LES TROUBLES SOCIO-POLITIQUES et les conflits armés qui ont déchiré le Congo tout au long des années 90 n’ont pas permis aux OP de s’organiser. Depuis 2002, date à laquelle la République du Congo a organisé des élections présidentielles et législatives, la paix est de retour. Soulagés, les observateurs estiment que cela permet aux organisations paysannes (OP), qui n’arrivaient pas à s’organiser, de repartir de bon pied.
À l’origine : des organisations « politiques ». C’est après l’indépendance congolaise, en 1960, que l’on voit apparaître les premières OP. Mais elles ne se développent véritablement que plus tard, dans les années 70, sous la houlette du Parti congolais du travail (PCT), alors parti unique, à orientation socialiste. Construites un peu à l’image des kolkhozes et sovkhozes de l’ex-URSS, ces organisations appelées alors « mouvements pré-coopératifs » fonctionnent autour de deux projets pilotes : le Projet de développement rural (PDR ) qui travaille dans la région du Pool, au sud du Congo, et dans les Plateaux, au nord et le projet « Radio rurale » qui a pour but la promotion des activités de ces OP. Inféodées au parti politique, ces organisations n’avaient pas d’impact économique ni de motivation de rentabilité et de durabilité. Pour sa part, l’organisation américaine Care- Congo, elle, travaillait avec les OP de la Lekoumou, au sud-ouest du pays. Se regrouper était le seul moyen d’obtenir des crédits qui, malheureusement, ne leur parvenaient pas directement. En outre, ces OP n’avaient pas d’idée de développement véritable, mais servaient plutôt à la propagande du parti.
Les OP apparaissent progressivement, autour de quelques projets structurés… Avec la révolution démocratique de 1990, on assista à la naissance d’un autre type d’OP, animées d’une volonté de résoudre les problèmes de la communauté locale. Il s’agissait déjà d’embryons d’organisations responsables, avec des projets, capables de se prendre en charge.
C’est ainsi que, pour canaliser les énergies novatrices d‘OP qui « pensaient différemment », Agricongo, centre de recherches et d’appui aux initiatives agricoles, avait mis en place tant dans la capitale qu’à Pointe-Noire, capitale économique du Congo à 510 km au sud de Brazzaville, des projets de Centres de ceinture maraîchère pour la formation des agriculteurs.
De son côté, le Forum des jeunes entreprises du Congo (FJEC), structure d’appui à l’insertion économique par l’initiative, avait installé des centres ruraux de ressources professionnelles (CRRP) pour promouvoir des unions professionnelles de paysans dans la région du Pool. Beaucoup de groupements de paysans dynamiques et pauvres bénéficient, aujourd’hui encore, d’une prise en charge à travers des financements extérieurs gérés en général par le FJEC. Cette structure suit au total une cinquantaine d’OP qui regroupent 10 à 12 personnes.
Parmi les problèmes qui minent les OP congolaises, en dépit de quelques efforts faits pour leur formation (gestion des fonds, identification de projets, stratégie de commercialisation, etc.), il y a celui de l’approvisionnement en intrants. « C’est même la plaque tournante du suivi de l’agriculture au Congo », explique Rigobert Belantsi, ingénieur agronome, conseiller d’appui au développement rural, au sein du Forum des jeunes entreprises du Congo. « Les intrants sont chers. Il faut les importer. On demande toujours à ces OP de se regrouper pour les importer à moindre coût », ajoute-t-il.
Foncier, microfinance, commercialisation : les préoccupations sont les mêmes pour les paysans d’Afrique centrale que pour ceux d’Afrique de l’Ouest… Aujourd’hui, quelques organisations montrent des signes de progrès novateurs. C’est le cas de l’Union paysanne du district de Louomo, à 45 km au sud de Brazzaville. Depuis 2005, elle a mis en place une Caisse villageoise d’épargne et de crédit (CVEC) qui finance des activités variées : agriculture, commerce, élevage, transformation des produits agricoles, etc. Cette caisse qui compte aujourd’hui 150 adhérents octroie déjà des crédits à hauteur de 100 à 200 000 FCFA. L’initiative a fait des émules à Odziba et à Makotipoko, dans la région des Plateaux où de nombreux paysans ne comptent plus sur les aides extérieures pour se faire financer. Cette idée est arrivée à point nommé, car il n’existait pas au Congo, de banque capable d’octroyer des crédits agricoles aux paysans. Dans les années 60, la Banque nationale de développement du Congo (BNDC) avait été créée avec pour but de gérer et d’octroyer des crédits agricoles. « Malheureusement, elle s’est révélée comme une structure qui escroquait les paysans. Conséquences : la banque s’est écroulée », se souvient un ancien client ruiné. Dans les années 80, une autre banque a vu le jour avec l’appui de l’organisme allemand GTZ : le Crédit rural. Comme la première, celle-ci n’a pas pu jouer son rôle. Au bout du compte, elle a fini par être transformée en banque classique, pour fermer ses portes en 2005.
L’autre facteur déterminant qui limite les actions des OP au Congo est le problème foncier. Il est plus saillant dans la région du Pool où les OP sont un peu plus actives. Aucun centimètre carré de terre n’y est gratuit. Cependant, un début de solution a été amorcé à Pointe-Noire. Le FJEC y a financé l’acquisition des domaines pour l’exploitation agricole.
Enfin, un des projets qui pointent à l’horizon est la création par le FJEC, d’un observatoire économique. Un instrument de transport et de commercialisation des produits agricoles tant réclamé par les OP congolaises. En effet, depuis la fermeture, dans les années 80, des organismes d’État chargés de la commercialisation des produits agricoles, les paysans congolais éprouvent d’énormes difficultés pour écouler leurs productions vers les grands centres de consommation. Cet observatoire permettra aux OP d’avoir des coûts de commercialisation raisonnables. Et d’éviter l’inflation.
Une structuration délicate. À la différence des autres pays, surtout d’Afrique de l’Ouest, au Congo les OP ne sont pas encore réunies autour d’une fédération. Le projet est en cours. Le FJEC, qui compte le réaliser va s’appuyer sur ses Centres ruraux de ressources professionnels avec la collaboration de quelques ministères pour regrouper toutes les OP dans une seule organisation, une sorte de syndicat.
Mais, un obstacle risque de surgir pour certaines d’entre elles, dans la mesure où toutes les organisations paysannes ont du mal à se faire connaître au niveau des instances publiques. Une confusion règne : les mouvements coopératifs se font enregistrer au niveau du ministère de l’Agriculture et les associations au ministère de l’Administration du territoire. Ainsi, ces organisations qui ont pourtant le même but n’ont pas les mêmes statuts. L’on craint aussi que ces OP qui veulent s’organiser pour défendre les intérêts du monde rural soient récupérées par les politiques d’autant plus qu’elles représentent déjà un poids social important.