La juste répartition de la valeur ajoutée dans les prix payés aux producteurs est un sujet partagé par tous. Cette question a été à l’origine des États généraux de l’alimentation en France, en 2017. Les initiatives C’est qui le patron en France, et FairFaso au Burkina, tentent d’apporter des réponses.
Le patron, c’est le consommateur
Grain de sel (GDS) : Quand et pourquoi avez-vous lancé le projet C’est qui le patron ?
Laurent Pasquier (LP) : Nous avons eu l’idée de lancer C’est qui le patron (CQLP) en 2013. Le but était de faire du consommateur le véritable « patron » : c’est comme s’il avait un bulletin de vote à chaque fois qu’il achète un produit. Il peut ainsi décider lors de ses achats des produits qu’il retrouvera ensuite dans ses rayons car si les produits de mauvaise qualité ou qui rémunèrent mal les producteurs ne se vendent plus, ils ne seront plus dans les rayons ! Mais la société n’était pas encore prête : tous les maillons de la filière — des producteurs jusqu’aux consommateurs, en passant par les transformateurs et les distributeurs — devaient d’abord être convaincus. Ce n’est qu’en 2016 qu’on a finalement pu lancer le projet car il y a eu un basculement dans la société : toute la chaîne alimentaire souffrait d’une crise de confiance liée à une série de scandales alimentaires ; et certains dirigeants de la grande distribution se sont rendus-compte de la nécessité de regagner la confiance du consommateur dans un contexte de guerre des prix entre distributeurs. Le consommateur s’est rendu compte que quand il payait moins cher, ce n’était pas juste un prix mieux négocié entre professionnels, mais que ce n’était plus ni le même produit en termes de qualité, ni la même façon de rémunérer le producteur.
GDS : La société des consommateurs fonctionne sur la base d’une coopérative. Pourquoi ce modèle ?
LP : On a créé une coopérative de consommateurs car on voulait que le consommateur soit au centre. La société C’est qui le patron, a permis de lever 250 000 euros (à partir des commissions de 5 centimes d’euros par litre de lait vendu) pour doter la coopérative en fonds. Elle comprend 5 400 consommateurs sociétaires qui votent pour les questions les plus techniques. Pour les questions générales, n’importe quel consommateur peut voter sur internet, via un questionnaire à choix multiples et sans être nécessairement sociétaire. Il y a un vote par mois et aucune décision n’est prise sans l’aval de la majorité des consommateurs. On propose différents produits : le lait (on a vendu 57 millions de litres depuis le début, avec 350 producteurs), des fraises, du jus pomme, du beurre bio, etc. Au total la coopérative a plus de 500 producteurs, issus d’exploitations de taille moyenne.
GDS : Quelles sont à ce jour vos principales réussites et difficultés ? Comment les expliquez-vous ?
LP : Étrangement c’est avec les producteurs qu’il y a eu le plus de difficultés au départ. Initialement, on travaillait sur le lait, or, le producteur est dépendant de sa laiterie qui collecte le lait tous les deux jours. C’est son seul client, il y est très attaché. Les producteurs, même très mal payés appréhendaient ce qu’on leur proposait. S’ils acceptaient de s’engager dans notre démarche mais qu’elle échouait au bout de 3 mois, ils n’avaient aucune garantie de retrouver leur client antérieur. Donc ils préféraient rester mal payés. Pour les transformateurs ça a été plus simple car la grande distribution était intéressée, il y avait des promesses orales.
GDS : Pouvez-vous donner quelques données sur les prix touchés par les producteurs et sur ceux payés par les consommateurs ?
LP : Les prix payés aux producteurs découlent directement des votes de l’ensemble des consommateurs. On leur pose la question « Comment souhaitez-vous que le producteur soit rémunéré ? » et ils peuvent ré- pondre de quatre manières possibles : rémunérer le producteur au cours du marché, mais il serait donc dans des situations où il ne peut pas payer ses charges ; rémunérer le producteur en faisant un effort, il peut alors équilibrer ses charges mais il ne pourra pas se payer ; rémunérer le producteur convenablement ; rémunérer le producteur de façon convenable et de manière à ce qu’il puisse bénéficier de temps libre. Le litre de lait est vendu 99 centimes d’euros (390 euros les mille litres). Sur ce litre, le producteur reçoit 39 centimes (avec les primes il est à 41-42 centimes). Nous prenons une commission de 5 centimes, il y a 5 centimes de TVA et le reste est partagé entre le transformateur et le distributeur.
GDS : Vous mettez en avant la figure du « consom’acteur », mais la responsabilité n’est-elle pas avant tout à d’autres niveaux ?
LP : Les vrais décideurs sont les consommateurs. Donc mettre l’accent sur ces derniers, dans une République, c’est mettre l‘accent partout ! Aujourd’hui, on n’a plus confiance dans les institutions, donc on fait par nous-mêmes. On propose un échelon intermédiaire pour atteindre un maximum de consommateurs avec le circuit national : la production et les matières premières sont françaises, on vend en France.
Commercialiser du lait équitable au Burkina
Grain de sel (GDS) : Pouvez-vous présenter l’initiative FairFaso ?
Ibrahim Adama Diallo (ID) : L’Afrique et l’Europe rencontrent les mêmes problématiques de commercialisation des produits. Nous avions vu que les producteurs belges, membres de la coopérative Fair-Coop, avaient créé la marque FairBel pour pallier à la suppression des quottas laitiers en Europe, aux problèmes de prix et d’écoulement des productions. Nous avons souhaité répliquer au Burkina avec la marque FairFaso qui commercialise un lait équitable. L’initiative est donc née de la collaboration entre producteurs laitiers belges et burkinabés (affiliés à l’Union nationale des mini-laiteries et producteurs de lait local – UMPL/B), dans le but d’accroitre leur participation sur les marchés. L’UMPL/B est composée de 52 mini-laiteries qui fonctionnent comme des coopératives et vendent directement leurs produits sur le marché local. Parmi elles, trois commercialisent leur lait sous la marque FairFaso, pour environ 40 producteurs par mini-laiterie. On souhaite progressivement augmenter leur nombre mais actuellement nous n’avons pas les financements nécessaires pour les équiper et qu’elles produisent suffisamment. Nous n’avons pas de chiffres sur les quantités produites par ces trois mini-laiteries spécifiquement car les donnés sont collectés et consolidées pour l’ensemble des mini-laiteries membres. Mais celles qui commercialisent via FairFaso ont vues leurs quantités vendues passer de 100 litres à 200-300 litres par jour. Pour vendre sous la marque FairFaso, les mini-laiteries doivent respecter un cahier des charges strictes en termes de qualité. Elles sont accompagnées par FairBel et Oxfam pour ce qui concerne les équipements, la formation, le respect des normes, etc.
GDS : À quels enjeux la marque FairFaso tente-t-elle de répondre ? Comment ?
ID : Le lait local est concurrencé par le lait importé, moins cher et de moins bonne qualité, surtout le lait en poudre dégraissé et ré-engraissé. Le lait en poudre en vrac est taxé à 5 %, 35 % pour les petits conditionnements. Les multinationales contournent cela par des reconditionnements sur place. L’Union européenne doit éviter les politiques qui détruisent la petite économie en Afrique. La marque FairFaso sert à lutter contre cette concurrence déloyale, mais légale car nos États ont signés des accords de partenariats économiques qui les empêchent de protéger leurs marchés, et à interpeller le consommateur : consommer le lait local et produire ce que nous consommons permet aux petits producteurs de subvenir à leurs besoins ! Sinon, notre tissu économique, porté par les petites exploitations familiales, va se déstructurer. FairFaso permet aux petits producteurs d’être visibles et de vendre suffisamment de lait local pour bénéficier d’un marché sûr et régulier face au lait importé. FairFaso sert aussi à mieux vendre grâce aux emballages, au conditionnement ; c’est du marketing. L’idée c’est aussi de donner du travail à nos enfants pour qu’ils ne soient pas happés par les discours extrémistes.
GDS : Selon vous, qu’en est-il de la place du producteur si le « patron » est le consommateur ?
ID : Si vous n’êtes pas organisés, vous êtes dominés par les choix du consommateur, libre de fixer son prix. FairFaso travaille donc à le responsabiliser en jouant sur sa fibre patriotique, en prônant la production locale, même si le prix est plus élevé que sur le marché. Cette démarche reste compliquée en Afrique, nous devons faire connaitre la marque FairFaso. C’est pourquoi nous organisons les 72 heures du lait local, des activités de plaidoyer auprès des autorités, etc.
GDS : Au Burkina, dans quelle mesure les pouvoirs publics vous soutiennent-ils ?
ID : Malgré la volonté affichée dans les discours, l’État n’a pas les moyens de mettre en œuvre de véritables politiques pour accompagner la filière lait. Le ministère de tutelle en charge des ressources animales est le parent pauvre du gouvernement en termes de ressources. Nous devons compter sur nous-mêmes et nos partenaires techniques et financiers. C’est pourquoi nous avons fait appel à la coopérative FairCoop notamment.
Laurent Pasquier est directeur général de la société C’est qui le patron et président de la coopérative de consommateurs La société des consommateurs.
C’est qui le patron est la société qui commercialise les produits sous le nom « C’est qui le Patron ?! La marque du consommateur ».
La société des consommateurs est une coopérative de consommateurs créée en 2016, en France, pour répondre aux enjeux de la juste rémunération des producteurs.
Pour en savoir plus sur la marque du consommateur.
Ibrahim Adama Diallo est président de l’Union nationale des mini- laiteries et producteurs du lait local au Burkina Faso (UMPL/B), et responsable de la mini-laiterie pilote Kossam Yadega, à Ouahigouya au Nord du Burkina, qui porte la marque FairFaso au Burkina.
FairFaso est la marque via laquelle certaines mini- laiteries, membres de l’UMPL/B, commercialisent leur lait. FairCoop est la coopérative qui commercialise les produits laitiers sur le marché et qui a développé la marque FairBel. Elle vise à rémunérer le producteur au juste prix.
Pour en savoir plus sur FairFaso.