IL EST GENERALEMENT ADMIS que plus de 60 % de la population en Afrique vit dans le monde rural malgré une tendance déclarée à l’urbanisation. Il est aussi admis qu’en moyenne 70 % de la population en Afrique est âgée de moins de 35 ans. L’on en déduit alors que plus de 40 % de la population africaine est jeune et vit dans le monde rural ! Il ne serait pas exagéré, d’ailleurs, de porter ce chiffre à 50 %si l’on sait que l’on est encore jeune à 40 ans. En effet, ils sont nombreux, à cet âge, les célibataires qui n’ont pas encore trouvé le premier emploi. Ce constat prouve, à lui seul, que l’Afrique reste encore un continent rural et incroyablement jeune. Il est même à prévoir qu’elle le restera, jeune, tant que le taux de croissance de la population reste ce qu’il est. En effet, l’Afrique est sous peuplée, contrairement à une idée bien reçue, avec moins de 900 millions d’habitants sur un peu plus de 30 millions ¹ de km².
Cela dit, depuis près de 30 ans, le monde rural n’a cessé de se vider de ses jeunes. Aujourd’hui, la pauvreté structurelle en milieu rural est devenue la première cause de départ des populations vers les villes. « Nos ressources ne nous permettent plus de subsister toute l’année sans l’aide de bras extérieurs, et quand ce secours ne nous parvient pas régulièrement, nous quittons le village à sa recherche » s’exclame un patriarche. « Les hommes d’abord, ensuite les jeunes, maintenant les femmes » poursuit-il ! En effet, les systèmes de production agricole sont loin de faire la preuve de leurs performances d’antant. La faiblesse des rendements agricoles et des revenus qu’ils génèrent est sans commune mesure avec l’urgente nécessité de nourrir, soigner, éduquer, vêtir, voire aspirer à un bien être social. En Afrique de l’Ouest et particulièrement dans le Sahel, les rendements des cinq grandes cultures pluviales (mil, riz, arachide, maïs et coton) ne dépassent guère la tonne à l’hectare par an. Autrement dit, il faut un siècle pour produire 100 tonnes sur un hectare, donc 100ans pour rassembler 10 millions de FCFA !
Rapprocher des terres inaccessibles. Si les faibles revenus des ruraux sont devenus la principale cause de départ des jeunes ruraux, l’inaccessibilité à la terre reste un facteur déterminant qui détourne le choix des jeunes restés au terroir vers les métiers non agricoles. Il est évidemment paradoxal de parler d’inaccessibilité à la terre quand on sait que d’immenses étendues de terres arables non cultivées bordent les terroirs des communautés rurales, comme au Sahel, par exemple. En réalité, l’inaccessibilité relève moins d’un manque de distribution ou d’affectation des terres que de leur éloignement. En effet, les terres qui se situent à proximité immédiate du village appartiennent déjà aux anciens et parents de la frange jeune. Ces jeunes doivent alors se contenter des terres en friches situées loin du village. Ils auront déjà parcouru plusieurs kilomètres avant d’arriver dans leurs champs. Épuisés, ils doivent entamer les durs labeurs champêtres avec des outils rudimentaires qui demandent plus de la force de l’homme qu’ils ne s’appliquent à faire un travail précis et rapide. Au soir, ces jeunes reprennent le même chemin pour rentrer à la maison. Ils arrivent tous fatigués et parfois découragés quand le verdict des rendements et des récoltes arrivent.Voilà, pourquoi Mamadou, Kouakou, et Germain ont cessé de fréquenter les champs !
La solution aurait-elle été de les aider à se réveiller dans leur ferme ? Certainement que cela leur permettrait de consacrer, plutôt, l’essentiel de leur énergie à l’exploitation agricole. Mais le problème ne serait qu’à moitié résolu. Ces jeunes agriculteurs doivent toujours parcourir le même chemin du village pour tout service social, commercial… Demain, leurs enfants feront aussi le même chemin pour aller à l’école du village. Que faire alors ? Rapprocher et implanter les services dans les espaces de production. Cela exigerait, cependant, que la demande le justifie. C’est-àdire que le nombre d’exploitations agricoles atteigne une masse critique qui puisse justifier la présence sur ce nouveau terroir d’un centre de santé, d’une école, de boutiques, de services de commercialisation et de maintenance de matériels agricoles, puis de stations de conditionnement, de systèmes adéquats de transport de la production, etc.
De la nécessité d’investir dans le monde rural. Tout cela indique qu’il est urgent d’investir dans le monde rural et dans l’agriculture. Les jeunes seuls ne sauraient le faire. Il ne s’agit pas non plus de leur demander d’ arbitrer la compétition et l’allocation des ressources entre villes et campagnes d’une part, et entre l’agriculture et les autres secteurs de développement, d’autre part. En Afrique de l’Ouest, la totalité des villes, qui occupent une part moindre du territoire, consomment l’essentiel des investissements. Ce paradoxe étouffe l’économie de nos pays, d’autant que si les richesses naturelles sont équitablement réparties dans un pays, il y aura de forte chance que plus de 90% de ces richesses se trouve en milieu rural. Pourtant, c’est le monde rural dans son écrasante majorité ainsi que l’écrasante majorité des jeunes qui élisent le Président de la République ainsi que les Députés qui votent les lois et qui contrôlent l’exécutif. Ces lois « de finances » doivent logiquement servir la majorité rurale silencieuse. Une nation n’est pas constituée d’une partie du territoire encore moins par la minorité du peuple. Il est tout à fait compréhensible que les ruraux vident les pauvres campagnes quand la quasi-totalité des ressources sont investies en ville Toute la jeunesse rurale ne pourra abandonner la campagne. Son poids démographique est tellement significatif que désormais elle reste l’icône et la constante du monde rural. Comme leurs ancêtres, ces jeunes vont-ils assurer la pérennité des sociétés rurales et tout ce qui dépend d’elles ? Moins que la question de leur maintien dans des terroirs pauvres et sans espoir, il est urgent de leur proposer un espace rural dans lequel ils peuvent dignement contribuer à la croissance économique et au développement social de leur pays. Pour cela, il faut reconnaître qu’ils sont à l’étroit dans leurs terroirs, qu’ils ne peuvent plus attendre le temps de l’héritage pour s’approprier les terres de leurs parents. L’heure de la création de nouveaux pôles de production et service en milieu rural a sonné. Le monde rural ne doit pas aller en ville, c’est ramer à contre courant. Plutôt les villages doivent s’agrandir et évoluer en petite ville. Des villes de production et de services dans les secteurs de l’agriculture (élevage, horticulture, aquaculture, foresterie etc.) au départ, et ensuite dans les secteurs de l’industrie de la transformation et des services associés. C’est ainsi que peu à peu, l’éducation, la recherche et la veille technologique vont s’infiltrer dans le tissu socio-économique rural pour en assurer une durabilité.
Le débat modernité contre tradition ne nourrit pas le paysan ou l’agriculteur, encore moins retiendra-t-il le jeune candidat à l’émigration. Tout système de production moderne est appelé demain à être traditionnel, quand il sera dépassé. Ainsi en a décrété le progrès ! Toutefois, pour anticiper, choisir et bâtir le meilleur futur pour le monde rural et sa jeunesse, osons moderniser l’agriculture africaine ! La société rurale agricole ne disparaîtra pas, malgré l’urbanisation galopante et les prévisions alarmistes. La raison doit vite intervenir, pour transformer les terroirs ruraux en véritables pôles de développement. Maintenant, avec des taux de scolarisation de l’enseignement élémentaire de plus de 80 % des systèmes de communication (routes, Tic ², télévision, radio etc.), les ruraux auront bientôt fini leur processus de mutation. La jeunesse, qu’elle soit rurale ou urbaine, homme ou femme, piaffe d’impatience ! Elle est prête… Mais, l’agriculture est une science et une technique après tout. Elle va exiger une formation et une maîtrise de ses normes et standards. Cela n’est pas hors de portée du plus petit agriculteur ou paysan, si la volonté politique ne fait pas défaut.