulièrement du Sahel reste problématique. Des crises de forte ampleur se sont succédé : crise alimentaire et nutritionnelle grave au Niger en 2005, crise régionale liée à la hausse des prix en 2007/8, crises pastorales en 2009 et 2011, crise au Sahel en 2012… D’après la Fao, 11 millions d’habitants de la région sont victimes aujourd’hui d’une grave insécurité alimentaire.
Cette répétition des crises et la prévalence de la faim mettent en lumière certaines limites des systèmes de prévention et de gestion des crises, des interventions humanitaires et plus globalement des politiques et stratégies de sécurité alimentaire dans la région. D’une part, la séparation entre interventions d’urgence et politiques de développement est encore plus radicalement remise en cause, dans un contexte où la notion d’insécurité alimentaire « chronique » s’est imposée face à l’idée de chocs ponctuels, et où des populations entières se trouvent dans un état d’urgence permanent.
D’autre part, les politiques publiques qui ont été développées ne permettent pas de lutter efficacement contre l’insécurité alimentaire, car elles ne touchent pas les populations les plus vulnérables et elles n’intègrent que très peu les enjeux de nutrition. Ces politiques s’attachent essentiellement à favoriser la production agricole, alors que les populations les plus vulnérables ne vivent pas ou plus, pour l’essentiel, de l’agriculture. Ce sont des ruraux qui ne produisent pas suffisamment pour subvenir à leurs propres besoins, des pasteurs ou des agro-pasteurs dont les conditions de vie sont menacées par des incidents climatiques et politiques récurrents, ou encore des travailleurs pauvres, en milieu rural et urbain. Au sein de ces populations, les enfants de moins de 5 ans, les femmes enceintes ou allaitantes et les personnes âgées sont particulièrement vulnérables.
Conscients de ces limites, les différents acteurs impliqués dans la région ont initié une série d’efforts afin d’adapter leurs approches. A partir de 2008, la politique agricole de la Cedeao (Ecowap) a davantage mis l’accent sur l’accès des populations vulnérables à l’alimentation et a, plus récemment, développé l’initiative « Faim zéro » en Afrique de l’Ouest. Plusieurs États de la région ont mené des réflexions sur leurs stratégies de sécurité alimentaire afin de mieux cibler les plus pauvres et intégrer les enjeux nutritionnels. Les partenaires techniques et financiers ont quant à eux lancé ou favorisé une série d’initiatives visant en priorité à éradiquer la faim et la malnutrition, en ciblant les populations les plus pauvres. Il s’agit notamment de l’Alliance Agir, du mouvement Scaling Up Nutrition (Sun) ou de la Nouvelle Alliance pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle.
Si cette évolution semble témoigner d’une vision et d’efforts renouvelés, elle soulève aussi des questions. Au-delà des objectifs affichés, assiste-t-on à un réel changement dans les pratiques des différents acteurs, qu’il s’agisse des États et des institutions régionales, de leurs partenaires techniques et financiers ou encore des organisations paysannes et des ONG ? Plus globalement, quelles mesures et politiques faudrait-il mettre en œuvre pour les populations rurales pauvres de la région ?
Ce numéro de Grain de sel tente de répondre à ces questions, à l’heure où les notions de « résilience », « filets sociaux » ou « vulnérabilité » dominent les discours et initiatives en Afrique de l’Ouest. Il s’attache tout d’abord à comprendre les réalités actuelles des campagnes ouest-africaines. Puis il s’intéresse aux mesures et politiques qui sont — ou qui devraient être — mises en place afin de lutter contre l’insécurité alimentaire et nutritionnelle des populations. Enfin, il interroge une série d’éléments encore en débat, abordant des questions clés pour l’avenir de la région, comme celles de l’emploi, de la démographie, du financement des politiques ou encore de la place de l’aide internationale.
Bonne lecture !