La production de manioc a connu une hausse importante ces 30 dernières années, en partie dynamisée par le secteur de la transformation en plein essor. Une grande diversité de produits transformés, par voies traditionnelles ou industrielles, existe et leur développement s’accompagne de technologies et de politiques performantes.
L’Afrique est le premier producteur de manioc au monde. Les principaux pays producteurs sont le Nigeria (35 % de la production africaine totale et 19 % de la production mondiale), la République démocratique du Congo, le Ghana, la Tanzanie et le Mozambique. Entre 1990 et 2004, la production de manioc en Afrique de l’Ouest a doublé, atteignant 60,8 millions de tonnes en 2010, dont 37 millions au Nigeria (Source Faostat).
Au-delà des avantages de ce produit en termes de techniques culturales, notamment depuis l’adoption de variétés améliorées résistantes aux ravageurs, le manioc revêt un fort potentiel nutritionnel et est un moyen de lutte contre l’insécurité alimentaire dans la région.
Dans de nombreux pays africains, on estime que 70 % du manioc produit sont transformés.Ce taux de transformation est dû à la périssabilité des tubercules qui se dégradent 3 à 4 jours après la récolte. La gamme de produits qui en découle est diversifiée.
Aujourd’hui, en Afrique de l’Ouest, en particulier au Nigeria, Bénin, Ghana et Sierra Léone (pays d’études en référence) le développement de la culture du manioc et l’essor des systèmes de transformation alliant processus traditionnels, semi-industriels et industriels en font une filière à fort potentiel pour l’ensemble de la sous-région
Le manioc : une diversité de produits traditionnels et manufacturés
En première position, le gari. Le gari (semoule) est le produit à base de manioc le plus consommé et commercialisé. Il est obtenu en plusieurs étapes dont les plus importantes sont la fermentation et la torréfaction. Les micro entreprises agro-alimentaires rurales apprécient sa bonne durée de conservation et la forte demande des consommateurs. Le gari peut concurrencer le riz d’un point de vue de la praticité et du prix sur les marchés urbains et ruraux. De plus, son potentiel d’expansion au Sahel est important car il est économique en temps de cuisson (et donc en bois de chauffage, coûteux dans ces régions) notamment par rapport aux céréales qui y sont traditionnellement consommées (maïs, sorgho, mil et riz).
Le fufu, pâte obtenue à partir des tubercules bouillis, pilés et fermentés, est largement consommé dans l’est et au sud-ouest du Nigeria, au Cameroun, et dans d’autres pays de l’Afrique de l’Ouest comme le Ghana et la Sierra Leone. C’est le produit le plus consommé après le gari. Récemment, l’utilisation de farine de fufu instantanée est devenue populaire du fait de sa facilité de préparation, sa durée de conservation élevée, sa taille compacte et sa commodité de stockage.
D’autres produits à base de manioc entrent dans l’alimentation des africains de l’Ouest. Le lafun est de la farine de manioc séchée et fermentée qui est par la suite transformée en une pâte ferme, mangée avec de la sauce. Le tapioca est un produit granulaire fait à base d’amidon de manioc gélifié. Les étapes de transformation sont très exigeantes en main-d’oeuvre ce qui rend le produit très cher. Il est consommé dans de nombreuses parties d’Afrique de l’Ouest, trempé ou cuit à l’eau, avec ou sans sucre et lait. L’attiéké (couscous de manioc fermenté) est préparé à partir de pulpe de manioc fermentée et cuite à la vapeur. L’attiéké frais est habituellement vendu sur les marchés locaux. Il existe aussi une forme déshydratée, semblable à du couscous. L’attiéké est un plat typique ivoirien et son processus traditionnel de production, est bien connu et largement répandu dans la sousrégion. Son commerce est florissant partout dans les milieux urbains de la Côte d’Ivoire au Bénin
Cossettes de manioc (ou « chips » de manioc séché). C’est la façon la plus économique de conserver le manioc. Ce produit est surtout populaire dans les zones de savanes où le séchage au soleil est plus facile que dans les zones humides et forestières. Les modes de préparation et de consommation varient : réduit en poudre, cuisiné en kokonte au Ghana, il s’adapte aux goûts et habitudes de consommations locales. Le process est essentiellement manuel et offre un certain potentiel pour la mécanisation dans le court et moyen termes.
HQCF (High quality cassava flour) ou farine de manioc de haute qualité. Le développement de la HQCF est une clé du succès de la transformation du manioc ces dernières années, principalement au Nigeria où elle est devenue le moteur de sa transformation industrielle. La farine est utilisée brute ou entre dans la composition de produits de boulangerie. Depuis les années 1990, avec l’amélioration du procédé grâce aux partenariats avec la recherche (IITA), la panification à base d’HQCF a augmenté.
L’introduction de l’amidon dans les industries du Nigeria a transformé le potentiel agro-industriel du manioc. Utilisé comme ingrédient dans les produits alimentaires manufacturés (aliments pour bébé, confiserie, alcool) et dans l’industrie non alimentaire (colle, adhésif, colle à papier, amidon pour textile, etc.), il est aussi largement utilisé comme agent épaississant dans les soupes et pour la lessive. De façon plus traditionnelle, l’amidon de manioc est utilisé dans d’autres pays (Sierra Leone et Bénin par exemple), notamment pour rigidifier les vêtements ou être consommé sous forme de tapioca.
manioc
Les femmes de Manchie au Ghana torréfient le gari sur des fours améliorés
Le développement technologique des équipements de transformation du manioc. Que ce soit au Nigeria et au Ghana, pays plus avancés sur les technologies et procédés industriels, ou au Bénin et en Sierra Léone, on note des améliorations importantes de la transformation du manioc à des degrés divers, tant au niveau domestique que commercial. L’introduction d’équipements de transformation pour la plupart des étapes de traitement (râpes, presses, séchoirs) a réduit la pénibilité du travail, libérant ainsi du temps pour les femmes (majoritaires dans l’activité) investissant alors d’autres activités génératrices de revenus.
Les équipements les plus modernes sont développés au Nigeria qui a une très nette longueur d’avance sur ses voisins. Les entreprises agro-alimentaires à différentes échelles foisonnent. Ainsi, la plupart des micro et petites entreprises agro-alimentaires sont impliquées dans la production d’aliments traditionnels ou de produits intermédiaires, comme les cosettes, la HQCF, ou l’amidon. Des moyennes entreprises, proches des grands sites de production et gérées par des entrepreneurs locaux, transforment le manioc en HQCF, amidon et fufu de haute qualité pour l’export, (cas de l’entreprise Peak Products Ltd, Abeokuta). Enfin, les usines agroindustrielles (par exemple Nigerian Starch Mills in Ihiala, Anambra State) sont les principales industries fournisseurs de l’amidon de haute qualité aux industries manufacturières telles que Cadbury et Nestlé. Il convient de noter toutefois que ces industries nigérianes ne transforment encore qu’une très petite partie de la production du pays.
Au Ghana, deux catégories d’opérateurs se partagent le marché de la transformation du manioc en gari : d’un côté les MPEA, aux mains de femmes transformatrices individuelles ou organisées au sein de groupements, proposent une grande offre artisaartisanale qui approvisionne le marché en continu avec de faibles volumes unitaires de production. Ces MPEA font aujourd’hui face à de nombreux défis tels que le coût élevé des équipements de transformation et l’accès au crédit.
De l’autre, les Petites et moyennes entreprises (PME) possèdent des équipements semi-industriels qui leur permettent de traiter des volumes plus importants et de conditionner leurs produits (emballage et marketing). Elles vendent leur production sur l’ensemble du territoire, notamment dans les supermarchés. Il s’agit entre autres de Neat Fufu, un des leaders sur le marché ghanéen. Ces PME développent des circuits de vente à l’export et doivent aujourd’hui trouver aussi des stratégies pour affronter la concurrence importante sur le marché local.
Politiques, recherche et technologies : un trio gagnant. Depuis les années 2000, des politiques favorables (surtout au Nigeria mais aussi au Ghana) ont dynamisé le secteur de la transformation du manioc en produits dérivés notamment via l’appui à la transformation (équipements mais aussi incitations à l’utilisation de produits dérivés du manioc dans l’industrie agro-alimentaire locale), l’appui à la recherche (sur les variétés de manioc productives et résistantes mais aussi concernant le développement d’équipements améliorés), au développement de services de conseils (cf. encadré), etc. Au Bénin et en Sierra Léone, les gouvernements annoncent des directives similaires mais rien de concret n’est en place pour le moment.
Au Ghana : l’État s’est pleinement engagé dans la filière manioc
Le Gouvernement ghanéen soutient depuis de nombreuses années la transformation du manioc à travers des structures comme Gratis ou le Food Research Institute (FRI). Mise en place par un projet en 1995, la Fondation Gratis a pour objectif de diffuser les technologies de transformation au plus grand nombre. L’installation de Rural technology service centres dans toutes les régions du pays a permis de créer un réseau de professionnels de la transformation : les artisans peuvent suivre des formations pour la création d’outils adaptés aux filières de transformation. Le FRI assure également une diffusion des pratiques technologiques via des plateformes expérimentales de transformation où il accueille les petites transformatrices pour des mini-stages.
Cet article est rédigé sur la base d’une part de la publication suivante : Successes and challenges of cassava enterprises in West Africa: a case study of Nigeria, Bénin, and Sierra Leone, L.O. Sanni, O.O. Onadipe, P. Ilona, M.D. Mussagy, A. Abass, and A.G.O. Dixon IITA, CFC, 2009 ; et d’autre part de la compilation de données issues d’une mission de terrain au Ghana effectuée par Camille Dijon (camille. dijon@gmail.com), dans le cadre de l’étude sur les technologies de transformation des filières vivrières locales en Afrique subsaharienne, encadrée par le Cirad, et des résultats d’une mission du Gret réalisée dans le cadre d’une étude sur les métiers porteurs dans l’agroalimentaire, financées toutes deux par l’Agence française de développement..