La question de l’encadrement des produits alimentaires par des normes est primordiale. Ces procédures favorisent la sécurité des consommateurs et le développement des marchés des produits. Toutefois, elles peuvent aussi constituer des barrières à l’accès de certaines exploitations familiales à ce type de marché. Qu’en est-il ?
Les normes sont des accords documentés, établis par consensus des acteurs (experts, évaluateurs et gestionnaires de risques, consommateurs), et approuvés par un organisme reconnu de normalisation qui fournit, pour des usages communs et répétés, des règles, des lignes directrices ou des caractéristiques pour des activités ou leurs résultats, visant l’atteinte du degré optimal d’ordre dans un contexte donné. Dans le secteur agro-alimentaire, elles définissent un ensemble de règles qui servent lors du processus de production d’un produit, afin que celui-ci soit conforme aux attentes du marché et des consommateurs.
Bref historique de la culture des normes en Afrique de l’Ouest. La culture des normes de qualité est relativement récente en Afrique de l’Ouest. Au Togo, elle a réellement commencé avec l’auto-suspension sur l’exportation des produits de la pêche en 2003, à destination des pays de l’Union Européenne. Ceci a eu des répercussions économiques et sociales sur le secteur de la pêche qui contribue à hauteur de 4 % du PIB. Le Togo a bénéficié de l’appui du programme qualité de l’Afrique de l’Ouest, adopté en 2005 par les pays de l’Uemoa et étendu aux pays de la Cedeao. Ce programme constitue l’espace d’élaboration des normes de qualité au niveau régional. Elles recouvrent l’ensemble des dimensions qualité des produits : sanitaire, organoleptique, technique, nutritionnelle et maîtrise de la gestion de la qualité. Ces normes, souvent calquées sur les modèles internationaux, sont parfois en inadéquation avec les capacités de mise aux normes des acteurs, c’est à dire tous les moyens techniques (Hazard Analysis Critical Control Point – HACCP, traçabilité, normes International Standards Organization – ISO) à mettre sur place pour certifier les produits locaux. Il conviendrait de définir des normes propres aux pays africains et basées sur leurs systèmes de normalisation (ainsi du label CNABio au Burkina Faso, voir page 21).
Les enjeux liés à la normalisation. Le respect de normes de qualité, répondant à des objectifs de santé publique et de facilitation du commerce, est l’enjeu principal des produits agroalimentaires, qu’ils soient fabriqués localement, importés ou destinés à l’exportation. Le contrôle alimentaire consiste à appliquer la législation aux produits agricoles pour protéger le consommateur contre les produits insalubres, impurs et frauduleusement présentés, en interdisant la vente d’aliments dont la nature, la substance et la qualité ne sont pas celles demandées par l’acheteur. En raison de l’urbanisation croissante des villes en Afrique de l’Ouest, la demande et les attentes des consommateurs ont évolué. La médiatisation des crises alimentaires, les toxi-infections et la recrudescence des maladies d’origine alimentaire poussent les consommateurs à être de plus en plus exigeants sur les normes de qualité. Les consommateurs ne sont pas en mesure de jouer un rôle dans le respect des normes en matière de sécurité sanitaire des aliments. Cela est lié à la faiblesse du pouvoir d’achat, aux problèmes de malnutrition et à l’insuffisance des disponibilités alimentaires. Les populations se préoccupent généralement plus de la quantité que de la qualité de l’alimentation. Cette dynamique incite les consommateurs à se tourner vers les produits importés, faute d’avoir confiance en la qualité des produits locaux. Ils n’accordent pas plus de crédit aux contrôles de certification car les institutions qui les portent (laboratoire d’essais, agences d’inspections, ministères, etc.), ne leur semblent pas crédibles. Cette situation risque de freiner le développement des unités de transformation locales. En effet, il est compliqué pour ces unités de pénétrer le marché régional et international face aux exigences fixées par les normes, et dans un contexte de libéralisation des échanges et de compétitivité.
Les acteurs de l’élaboration et de contrôle des normes. Le niveau et le processus d’élaboration des normes sont à considérer avec attention pour qu’elles jouent leur rôle incitatif d’amélioration de la compétitivité et des revenus des opérateurs, tout en satisfaisant les exigences des consommateurs. Dans la plupart des pays ouest-africains, cette responsabilité incombe aux organismes de normalisation dont certains relèvent de l’administration publique. Certains sont opérationnels (ASN au Sénégal, Malinorm au Mali ou Codinorm en Côte d’Ivoire), et d’autres non (Organismes nationaux de normalisation rattachés aux ministères dans les pays). En matière de contrôle, au Togo, trois ministères sont impliqués dans le système de contrôle : le ministère de l’Agriculture et le ministère de la Santé qui s’occupent des inspections et des contrôles de laboratoires ; et le ministère en charge du Commerce qui traite les autorisations de transport et de mise sur le marché. On observe des problèmes de chevauchement des activités réglementaires, de surveillance et une insuffisance de coordination. Les systèmes de contrôle national souffrent également d’une grande disparité en termes de compétences et de moyens. Ces systèmes doivent aboutir à l’obtention d’une autorisation de mise sur le marché (délivrée par le Ministère en charge du commerce) des produits issus des PME et PMI agro-industrielles. Mais le problème de marque, de labellisation et de certification demeure. Les normes du secteur sont d’une reconnaissance internationale, et il est très difficile pour ces PME et PMI d’aller jusqu’au bout du processus. La qualité des produits est donc le fruit d’un dialogue complexe entre producteurs, scientifiques et consommateurs et poursuit un double objectif : identifier les préférences des consommateurs et caractériser les produits issus d’une certaine socialisation (éléments sociaux de reconnaissance, signes d’identification et conditions d’usage des produits).
Les normes sanitaires et d‘hygiène : des garanties pour le consommateur. Un contrôle efficace de l’hygiène est essentiel pour éviter les conséquences négatives sur la santé publique (intoxications alimentaires, propagation de maladies, etc.) et sur l’économie (perturbation des échanges, etc.). Il in- combe à l’ensemble des acteurs du secteur agricole de s’assurer que les aliments sont salubres et propres à la consommation. Pour accroître la sécurité des aliments, il est recommandé par les organismes de certification, la mise en place d’un système HACCP, d’une bonne traçabilité, et l’application des normes SPS (mesures sanitaire et phytosanitaire pour les végétaux), OIE (organisation internationale des épizooties pour les animaux) et du Codex Alimentarius pour les produits de transformation). Une fois qu’un produit africain est certifié selon les normes en vigueur, il franchit les barrières tarifaires avec une reconnaissance internationale. C’est ainsi le cas du gari, reconnu par le Codex Alimentarius (commission mixte FAO/OMS) à la suite de travaux réalisés par les experts africains sur le pH, l’acidité, le taux d’humidité, la granulométrie, etc.
Les normes : barrières infranchissables pour les exploitations familiales ? La méthode, la matière, le matériel, le milieu et la main d’œuvre, constituent les principales sources de contamination des aliments. Les normes garantissent donc les bonnes pratiques de fabrication et la gestion de l’hygiène et de la qualité dans les unités agro-industrielles locales. Il est cependant difficile pour les exploitants familiaux de se mettre en conformité avec les exigences sanitaires. En effet, les unités de production locales peinent souvent à réunir l’ensemble des pratiques professionnelles qui contribuent à produire les aliments dans de bonnes conditions d’hygiène. La mise en place de ces mesures a un coût, hors de la portée de la majorité des producteurs locaux. Mais, les normes sanitaires ne doivent pas être considérées comme un goulot d’étranglement pour le développement de la production locale et l’émergence des exploitations familiales durables. Elles sont un outil de valorisation de la production, et doivent favoriser les producteurs locaux en les rendant plus compétitifs face aux exigences du marché, en termes de demande en produit de qualité, et face à la concurrence des biens importés. Toutefois, les normes telles qu’élaborées aujourd’hui, favorisent les importations, les pays du Sud étant moins outillés à la mise en conformité des productions locales. En effet, les pays du Nord se battent sur la normalisation, considérée comme une barrière non tarifaire ou une protection « cachée » de leur production. Les pays africains doivent eux aussi se battre pour adapter la normalisation à leurs réalités. Autrement, elle deviendra un vecteur de promotion des importations pour « rassurer » le consommateur face aux risques sanitaires locaux.
Sena kwaku Adessou est directeur du bureau national d’Inades- Formation Togo.
Ekpetsi Chantal Bouka est chercheur à l’Institut togolais de recherche agronomique.
Dovlo Yao Fetor est chargé de programme à Inades-Formation Togo.
Certains éléments de cet article se fondent sur les ressources suivantes :
– A. Alpha, C. Broutin, Normes de qualité pour les produits agro- alimentaires en Afrique de l’Ouest, AFD, 2009 ;
– C. Broutin, N. Bricas, Agroalimentaire et lutte contre la pauvreté en Afrique subsaharienne, Gret, 2006 ;
– J. Couturier, Les enjeux de la normalisation pour les produits issus de l’agriculture du Sud, ISF, 2006 ;
– Lignes directrices du Codex pour l’application du système HACCP, Garantir la sécurité sanitaire et la qualité des aliments, FAO/OMS, 2003 ;
– Document de Politique qualité de l’Afrique de l’Ouest, PSQAO, 2010
– B. Ruffieux, E. Valceschini, Biens d’origine et de compétence des consommateurs : les enjeux de la normalisation dans l’agro-industrie, Revue d’économie industrielle, vol. 75, 1996