Depuis quelques années, le tourisme rural semble représenter une réelle opportunité de diversification des revenus en milieu rural. Comment les paysans peuvent-ils s’intégrer dans le développement de ce tourisme ? Comment les accompagner dans cette démarche ? Un point de vue de l’organisation Agriterra.
Les organisations paysannes, les bailleurs de fonds et les gouvernements des pays en développement s’intéressent de plus en plus à la diversification des moyens de subsistance dans les zones rurales. En effet, plusieurs enquêtes au niveau mondial montrent que 30 à 45 % des revenus moyens des ménages ruraux proviennent d’activités non agricoles locales. Dans les pays du Sud comme dans les pays du Nord, le tourisme constitue souvent une part importante de ces revenus non agricoles, contribuant non seulement au développement économique mais aussi à une meilleure connaissance des richesses du milieu rural.
Lier agriculture et tourisme.
L’engagement des paysans dans le tourisme peut se faire de différentes manières. Un producteur peut, en plus de ses activités agricoles, proposer un logement ou des excursions : il se transforme alors en entrepreneur du tourisme rural. Une autre option est de vendre ses produits (fruits, légumes, produits artisanaux, etc.) au secteur touristique : les producteurs deviennent alors fournisseurs de marchandises pour le tourisme, une activité bien plus proche de leur métier d’origine.
Une des spécificités du tourisme rural est de proposer aux visiteurs une expérience personnalisée, un aperçu culturel et humain de l’environnement rural et, autant que possible, de leur permettre de participer aux activités, modes de vie et traditions des communautés locales.
Une faible participation des organisations de producteurs : plusieurs facteurs en jeu.
Le passage à des secteurs non agricoles s’accompagne souvent d’obstacles et d’inégalités, et dans de nombreux pays en développement, le rôle des organisations rurales dans le tourisme est encore peu reconnu.
La faible participation des organisations paysannes (OP : organisations de producteurs ou de femmes en zones rurales, coopératives) s’explique en partie par le fait qu’elles n’ont pas conscience des bénéfices que peut leur apporter le tourisme rural. De plus, le manque de ressources, d’expérience et de connaissance les empêche d’accéder à l’industrie du tourisme et il existe peu de capitalisation d’expériences et de documents sur des exemples réussis de coopératives touristiques. Ceci limite les OP et ceux qui les soutiennent dans leurs efforts de diversification.
Mais la faible participation des OP dans le tourisme rural n’est pas simplement due aux OP elles-mêmes. D’une manière générale, l’appui direct aux OP a longtemps été, et est encore, un aspect négligé de la coopération internationale et les acteurs du tourisme ne considéraient pas les OP comme des partenaires possibles. L’isolement géographique des producteurs et leur faible pouvoir de négociation sont aussi des facteurs explicatifs.
Pourtant, lorsque les producteurs se structurent en organisation, leur poids politique ou commercial est renforcé et ils sont plus à même de s’engager vers de nouveaux secteurs.
Les organisations de producteurs : des acteurs clés du développement du tourisme.
La reconnaissance du rôle des OP dans le développement du tourisme rural va néanmoins grandissante depuis une dizaine d’années et les OP sont quant à elles de plus en plus conscientes des opportunités qu’offre le tourisme rural. Diverses organisations de développement des Pays- Bas, comme l’agence de développement néerlandaise SNV, Icco, Agriterra et Solidaridad, facilitent, chacune selon ses propres stratégies et pratiques, la création de liens entre OP et tourisme.
Le développement du tourisme, outre qu’il peut être une source d’emplois et de revenus supplémentaires, peut également améliorer les conditions de vie dans les zones rurales, en incitant, par exemple, l’installation d’infrastructures, de sanitaires ou de réseaux d’électricité.
Bien que la participation des OP dans le développement du tourisme reste un défi, plusieurs signes encourageants plaident pour leur intégration. À travers les réseaux qu’elles ont déjà dans leurs régions, les OP rendent les zones rurales plus accessibles au tourisme, facilitent la découverte de lieux intéressants et l’identification d’entrepreneurs ruraux ; ce que ne peuvent pas faire les tour opérateurs, qui n’ont pas de tels réseaux. Travailler avec les OP devrait permettre de faire profiter l’ensemble de la communauté, plutôt que quelques producteurs individuels, des retombées positives du tourisme. En outre, cela permettrait d’assurer aux OP une meilleure stabilité financière. Enfin, les producteurs peuvent offrir aux touristes de plus en plus attirés par des expériences authentiques et insolites la découverte de leurs modes de vie, leur campagne, et leurs produits.
Agriterra et le tourisme : le point de vue d’une agri-agence en appui aux OP.
Agriterra intervient dans le tourisme rural depuis 2005, convaincue que cette activité peut participer à la diversification des sources de revenus, à la réduction de la pauvreté et au maintien des savoir-faire et héritages culturels locaux.
Dix organisations partenaires (en Amérique latine, Asie et Afrique) ont actuellement développé des projets d’agrotourisme, avec par exemple des hébergements chez l’habitant, ou encore des excursions dans les plantations de café ou de thé. Certaines accueillent déjà des touristes, d’autres sont en cours de mise en oeuvre.
Pour l’instant, Agriterra accompagne surtout les OP dans le développement des produits touristiques mais peu dans leur intégration en amont dans le secteur touristique (fourniture de marchandises aux hôtels et restaurants). Les besoins en termes d’investissements, de formation et d’éducation sont en effet bien moins importants, même si la mise en place de ce type de liens est complexe.
Le programme d’Agriterra se démarque par l’attention particulière qu’il porte aux organisations paysannes et par son approche « entrepreneuriale », que l’on retrouve à plusieurs niveaux. Premièrement, avec l’intégration, dés le départ, des acteurs du tourisme. Les tour-opérateurs peuvent ainsi participer à l’identification d’un site ou encore au développement d’un produit. Ensuite, en mettant l’accent sur le plan d’action. Troisièmement, en insistant sur le marketing, qui apparaît comme l’un des principaux défis. Enfin, lorsqu’un projet semble prometteur, les paysans concernés doivent s’y investir et adopter une attitude « entrepreneuriale », c’est-à-dire prendre en compte les conditions économiques et professionnelles pour développer des activités pertinentes et peu risquées.
Une institution de microfinance, une banque ou une agence de crédit est de préférence impliquée. Le tourisme étant en général méconnu par les paysans, des précautions importantes sont nécessaires en matière d’appui et de conseil, afin de prémunir les producteurs contre toute mauvaise expérience. Selon Agriterra, pour se lancer dans un tel projet, une OP doit faire preuve d’un réel intérêt pour le tourisme et avoir les capacités suffisantes pour le faire.
Des activités touristiques qui génèrent des revenus pour les agriculteurs.
Même si le tourisme peut contribuer au développement économique des zones rurales, il n’est pas non plus la solution miracle à la réduction de la pauvreté. Le tourisme rural semble avoir un certain potentiel de développement, mais la réussite des initiatives dépend de nombreux aspects, tels que la qualité des produits, les compétences des organisations, le marketing et la localisation géographique.
En outre, l’industrie du tourisme est de nature opportuniste, imprévisible et saisonnière ; le tourisme rural doit donc être appréhendé comme une activité complémentaire des activités agricoles pour les producteurs. Pour devenir compétitives, les OP doivent relever le défi de développer des produits commercialement viables, appropriés et respectant les standards occidentaux. Elles ont pour cela besoin d’accompagnement technique de la part de professionnels du tourisme. De plus, la formation des personnes impliquées (guides, cuisiniers, gérants de chambres d’hôtes, etc.) sur les aspects de gestion et d’accueil est cruciale, mais fait bien souvent défaut, tout comme le marketing et la promotion des initiatives touristiques.
Un autre défi est d’obtenir des informations sur le retour sur investissements, car peu d’études « coûts bénéfices » ont été faites dans ce secteur. Comme les OP sont des acteurs relativement nouveaux dans le tourisme rural, il y a encore peu de connaissances sur le sujet. L’objectif d’Agriterra est donc de contribuer à capitaliser les expériences réussies de coopération dans le tourisme par l’intégration des OP.
Bibliographie :
Ashley, C. et Maxwell, S., (2001b). Rethinking Rural Development. Development Policy Review. Vol. 19, nº 4.
Séminaire de l’OMC Rural Tourism in Europe: Experiences and Perspectives. Belgrade, 2002. Présentation de Luigi Cabrini.
Verma, S.K. Cooperatives and Tourism: An Asian Perspective. Publication of National Cooperative Union of India, 2005.
Torres, R. and Momsen, J.H., (2004). Challenges and potential for linking tourism and agriculture to achieve pro-poor tourism objectives. Progress in Development Studies. Vol. 4, Number 4.