IL SEMBLE que depuis les indépendances, les initiatives destinées à former des jeunes agriculteurs se sont succédées, on serait tenté de dire d’échec en échec — on parle bien ici d’agriculteurs et non des centres de formation dont l’objectif était de former des personnels d’encadrement. Certains centres de formations pour jeunes agriculteurs ont été mis en place il y a bien longtemps. Seuls les murs ont survécu à l’épreuve du temps. D’autres sont beaucoup plus récents et comptent deux à trois promotions de jeunes « apprentis ». Différentes coopérations ont développé leurs formules, souvent plus ou moins inspirées de leurs propres expériences (Israël avec ses kibboutz, la France et ses maisons familiales rurales, etc.).
Les années 80-90 : le soutien de l’État. Au cours des années 80-90, ce sont les États qui ont pris le relais et fait fleurir des centres de promotion ou de formation rurale, pour jeunes agriculteurs, pour jeunes agricultrices également ou pour couples. Les jeunes y étaient formés en un ou deux ans, en internat. Le plus souvent, l’installation post-formation avait été réfléchie et les jeunes une fois formés quittaient le centre dotés en matériel de culture attelée : un ou deux boeufs avec charrue et accessoires. Évidemment, même avec une douzaine de centres par pays, ce système n’arrivait à former qu’un nombre infime de jeunes. Mais ce n’était pas inefficace. Et de nombreux paysans aujourd’hui responsables d’organisations sont passés par ces centres.
Plans d’ajustement structurel (PAS) : l’État passe le relais. Les fameux PAS ont souvent sonné le glas de ces centres. Les nouveaux rôles de l’État, son désengagement progressif des fonctions de production, transformation, commercialisation, l’ont amené à délaisser beaucoup d’autres domaines, en particulier le conseil agricole et la formation. La mode du transfert s’est alors imposée, comme au Bénin où les unions sous-préfectorales de producteurs ont hérité des centres de promotion rurale qui formaient des jeunes agriculteurs. Mais le transfert s’est fait sans aucun moyen, à charge pour les organisations paysannes de se débrouiller pour faire fonctionner ces centres de formation. Les organisations béninoises, comme dans les départements de l’Atacora et la Donga ont essayé. Mais la crise cotonnière a réduit progressivement leurs ressources et, logiquement, leurs capacités d’assurer un fonctionnement minimum de ces centres. On retrouve, à peu de choses près, la même histoire dans d’autres pays de la sous région.
Organisations de producteurs et privés s’improvisent dans la formation, avec plus ou moins de succès. Le désengagement de l’État et son ajustement se sont accompagnés de la montée en puissance des organisations paysannes. Les programmes de formation des paysans n’ont pas été oubliés. Ils s’intitulèrent désormais « renforcement des capacités » et se sont diversifiés. Il s’agissait le plus souvent de sessions courtes sur des sujets variés : « les techniques agricoles », « l’économie », « la vie des organisations », « le lobbying », etc. Pour les jeunes en particulier, les expériences des organisations paysannes semblent timides mais elles existent. Toujours au Bénin, l’Union départementale des organisations professionnelles des éleveurs de ruminants, a, dès sa création, et à sa propre initiative, mis en place un programme de formation des fils d’éleveurs en « santé animale et conduite des troupeaux ».
On rencontre également des initiatives privées, des producteurs qui transforment leur ferme en centre de formation ou ferme école, avec des formules assez souples et intéressantes.Il s’agit en général de fermes qui sortent de l’ordinaire par certaines spéculations ou techniques. Les jeunes ne reçoivent rien. Souvent ils doivent se prendre en charge ou même payer une participation. Ils peuvent disposer d’une parcelle et donc du fruit d’une partie de leur travail. Ces exemples sont intéressants, ils s’apparentent plus au système classique d’apprentissage qu’au centre de formation habituellement envisagé. Cela peut paraître surprenant mais les jeunes restent. Certains aspects de la formation leur font dire qu’ils apprennent réellement quelque chose, même si les producteurs ne sont pas des pédagogues formés, que les cours ne font pas l’objet d’une préparation. Ils bénéficient souvent d’un assortiment basé sur des techniques modernes (association pisciculture-élevage, culture biologique, etc.), un discours novateur du paysan maître de formation, un accès — même limité — aux outils informatiques, des ouvrages de références… et un modèle de réussite, un paysan reconnu dans la région, par la recherche ou l’université. Ces initiatives restent marginales et la norme demeure la construction de nouveaux centres de formation.
La réponse des ONG et associations aux besoins en formation : innovations et continuité. Aujourd’hui ce sont surtout des ONG qui ont repris le flambeau ou des particuliers qui ont créé spécialement une association pour mettre en place un centre de formation ou une ferme école. Il y a bien entendu des nouveautés. La vision productiviste est souvent abandonnée, on évite les engrais et les produits phyto-sanitaires pour prôner l’agriculture biologique ; l’utilisation de la matière organique et des insecticides naturels est encouragée ; le coton est souvent banni au profit de la diversification des cultures vivrières. On introduit la culture en couloir, des spéculations originales (escargots, asticots, champignons), la transformation des produits et même le conseil de gestion à l’exploitation dans certains cas.
Mais ces nouvelles expériences donnent aussi une forte impression de continuité, dans les problèmes rencontrés et les erreurs commises. Les leçons du passé sont rarement tirées… On commence par une formule et quand on voit que cela ne marche pas, on essaye de rectifier, parfois aux dépens d’une promotion entière. Serait-il possible d’éviter ces balbutiements, de lancer une réflexion collective associant les différents acteurs, les praticiens des centres en priorité, de mettre en place des collaborations pour le matériel pédagogique, d’utiliser des documents et modules de formation qui existent déjà ?
C’est un enjeu pratique, qui ne résoudra pas automatiquement la question du devenir des jeunes et de leur formation, mais qui permettrait d’améliorer ce qui existe déjà et d’avoir des références partagées. Isolés, les nouveaux centres de formations le sont souvent géographiquement mais surtout par rapport à leurs collègues à l’intérieur du pays, même si certains sont appuyés par une structure du Nord. Dans plusieurs pays, une priorité apparaît : faire réfléchir ensemble ces praticiens de la formation des jeunes.