Les plateformes de distribution alimentaire en ligne se multiplient en Afrique. Épiphénomène ou marche pied pour le secteur artisanal, leur développement interroge. Traduisent-elles de nouveaux rapports entre producteurs et consommateurs ? Et conduisent-elles à redéfinir les modes de consommation et de distribution des populations ?
Un continent de plus en plus connecté
En Afrique de l’Ouest, la population est de plus en plus connectée avec 435 millions d’utilisateurs d’Internet (soit un taux de pénétration de 34 %), et les infrastructures sont de meilleure qualité bien que la fracture numérique, notamment entre urbains et ruraux, reste un défi pour le continent. Le secteur mobile est également fortement ancré, avec un taux de pénétration de 49 % (fin 2016, la région comptait 172 millions d’abonnés uniques). L’essor des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) permet des innovations dans plusieurs secteurs et entraine un recours accru aux plateformes de services en ligne et autres applications mobiles. Elles se développement notamment dans le secteur de l’agro-alimentaire et tendent à redéfinir les modes de consommation et de commercialisation en Afrique de l’Ouest et ailleurs. Mais leur croissance pose questions : permettent-elles un approvisionnement en produits locaux pour le plus grand nombre? Sont-elles vouées à ne rester que l’apanage d’une certaine catégorie de population ? Qui sont les producteurs qui y ont recours et leur permettent-elles d’écouler toute leur production ?
De nouveaux modes de distribution. Le développement des plateformes numériques du secteur agroalimentaire redéfinit les modes de commercialisation de la production agricole et de consommation. Alors que l’agriculture représente 70 % des emplois en Afrique et 30 % du PIB, les plateformes numériques permettraient des gains de productivité importants. Elles donnent accès aux agriculteurs à des informations météorologiques plus fiables, les tiens informés de l’état des récoltes, leur proposent un ensemble de services (crédit, assurance, conseil, etc.) et les connectent à de nouveaux marchés. Les plateformes numériques du secteur agroalimentaire qui émergent en Afrique servent surtout à mettre en contact une offre et une demande en produits alimentaires. Parmi ces nouvelles places de marché, on peut citer M-Louma, présente au Sénégal depuis 2012, elle compte 75 000 utilisateurs. Via le développement d’un portail web, elle fournit l’information la plus fiable possible concernant l’état du marché agricole, en temps réel et sans qu’une connexion internet soit nécessaire. Ces données servent les industriels et les agriculteurs dans leurs processus d’achat. La plateforme fonctionne comme une place de marché en ligne, elle met en relation agriculteurs et distributeurs pour la vente de produits agricoles (principalement des fruits types bananes ou papaye, des légumes comme les aubergines, et des céréales — riz ou mil). Au Cameroun, c’est la plateforme Camagro qu’on retrouve, et M-Farm au Kenya. D’autres plateformes de mise en relation des acteurs du secteur agricole existent, comme E-agriBusiness au Togo. Elle propose différents services agricoles via la téléphonie mobile (assurance, services météo, conseil, crédit, etc.).
La multiplication des plateformes numériques du secteur agricole. Si cette tendance semble encore être un épiphénomène, le nombre de plateformes de distribution est en hausse et devrait se renforcer prochainement. Aussi, Inter-réseaux propose de donner la parole à un acteur qui démarre dans le secteur pour interroger les défis et opportunités que cela re- présente (lire l’entretien du fondateur d’Agromarket, au Sénégal page 15). En parallèle, de nombreuses structures se développent pour accompagner les dirigeants de ces nouvelles entreprises du numérique, ou « start-ups ». Ces incubateurs, pépinières ou espaces de co-working rassemblent des entrepreneurs et des financiers. On peut citer Ctic ou Jokkolabs au Sénégal, Etrilab au Bénin, Woelab au Togo, Cipmen au Niger ou encore Mest au Ghana et Akendewa en Côte d’Ivoire.
Encore de nombreux défis à relever. Malgré leurs promesses, ces plateformes posent un certain nombre de questions. Comment contourner les problématiques d’accès à un internet de qualité et accessible à tous, y compris en milieu rural où se trouvent la majorité des producteurs ? Comment développer les compétences techniques des producteurs pour la gestion de ces plateformes numériques ? Et qu’en est-il de la réglementation nationale et de la coopération en matière de politiques publiques liées à l’internet ?
Agromarket, une nouvelle place de marché numérique
Grain de sel (GDS) : Qu’est-ce qu’Agromarket et quel est son objectif ?
Papa Mor Niane (PMN): Agromarket est une plateforme sénégalaise qui met en relation les différents acteurs du secteur primaire (agriculteurs, éleveurs et pêcheurs), avec leurs acheteurs potentiels qui sont des restaurants, des grossistes et des particuliers. Pendant plusieurs mois, des étudiants en informatique ont développé la plateforme. Née fin 2016 à Dakar, elle vise à répondre aux besoins des producteurs qui n’arrivent pas à écouler toute leur production. Ici, au Sénégal, la moitié des productions est brûlée ou jetée car les agriculteurs n’ont pas de visibilité sur les marchés et les moyens de transport sont très coûteux et périlleux. Partant de ce constat, il fallait trouver une solution pour mettre en valeur nos produits locaux, tout en gérant la livraison et le paiement. Il s’agissait de toucher les producteurs sénégalais exclus du marché.
GDS : Que représente Agromarket en termes de volumes de ventes ?
PMN : Agromarket compte 20 producteurs et s’est fixée comme objectif d’en toucher au moins 1 000 d’ici 2019. La plateforme distribue les produits à 5 clients, principalement des restaurants. Durant le mois de Juin 2018, 12 sacs d’arachide et 50 kg de mil ont été vendus par nos producteurs. La plateforme n’a pas encore la capacité de vendre en grandes quantités, on parle de 0,1 tonne vendue. On prend une commission de 10 %. Nos prix sont moins chers que sur le marché ou que dans les supermarchés car nous n’avons pas à conserver la production ou payer une place de marché physique. Nous livrons « à chaud ».
GDS : Quels types de producteurs ont recours et accès à la plateforme pour vendre leur production ?
PMN : Pour l’instant, les 20 producteurs qui ont recours à la plateforme sont des petits agriculteurs, car ce sont surtout eux qui rencontrent des difficultés sur les marchés. Ils sont parfois regroupés en organisations de producteurs mais la majorité reste des agriculteurs individuels qui produisent du brut (arachide, tomates, pommes de terre, fruits, mil, céréales, etc.). Les gros producteurs ont déjà des contacts avec certaines entreprises de commercialisation qui achètent leurs productions bien avant la récolte. La plupart des producteurs de la plateforme sont des ruraux, loin des villes. Ces plateformes supposent un certain niveau de compétences techniques, d’équipements. C’est un nouveau métier pour le producteur finalement ! Donc Agromarket propose un accompagnement technique, dispensé aux producteurs à chaque mise à jour de la plateforme pour les sensibiliser et les former à son utilisation. Mais celle-ci est relativement simple, les producteurs doivent prendre en photo leur production après la récolte, la mettre sur la plateforme, renseigner le prix, la date de validité et toute la description afférente. Ensuite, le service de livraison distribue. Soit l’acheteur vient chercher son produit car il connait l’adresse exacte du producteur, soit le service de livraison partenaire d’Agromarket se charge directement de livrer, en allant récupérer les produits chez le producteur pour les livrer à l’acheteur. Cette livraison est prise en charge par le producteur.
GDS : Qui sont les acheteurs ?
PMN : Les clients sont variés, ça peut être des hôtels, des restaurants (à 90 %), des usines de transformation de produits agricoles, des grossistes, voire même des particuliers (surtout des expatriés et la classe moyenne dakaroise). Le Sénégal est un pays qui importe énormément malgré sa forte production locale, et au final le consommateur privilégie les produits étrangers. Il y a des efforts qui se font avec des campagnes de sensibilisation au consommer local, ça évolue petit à petit.
GDS : Quelles sont les difficultés rencontrées par Agromarket ?
PMN : À ce stade de notre développement Agromarket n’est utilisable que via une application pour téléphone connecté à internet. Il existe des services d’échanges d’informations, comme les sms, qui n’utilisent que la téléphonie mobile pour fonctionner. On aimerait bien avoir accès à ce type de services pour résoudre les problèmes de connexion et d’accès. La communication peut aussi être compliquée. Agromarket est une nouvelle petite startup, ce n’est pas évident de se faire connaître, alors on va sur le terrain avec nos clients pour profiter de leurs recommandations. Enfin, la réglementation peut poser question. Agromarket réfléchi à comment être en règle sur toutes les démarches à faire. Au Sénégal, la réglementation n’est pas très contraignante, en revanche une start-up du numérique peut rencontrer des difficultés fiscales, mais c’est partout la même chose !
L’introduction de cet article a été réalisée par Inter-réseaux à partir : – des données collectées par les journalistes du projet Agritools. Il recense les initiatives en matière de NTIC pour l’agriculture ;
– du rapport «Le numérique et le développement des Suds », Communication, technologie et développement n°5, janvier 2018 ;
– du rapport « Économie mobile, l’Afrique de l’Ouest 2017 », GSMA Intelligence, 2017.
Papa Mor Niane est originaire du Sénégal. Après son baccalauréat, il poursuit des études en informatique et fonde la plateforme Agromarket. Agromarket se définit comme un marché africain numérique. Cette plateforme de distribution de produits locaux en ligne, met en relation des acheteurs et producteurs au Sénégal. Site web d’Agomarket.
Certaines informations de cet entretien se fondent sur l’article du Hub rural intitulé Sénégal, Production en fruits et légumes – Des pertes de 70 % enregistrées