En Afrique de l’Ouest, les habitudes alimentaires des populations sont en pleine mutation, surtout en zone urbaine. Dans la mégalopole de Dakar où le marché de la viande est en pleine explosion, on assiste depuis quelques années à un changement dans les modes de consommation des produits d’origine animale.
Sous l’effet conjuguée de l’urbanisation, de la croissance des revenus et des nouvelles attentes socioculturelles des populations, on assiste, dans les pays du Sud, à l’émergence d’une demande croissante en produits d’origine animale, concentrée surtout dans les villes. Celle-ci se caractérise à la fois par un accroissement des quantités commercialisées et par de nouvelles exigences des acheteurs en termes de qualité. Le lait et la viande sont particulièrement touchés par ces évolutions, du fait de leur statut alimentaire (la viande est un produit de luxe et le lait est ancré dans les habitudes alimentaires), et de leur importante fragilité (périssabilité, sensibilité à la chaleur). L’analyse des comportements alimentaires dans les villes d’Afrique de l’Ouest a montré une évolution de la consommation, caractérisée par la diversification des produits. La diversité ethnique et culturelle de la population urbaine, souvent d’origine rurale, est en effet propice aux changements d’habitudes alimentaires, rendus possibles par de plus grandes disponibilité et variété de produits sur les marchés.
Pour un certain nombre de produits, cette explosion de la demande a, par le passé, profité plus directement aux importations. Dans les années 90, certains auteurs dénonçaient la concurrence déloyale des importations de viande de basse qualité, subventionnée et vendue à des prix de dumping dans les villes côtières d’Afrique de l’Ouest. Les importations de viande ont en effet connu une nette progression depuis le début des années 70 jusqu’en 1987, où elles ont été marquées par une très forte hausse liée à la libéralisation. Sur le marché ouest africain, la part des produits carnés importés est ainsi passée de 25% en 1970, à 35% en 1980 puis à 46% en 1985. Les importations ont ensuite progressivement chuté suite à l’application de taxes visant la protection des filières locales, et à la méfiance des consommateurs vis-à-vis des viandes importées (« vache folle », poulet à la dioxine) : en 1987, 9% de la viande achetée au Sénégal était importée, contre 0,5% en 1998. À partir de 2000, avec l’arrivée du régime libéral au pouvoir, les importations de viande ont repris et leur part dans la consommation totale n’a cessé de croître, jusqu’à l’apparition de la grippe aviaire qui a contraint le gouvernement sénégalais à interdire les importations des viandes de volailles dès novembre 2005. Aujourd’hui, l’essentiel de la viande est produite localement (Sénégal et pays de la sous-région), les importations représentant moins de 10% de l’offre totale.
D’autres produits ont pourtant échappé à cette concurrence : c’est le cas des œufs, de la viande rouge, du poulet villageois, du lait caillé et du beurre fermier, pour lesquels la production locale est au premier plan pour l’approvisionnement des villes.
Le poulet gagne du terrain dans une offre dominée par la viande de ruminants.
L’offre de protéines animales à Dakar est dominée par les produits halieutiques. La consommation moyenne annuelle de poisson y est de 43 kg par habitant, contre 26 kg au niveau national, soit plus de trois fois la consommation en viande toutes espèces confondues (estimée à 13 kg).
Au Sénégal, les activités de la filière viande sont principalement tournées vers l’approvisionnement de Dakar, où se situe le plus grand centre d’abattage du pays. En 2008, l’offre de viande à Dakar était constituée pour près de 2⁄3 de viande de ruminants : 37% de boeuf, 27% de petits ruminants, 27% de poulet et 9% de porc. Ces dernières années, la consommation de poulet augmente régulièrement, passant de 19,5% à 27% entre 2000 et 2007, au détriment de la viande de boeuf dont la part est passée de 49% en 2000 à 37% en 2007. Comme dans la plupart des pays, la part des viandes blanches est en hausse, et au Sénégal, la population étant à 90% musulmane, c’est la consommation de volaille qui progresse.
Le porc et le poulet sont aussi les viandes les moins chères suivies du boeuf, le mouton étant la viande la plus chère. Ainsi, en juin 2009, le prix moyen du kilogramme de poulet est de 1500 FCFA, celui de boeuf de 2000 FCFA et celui de mouton de 2500 FCFA.
Les déterminants de la consommation de viande.
La consommation de viande à Dakar varie suivant des facteurs économiques (prix et revenus). En effet, la viande est un produit de luxe dont la consommation augmente avec le revenu des ménages.
Le prix relatif des différents types de viande est un critère de choix important, mais il n’explique pas tout. D’autres facteurs sont en effet susceptibles de faire basculer le choix des ménages. Par exemple, les viandes qui ont peu de pertes à la cuisson et qui peuvent être facilement partagées par un grand nombre de convives sont les plus appréciées. C’est ce qui fait que le bœuf est plus consommé actuellement que le poulet, malgré un rapport de prix défavorable. La viande de bœuf est donc celle qui convient le mieux à l’alimentation ordinaire des grandes familles dakaroises.
Quant au poulet, il est souvent perçu par les acheteurs comme étant plus cher, car il est vendu entier, et non au détail comme le boeuf. La viande de mouton, par contre, bien qu’étant perçue comme la plus savoureuse et la plus tendre, est celle qui fait le plus de pertes à la cuisson, et donc difficile à utiliser pour la nourriture ordinaire. Cependant, dans des situations particulières telles que la réception d’hôtes, les fêtes, ou le week-end, le poulet et le mouton sont souvent préférés au bœuf.
Les principales attentes des consommateurs sont d’ordre qualitatif et sanitaire. Ils souhaitent en effet avoir une viande fraîche, tendre, savoureuse avec beaucoup de chair et peu de graisse, d’origine locale (volonté de « soutenir les producteurs locaux », méfiance vis-à-vis des viandes importées), de préférence abattue selon le rite musulman, et surtout comportant le tampon du vétérinaire attestant de sa bonne qualité sanitaire. Cependant, il existe un décalage entre l’offre de détail et les attentes des consommateurs : les conditions d’hygiène dans les marchés traditionnels restent précaires et les prix pratiqués très peu différenciés (les prix des différentes viandes sont très semblables). Or, une différenciation par l’hygiène et par la pratique de la découpe moderne est possible : une partie des consommateurs semble disposée à payer plus cher une viande de qualité. Ce décalage entre les attentes des acheteurs et l’offre de détail semble lié au manque de qualification professionnelle des détaillants, et au faible pouvoir d’achat de la plupart des ménages. En effet, pour que l’investissement dans l’hygiène et la qualité soit rentable, il faut un débouché assuré, et donc un nombre important de consommateurs prêts à payer plus cher pour une viande de qualité.
Quelques éléments de dynamique de la consommation de viande à Dakar.
Le niveau de consommation de viande à Dakar est encore très bas avec à peine 13 kg/habitant/an contre une moyenne mondiale de 35 kg. Ce marché semble cependant être dans une bonne dynamique si l’on considère l’accroissement continu de la population, qui devrait entraîner, ne serait-ce que de façon mécanique, un accroissement du niveau de la demande.
Le rôle primordial des facteurs économiques dans les choix des consommateurs laisse penser que l’amélioration de la situation économique du pays (avec le relèvement des salaires des fonctionnaires, du secteur privé et de l’informel) devrait favoriser la consommation de viande. La hausse du pouvoir d’achat des ménages pourrait ainsi permettre le développement de boucheries et de pratiques de découpe modernes.
Quelques suggestions pour une augmentation de l’offre.
Une intégration sous-régionale en Afrique de l’Ouest serait souhaitable pour approvisionner Dakar en troupeaux sahéliens et ainsi renforcer le niveau de l’offre sur le marché.
L’amélioration de la production nationale devrait quant à elle porter en priorité sur les espèces à cycle court (poulet, mouton) qui semblent mieux correspondre aux attentes des consommateurs. À plus long terme, une politique de modernisation de l’élevage, tant au niveau des pratiques que des espèces exploitées, devrait être envisagée : amélioration génétique, nutrition, embouche, lutte contre les maladies.
Des systèmes de commercialisation plus efficaces pourraient aussi permettre une baisse du prix au consommateur. Cela passe par une meilleure organisation des marchés, et la mise à disposition d’informations sur les marchés, pour permettre aux producteurs de mieux défendre leurs intérêts.
Aujourd’hui, la fonction d’épargne est encore souvent assurée par l’immobilisation des troupeaux — ceux ci sont alors consommateurs d’unités fourragères, mais peu productifs. La mise en place de marchés financiers et de systèmes de financement (crédit, épargne, assurance) fonctionnels et accessibles à tous pourrait permettre d’encourager l’épargne monétaire, plutôt que l’immobilisation des troupeaux.
Satisfaire une demande croissante : un défi majeur pour l’Afrique de l’Ouest.
Dans les pays en développement, la tendance à la hausse de la demande en produits d’élevage, déterminée par une urbanisation croissante et par les changements alimentaires qui y sont associés, devrait se poursuivre au cours des prochaines décennies. Au vu des prévisions démographiques de la FAO et des évaluations disponibles sur l’évolution de la production, il faudrait déjà une augmentation de plus d’un tiers de la production sur les 15 prochaines années pour satisfaire la demande à son niveau actuel.
En Afrique de l’Ouest, le défi majeur reste de réussir à nourrir convenablement, en produits d’élevage, une population de plus en plus nombreuse, fortement urbanisée, mais relativement pauvre. Mettre en adéquation l’offre et la demande, tout en tenant compte des nouvelles exigences des consommateurs, impose d’accroître la productivité et la production des ressources animales, de moderniser les filières nationales, et d’intensifier le commerce sous-régional du bétail et des produits animaux.