À partir d’initiatives développées par Coop de France, ces articles évoquent les enjeux du modèle coopératif pour l’aval des filières. Ils reviennent sur les échanges de compétences entre coopératives africaines et européennes, et interrogent, dans un second temps, les partenariats mis en œuvre.
Les partenariats : une réponse aux attentes des acteurs locaux ?
Les 2 500 coopératives agricoles et agroalimentaires françaises représentent des acteurs majeurs des filières alimentaires dans les territoires. Elles sont à la fois fournisseurs de produits agricoles bruts aux industries agroalimentaires, d’ingrédients et de produits finis auprès des enseignes de distribution et de la restauration hors domicile, en France et à l’étranger. De ce fait, elles bénéficient d’une vision globale des enjeux alimentaires.
Évolutions des attentes des consommateurs et impact sur la production agricole. Les attentes des consommateurs français sont en profonde mutation. Elles s’orientent vers une alimentation durable, respectant l’environnement, prenant en compte le bien-être animal et garantissant le respect de normes sociales pour les producteurs. La transparence sur l’origine, la composition, l’apport nutritionnel, et les conditions de production constituent désormais un critère incontournable pour les achats. Ces nouvelles exigences sont toutefois plus ou moins prioritaires en fonction des catégories de consommateurs et du budget consacré à l’alimentation (les préoccupations liées au pouvoir d’achat restent prégnantes pour toute une partie de la population). Si ces tendances sont particulièrement marquées en Europe, des évolutions similaires peuvent être observées dans d’autres zones. En Afrique, les approvisionnements alimentaires sont désormais majoritairement marchands et monétisés, y compris chez les ménages ruraux. Les consommateurs sont à la recherche d’une alimentation locale, de qualité sur le plan sanitaire et nutritionnel, diversifiée et dont les variations des prix restent contenues. Les coopératives agricoles françaises nouent des partenariats en Afrique pour répondre à la demande des consommateurs locaux, en France et à l’étranger et visent à accompagner les producteurs locaux dans leur structuration.
Agrial : un partenariat coopératif franco-sénégalais pour l’export. Agrial, groupe coopératif agricole et agroalimentaire normand (regroupe des marques comme Florette, Priméale, Créaline, Ecusson, Loïc Raison, Soignon, Grand Fermage, Brient, etc.), produit des légumes en contre-saison (haricots, poivrons, oignons, maïs doux, etc.) au Sénégal à destination de l’export vers l’Europe. Cela lui permet de répondre à la demande européenne croissante de légumes frais toute l’année. Le groupe a investi localement dans le maraîchage et la construction d’entrepôts d’expédition-exportation. Il travaille avec des communautés locales en zone rurale afin d’instaurer un programme d’agriculture contractuelle avec les habitants. Ces opérations ont créé localement 4 500 emplois directs dans la production agricole, les activités de tri, stockage et de conditionnement. Le groupe développe les compétences des équipes en vue de répondre aux exigences des cahiers des charges de la production de légumes destinés à l’exportation en Europe. En plus du salaire payé par Agrial, les habitants peuvent déployer ces méthodes de production sur leurs propres cultures vivrières et améliorer leurs revenus en approvisionnant les marchés locaux. Simultanément, Agrial soutient la mise en place de programmes de santé, d’éducation et d’accès à l’eau pour les populations locales. Ces activités participent de l’attractivité économique des zones rurales où Agrial est implanté. Ce partenariat permet à Agrial de développer des relations durables et responsables, de sécuriser ses approvisionnements et de renforcer la compétence des producteurs locaux.
Cœur de Vivescia au Bénin : vers un transfert de compétences pour les producteurs ? La fondation Cœur de Vivescia, groupe coopératif français spécialiste des céréales, accompagne des producteurs maraîchers au Bénin. Un transfert de compétences techniques (agronomie, itinéraires de cultures, entomologie, etc.) a été mis en place au bénéfice des producteurs. Le programme d’accompagnement a évolué pour former des assistants techniques locaux en charge de réaliser des tournées régulières permettant le suivi des producteurs dans le temps. La professionnalisation des assistants techniques leur a permis de consolider leurs connaissances, par exemple dans l’identification des maladies, et de développer une plus grande autonomie dans la gestion des nouveaux incidents de culture. Les maraîchers peuvent ainsi faire appel à ces techniciens, référents locaux, pour réduire les risques et améliorer leur production. En poursuivant son accompagnement, la fondation cherche à améliorer l’accès aux marchés locaux des maraîchers béninois, en travaillant sur les problématiques de calendrier et de stockage. En effet, pour éviter un afflux massif de produits agricoles au même moment sur les marchés locaux, les agriculteurs doivent se concerter en amont de la campagne de production pour choisir des variétés complémentaires. L’accès aux marchés met en exergue la problématique du regroupement de l’offre et donc de l’adaptation au contexte local du modèle coopératif français.
Unicoque au Bénin : une meilleure structuration de la filière anacarde. La coopérative Unicoque, leader de la production de noisettes françaises, a réalisé au profit de producteurs d’anacarde au Benin plusieurs missions de mécénat de compétences sur les techniques de production, l’état des lieux du verger et les possibilités d’amélioration de la production. Ces missions de consulting sont complétées par des voyages d’études annuels en France pour présenter aux producteurs béninois les organisations agricoles françaises et leur fonctionnement. Les producteurs béninois ont aussi sollicité les conseils de la coopérative Unicoque pour la structuration de la filière anacarde au Bénin. Ils ont regroupé l’offre, créé une coopérative, organisé la vente groupée et ont initié un projet d’usine de transformation. La valorisation par le biais de la transformation agroalimentaire soulève cependant de nombreuses difficultés liées au contexte local : manque d’infrastructures, de logistique, de savoir-faire, d’entrepôts, etc., qu’ils tentent de surmonter par des investissements locaux et des formations. La relation, construite sur plus de 10 ans entre les producteurs béninois et la coopérative Unicoque, basée sur des actions de mécénat, a permis l’amélioration de la production et la structuration de la filière. Ce partenariat pourrait évoluer vers des relations commerciales pérennes si les producteurs béninois et Unicoque décident de mettre en place un approvisionnement en noix de cajou pour les commercialiser en Europe, sur les principes du commerce équitable tels que définis par l’Organisation Mondiale du Commerce Équitable (WFTO).
Limagrain et les semenciers africains : quels partenariats ? Limagrain, groupe coopératif auvergnat et 4e semencier mondial, a développé un partenariat avec deux semenciers africains (Link Seed, en Afrique du Sud, et Seed Co, l’un des principaux semenciers africains présent dans 15 pays). Pour s’implanter en Afrique, Limagrain souhaitait trouver des partenaires partageant des valeurs communes, capables de travailler en complémentarité, sur le plan géographique (avec un réseau de distribution en Afrique centrale et australe), et sur les espèces (maïs, sorgho, cultures maraîchères). Limagrain est vigilant à ce que ses partenaires travaillent en collaboration avec le secteur agricole et les fermiers locaux. Ainsi, les programmes développés avec Seed Co intègrent les acteurs locaux, tiennent compte de leurs moyens de production (outils et itinéraires culturales) et de la demande des consommateurs locaux. Ces actions peuvent porter sur des investissements communs ou des axes de recherche visant à améliorer la sélection et l’adaptation locale des semences de cultures vivrières.
Une nécessaire adaptation des pratiques agricoles. Les évolutions des modes de consommation nécessitent une adaptation constante des pratiques agricoles. Les coopératives agricoles sont des acteurs stratégiques participant à l’évolution des modes de production. Elles mobilisent leurs savoir-faire en Afrique pour l’accompagnement technique des agriculteurs, la structuration des filières et la valorisation de la production agricole. Ces partenariats peuvent prendre différentes formes (relations commerciales, mécénat, partenariats de recherche ou investissements conjoints). Mais afin de permettre aux agriculteurs de valoriser au mieux leur production, des investissements sont nécessaires, notamment dans la transformation alimentaire. Ils doivent être réalisés par les organisations collectives d’agriculteurs pour garantir une répartition équitable de la création de valeur.
Retour sur Le Livre blanc des coopératives
Depuis 2015, 18 des plus importantes coopératives agricoles françaises ont engagé, au sein de Coop de France, une réflexion commune sur l’agriculture en Afrique. Elle est exposée dans un livre blanc qui esquisse une vision du développement agricole en Afrique et énonce des propositions pour le développement de logiques partenariales.
Une structuration de l’aval par le modèle coopératif. Le rôle des coopératives, mais plus largement des opérateurs privés, est ciblé sur le développement de l’agriculture locale, en particulier par le financement et l’intégration de l’aval. En effet, l’axe de structuration proposé au niveau des filières agricoles passe par la sécurisation des débouchés où se développent les entreprises de transformation agro-industrielle et pour lequel il faut inciter au « regroupement des exploitations agricoles » et favoriser l’accès aux intrants de qualité.
Trois enjeux pour la structuration de l’aval et les partenariats entre coopératives. Le premier enjeu présenté par le Livre blanc cible la promotion des partenariats des coopératives françaises sur le continent africain via la structuration d’un dispositif d’accompagnement, des activités d’échanges et un lien accru avec la diplomatie « économique » française. Le deuxième recommande d’accompagner les activités économiques des coopératives françaises en Afrique en favorisant les partenariats autour des écosystèmes adaptés, des actions communes, notamment pour les petites structures et la création d’un fonds-projet dédié. Le troisième, enfin, suggère un engagement auprès des partenaires africains en réaffirmant la responsabilité sociétale propre aux entreprises coopératives tout en s’efforçant de l’appliquer par un label « Cooperation Inside », via des appuis associatifs ou la création de comité d’éthique pour le suivi des activités. Asymétrie des contrats et déséquilibre entre territoires ruraux. Si le choix de l’entrée filière ne peut surprendre vis-à-vis d’une démarche destinée à promouvoir l’organisation agro-industrielle du secteur, deux interrogations n’y sont qu’effleurées. La première est liée à l’asymétrie des contrats entre opérateurs de la filière et producteurs agricoles. En guise de partage équilibré de la valeur ajoutée et du risque, c’est d’abord le comportement opportuniste des agriculteurs via la commercialisation hors contrat qui est soulevé ; comme si de nombreux producteurs africains n’avaient pas eu à souffrir des défauts de paiement de leurs commerçants collecteurs, qu’il s’agisse de sociétés cotonnières au Bénin ou de col- lecteurs de riz sur l’Office du Niger au Mali. La deuxième interrogation correspond, au nom « d’avantages comparatifs » plus ou moins implicites, au déséquilibre de la spécialisation entre territoires ruraux amenant à des inégalités régionales de développement qui s’avèrent difficile à compenser dans les politiques agricoles.
Des coopératives devenues entreprises ? S’agissant des formes d’organisation, l’entrée retenue cible la vocation économique des entreprises coopératives. Elle induit un mimétisme avec les sociétés de capitaux et banalise l’organisation coopérative et ses enjeux en matière de démocratisation de l’économie. La libre association des producteurs ne peut se restreindre à une approche fonctionnelle sans poser la question du pouvoir et du contrôle des producteurs. Les enjeux spécifiques de l’identité coopérative en contexte africain et leur prise en compte dans des partenariats entre « pairs » pour renforcer la démocratie coopérative seront, à ne pas en douter, une question à suivre de près.
Quels modèles de partenariats entre coopératives euro-africaines ? Enfin, les propositions révèlent une ambivalence au niveau du partenariat et du rôle des différents acteurs, privés comme publics. Les finalités économiques de la coopération agricole française s’inscrivent-elles dans une vision partagée, et co-construite, du devenir agricole de l’Afrique avec les organisations professionnelles ? Cette vision amène- t-elle à des choix propres de certains investisseurs internationaux de l’agro-alimentaire ? Au-delà, les crises de production et des filières agricoles en France ne doivent-elles pas amener les coopératives à élargir, au-delà de leur agenda économique, les finalités de leur partenariat avec les organisations agricoles africaines ?
Maud Anjuere est responsable compétitivité au sein de la section agroalimentaire de Coop de France.
Rachel Blumel est Directrice de la section agroalimentaire de Coop de France.
Coop de France est une fédération nationale d’entreprises. Il s’agit de la représentation unifiée des coopératives agricoles, agroalimentaires, agroindustrielles et forestières françaises.
Cet article a été réalisé à partir des données suivantes : Bricas N., Tchamda C., Mouton F. (dir.), 2016. L’Afrique à la conquête de son marché alimentaire intérieur. Enseignements de dix ans d’enquêtes auprès des ménages d’Afrique de l’Ouest, du Cameroun et du Tchad, Paris, collection Études de l’AFD, n°12, 132 p.
François Doligez est agroéconomiste à l’Iram.
Le second article est un extrait de la note de lecture suivante : La coopération agricole française et l’Afrique : dix propositions pour bâtir ensemble des partenariats gagnants, Livre blanc, Coop de France, décembre 2016, 112 p.