_ Avec près de 20 ans d’existence, l’Association Rimtereb Som et sa « petite soeur », la marque « Takam Cosmétiques », ont bel et bien réussi à investir aujourd’hui le marché local du Burkina Faso pour la vente de produits cosmétiques au karité. Retour sur le parcours de leur responsable, Martine Kaboré, une femme entreprenante.
Lorsqu’elle créa Rimtereb Som en 1994, Martine Kaboré avait en tête de rassembler des femmes veuves et nécessiteuses autour d’activités génératrices de revenus, dont la principale était la production de beurre de karité. Reconnue officiellement en 2001, l’association commença à investir les marchés locaux, en saisissant les opportunités d’événements et foires ponctuels. Concentrant ses efforts et perspectives d’innovations sur le développement de produits cosmétiques, Martine Kaboré choisit de privilégier le marché local, quand la majorité des groupements et unions de femmes productrices de beurre de karité visait les marchés d’export. Martine Kaboré a également créé en 2002 sa marque « Takam Cosmétiques ». L’objet de son activité est la production et la commercialisation du beurre de karité et des produits cosmétiques : savons, pommades, crèmes, shampoings, etc. De 24 boîtes en 2002, ce sont 25 000 boîtes qui ont été vendues en 2010, et 30 000 en 2011. Martine Kaboré nous présente quelques-unes des clés de cette réussite.
Gagner le marché national et sous-régional, une priorité. Aujourd’hui, l’ambition de Martine Kaboré est d’investir le marché national et sous-régional avec des produits de qualité supérieure à ceux présents sur le marché local. Ainsi, elle participe à la plupart des manifestations commerciales nationales et dans les pays voisins en ventant la qualité de ses produits. Son souci est de créer, d’innover pour maintenir une longueur d’avance sur ses concurrents qui ont plus de moyens logistiques et productifs.
Grain de Sel : Quelle a été votre stratégie pour conquérir le marché local ?
Martine Kaboré : Au début de nos activités, nous avions commencé par une production artisanale manuelle de savon de lessive. Avec le temps nos membres ont été formés à la fabrication de savons de toilette. J’ai également mis au point des recettes de pommades spécialisées (Joli bébé, Pousse Plus) qui plaisent beaucoup aux consommateurs.
Le marché du beurre de karité au Burkina Faso
Le marché concerne aujourd’hui :
- Le marché de consommation des ménages. Utilisation directe du beurre dans les aliments et comme cosmétique ou encore comme remède.
- Le marché des professionnels. Le beurre de karité peut être utilisé brut ou transformé comme produit d’hygiène corporelle ou produit d’entretien.
- Le marché à l’exportation. Principalement l’amande de karité et des niches de marché pour le beurre (industrie cosmétique, pharmaceutique…).
Quelques caractéristiques du marché urbain du beurre de karité au Burkina Faso :
- Le beurre de karité se vend sur le marché burkinabè sous quatre formes principales : en vrac (boules de 20 à 25 grammes), en yoruba (unité de mesure locale de 2,5 kg), en sachets et pots de différentes contenances.
- On trouve le produit sur les étalages des marchés traditionnels, dans les boutiques de quartier, les kiosques, les supermarchés, les magasins spécialisés et auprès de marchands ambulants.
- Un total de 359 points de vente au détail ont été recensés à Ouagadougou (241) et à Bobo Dioulasso (118). La moyenne des ventes hebdomadaires est comprise entre 2 et 3 tonnes. Environ 3 500 tonnes de beurre par an dans les deux villes, soit quatre fois le volume de beurre exporté en 2007.
- On note une pénétration progressive du beurre de karité dans le circuit moderne du commerce et dans les boutiques de proximité ; il est conditionné en sachets (500 grammes à un kg) ou en pots.
- 84 % des détaillants recensés sont des revendeurs qui achètent le beurre aux productrices.
Quelques éléments clés :
Le marché local est plus important (en volume) que celui d’exportation pour les entreprises de cosmétiques. Si le marché de la consommation directe est exigeant (odeur, couleur, région d’origine), le marché professionnel des fabricants de savons et de cosmétiques l’est moins et se développe.
Dans les zones rurales et semi-urbaines, les clients des femmes productrices de beurre de karité représentent à peine 2 %. En effet, en milieu rural prédomine l’autoconsommation.
Un prix attractif sans perdre en qualité. « Au départ, à cause de la faiblesse de la production, les prix des produits n’étaient pas concurrentiels ; les clients se plaignaient de leur cherté. Il a donc fallu miser sur la qualité et faire valoir cet argument pour les convaincre. Avec l’accroissement des ventes, les prix ont été revus à la baisse, sans toutefois perdre en qualité, ce qui a ouvert davantage de débouchés. La stratégie de prix développée a été favorable à notre expansion sur le marché local. »
Comment réduire les prix ? « La planification des approvisionnements permet de gagner des marges importantes qui se répercutent sur les prix des produits ; l’achat des intrants en gros est un avantage considérable et évite les ruptures de stocks ou des prix très élevés. »
Une gamme de produits en constante diversification et adaptée à la demande des consommateurs. « Notre option a été de miser sur l’innovation. De trois savons proposés au début de l’activité (miel, henné et argile rouge), nous proposons aujourd’hui une vingtaine de produits (savons de toilette, pommades, crèmes aux parfums divers : Aloe Vera, huile d’olive, citron, carotte) ».
GDS : Comment assurez-vous l’approvisionnement en beurre ou amandes, en lien avec les femmes de l’association ?
MK : Au départ, nous nous approvisionnions auprès de 3 groupements villageois membres de l’association. Mais avec le développement de l’activité, les quantités fournies étaient insuffisantes. C’est pourquoi depuis deux ans, nous avons signé des contrats d’achat de beurre de karité avec quatorze autres groupements villageois. Ces contrats sont aussi intéressants pour eux, parce que les prix sont ceux du marché ouagalais, supérieurs à ceux du marché villageois.
D’une association est née la marque « Takam Cosmétique ». L’activité de production de cosmétiques ayant pris de l’ampleur en 2002, Martine Kaboré créa sa marque « Takam Cosmétique » afin de se démarquer de ses concurrentes. Les produits « Takam cosmétiques » ont permis de générer en 2011 un chiffre d’affaires de 29 millions FCFA pour environ 5 tonnes de savons, et 30 000 boîtes de pommades.
Améliorer les opportunités économiques des femmes
Le Gret (Groupe de recherche et d’échanges technologiques) intervient dans la filière karité au Burkina Faso depuis plusieurs années à travers des actions de recherche-développement, notamment sur les équipements, la qualité des produits et le marché. Le projet actuellement en cours s’inscrit dans un programme plus vaste mené dans 6 pays par un consortium de 6 ONG françaises, coordonné par Enda Europe et financé par le fonds « Genre et économie, les femmes actrices de développement » du ministère français des Affaires étrangères. Il vise à permettre aux femmes de conquérir une meilleure place dans la filière, sur des marchés moins aléatoires, à travers des appuis différenciés à des organisations féminines en milieu rural et en milieu urbain. Il intègre une dimension genre dans son approche qui permet de répondre à des besoins plus spécifiques que les femmes rurales et urbaines rencontrent dans leurs activités de production et de commercialisation.
Au niveau urbain, le Gret travaille avec 5 unions de production et de transformation de beurre de karité (Uproka, Ragussi, Rimtereb Som, Buayaba et Wend Manegda) en vue d’un meilleur accès aux marchés national et sous-régional. Les interventions portent sur l’acquisition ou le renforcement des compétences commerciales, l’amélioration de la qualité et de la présentation des produits, la réalisation d’actions de prospection, de promotion et d’extension des circuits de distribution. Grâce à ces actions, les unions positionnent leurs produits sur les marchés urbains burkinabé et dakarois (Sénégal) précédemment peu explorés.
En milieu rural, le Gret appuie la diversification des activités de 5 groupements ruraux de femmes qui vendent des amandes aux unions de transformatrices pour améliorer leurs revenus sans faire concurrence aux unions. Il s’agit de les aider à accroître et améliorer la production ainsi que la commercialisation du savon de lessive en répondant aux besoins et en tenant compte du pouvoir d’achat des consommateurs ruraux. Le projet a financé des formations sur la technique de saponification à partir du beurre de karité et d’huile de coco et sur les bases de la gestion comptable et commerciale, l’acquisition de petits équipements et des actions de promotion commerciale. Par ailleurs, un plaidoyer communautaire a été réalisé dans le but de lever les inégalités de genre dans l’activité « savon » : parmi elles on compte la surcharge de travail, qui constituait un frein au développement de l’activité. La rémunération équitable de la vente du savon a également été négociée dans le cadre du théâtre forum, pour permettre aux femmes de tirer des revenus substantiels de la diversification de leurs activités dans la filière karité.
Une stratégie de distribution offensive. « Grâce à un appui logistique et technique du Gret, nous avons pu identifier une vingtaine de points de vente à Ouagadougou et Bobo Dioulasso. Pourtant, le mode de livraison (à moto) posait problème. De même, nous étions réticentes à accepter le dépôt-vente ou le paiement « à tempérament », couramment pratiqués par les commerçants, qui ne nous arrangent pas. Notre ambition aujourd’hui est de viser les grosses commandes, au Burkina et dans la sous-région. Pour la commercialisation à Ouagadougou, nous avons ouvert notre propre boutique en 200, dans le quartier Larlé, qui génère un chiffre d’affaires moyen de 300 000 FCFA par mois ».
GDS : Aujourd’hui vous êtes présente dans quasiment toutes les foires au Burkina et dans la sous-région. Quels moyens vous permettent d’avoir cette force de frappe ?
MK : Depuis le début, nous misons effectivement sur les ventes commerciales lors d’événements ponctuels. Les partenaires techniques et financiers nous ont d’ailleurs beaucoup accompagnés (financement de location de stands très chers, appui pour le transport, la logistique, etc.). C’est ainsi par exemple qu’en 2010 et 2011, le Gret nous a appuyé, ainsi que d’autres unions du Burkina, pour participer à deux foires commerciales sous-régionales (Foire internationale de l’agriculture et des ressources animales – Fiara, et Foire internationale de Dakar – Fidak). À la Fidak, nous avons réalisé un chiffre d’affaires impressionnant, jamais égalé auparavant : 12 000 000 FCFA (soit 19 556 euros). Cela nous a également permis de nouer des partenariats commerciaux avec cinq nouveaux clients. Mais ce qui nous distingue peut être des autres organisations, c’est que depuis ce premier « coup de pouce », nous sommes retournées au Sénégal plus de cinq fois et cela à nos propres frais. Aujourd’hui nous avons même ouvert une boutique de produits cosmétiques à Dakar.
Sans financement, l’investissement nécessaire aurait été difficile. Une des batailles importantes engagées par l’association fut de trouver des institutions financières prêtes à lui octroyer des crédits. Avec un premier prêt de 500 000 FCFA (762 €) contracté dans une institution de micro-finance en 2007 pour développer son activité, Martine Kaboré est aujourd’hui cliente des institutions bancaires classiques qui acceptent de lui faire des prêts de 15 millions de FCFA (22 867 €). La vision claire de son entreprenariat la démarque des autres transformatrices de beurre de karité qui en font une activité secondaire.
Une réussite basée sur une ferme volonté et sur le choix de faire de cette activité un vrai métier. Quand on lui demande « Quel est le secret de votre réussite ? » Martine Kaboré répond tout de suite : « Je me suis donnée corps et âme dans ce travail, non pas comme une occupation secondaire, mais comme un vrai métier ». C’est ce qui explique son désir de se professionnaliser, malgré un faible niveau d’éducation scolaire. « Quand beaucoup d’autres femmes dans le karité considèrent cette activité comme secondaire et attendent des « commandes de l’extérieur », nous, nous agissons à la conquête des marchés ».
Des actions de plaidoyer pour mener à bien ses projets. Le leadership de Martine Kaboré est indéniable. Elle représente le Burkina Faso au sein du bureau des Fédérations des femmes cheffes d’entreprises et femmes d’affaires de la Cedeao pour le compte de la filière karité. Son expérience pourrait servir d’exemple à beaucoup de femmes entreprenantes car elle démontre que si la volonté seule ne suffit pas, elle est la force sans laquelle tout appui extérieur est vain.
Pour tous ceux qui suivent Martine Kaboré depuis ses débuts, elle fait l’unanimité sur une chose : sa vision de conquête du marché par un investissement renouvelé de ses moyens (humains, matériels et financiers).
GDS : Quels sont vos projets pour l’avenir ?
MK : Nous avons un projet qui nous tient à cœur : la construction d’un centre de formation et de production à grande échelle de beurre de karité.
- Martine Kaboré est la Présidente de l’association Rimtereb Som (« Dieu se souvient de nous » en mooré) et initiatrice de la marque « Takam Cosmétique ».
- Martine François est Responsable de Programme au GRET
- Créée en 1994 à l’initiative d’un groupe de 17 femmes, l’Association Rimtereb Som rassemble aujourd’hui 403 membres et mène une diversité d’activités : le tissage de pagnes, la production du soumbala (condiment local), les travaux de nettoyage, etc., la principale étant la production de beurre de karité et de produits cosmétiques dérivés. En 2002, l’association a créé la marque « Takam Cosmétiques ». Rimtereb Som fait partie des 5 groupements de Ouagadougou ayant bénéficié d’un appui continu du Gret depuis 2006 notamment sur les volets « technicités d’extraction du beurre de karité » et « appui à la conquête du marché national et sous-régional ».
- Pour contacter Martine Kaboré : rimterbsom(at)yahoo.fr Tél. + 226 78 82 86 60.