Dans un effort commun et à long terme de lutte contre les changements climatiques, la communauté internationale a adopté deux accords clés. (1) La Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), adoptée lors du Sommet de la Terre à Rio en 1992, est entrée en vigueur le 21 mars 2004. Ratifiée par 194 pays, elle reconnaît l’existence du changement climatique d’origine humaine et impose que les pays industrialisés soient en premier lieu responsabilisés pour lutter contre ce phénomène. (2) Le Protocole de Kyoto, conclu en 1997 et ratifié par 184 pays, est entré en vigueur le 16 février 2005. Il fixe des objectifs chiffrés légalement contraignants de réduction d’émissions de gaz à effet de serre (GES) pour 30 pays industrialisés. Les pays industrialisés sont ainsi engagés à réduire entre 2008 et 2012 leurs émissions de GES de 5,2 % en moyenne par rapport aux niveaux de 1990. À cette fin, ils peuvent diminuer les émissions sur leur territoire national, échanger leurs quotas d’émissions au moyen de mécanismes de plafonnement ou acheter des crédits de réduction des émissions provenant de projets mis en place dans les pays en développement au titre du mécanisme pour un développement propre (MDP), ou dans les pays en transition au titre du mécanisme de mise en oeuvre conjointe (MOC). Les échanges des quotas d’émissions de GES ou de crédits B représentant des émissions évitées se font sur les marchés du carbone. Il en existe de deux types : d’une part le marché réglementé, né du Protocole de Kyoto, qui concerne les entreprises fortement émettrices de GES, et dont le MDP est un mécanisme permettant l’achat de crédits carbone ; d’autre part le marché volontaire qui concerne plus particulièrement les entreprises du tertiaire et les particuliers.
Le MDP, un mécanisme de financement qui touche aux relations Nord/Sud. Le principe du MDP est le suivant : un État ou une entreprise d’un pays développé ou en transition, investit dans un projet de réduction des émissions de GES dans un pays en développement. En échange des réductions constatées, un volume équivalent d’unités de réduction certifiée des émissions (URCE, équivalant à 1 tonne d’équivalent CO²) lui est délivré. Cet investisseur pourra vendre ces unités communément appelées « crédits carbone » ou les déduire de ses obligations internationales de réduction. Le MDP est donc un mécanisme de marché basé sur la réalisation de projets. Le succès du MDP repose en bonne partie sur la capacité des pays hôtes à attirer l’investissement dans des projets et sur la capacité des promoteurs et des investisseurs à développer, financer, mettre en œuvre et gérer des projets. Les secteurs concernés par les MDP sont l’énergie, le traitement des déchets, l’industrie, le secteur résidentiel et tertiaire, les transports, l’agriculture et le secteur forestier. Les activités du secteur de l’utilisation des terres, du changement d’affectation des terres et de la foresterie (UCATF) éligibles au MDP sont limitées aux actions de boisement et reboisement (B/R).
Tableau: Comparaison des deux marchés de la compensation carbone
Marchés volontaires et Fonds Biocarbone : des opportunités pour financer les activités liées à l’agriculture et la foresterie. Parallèlement au marché du carbone réglementé, le marché volontaire est un marché libre qui n’entre pas dans le cadre du Protocole de Kyoto et n’est donc pas standardisé. La compensation volontaire des émissions de carbone permet d’obtenir des crédits de réductions d’émissions vérifiées (URVE) qui n’ont pas la valeur marchande des URCE car ils ne sont pas échangeables sur les bourses du carbone. Ils possèdent néanmoins une valeur marketing non négligeable car ils permettent aux entreprises d’affirmer leur engagement volontaire dans la lutte contre le réchauffement climatique. Alors que l’accès au marché réglementé, notamment au MDP, nécessite des procédures lourdes et a un coût important, les procédures du marché volontaire sont plus rapides, moins coûteuses et moins contraignantes. Ce mécanisme est donc une adaptation simplifiée, et sur une base volontaire, des mécanismes de flexibilité prévus par le protocole de Kyoto comme le MDP. Bien que ce marché volontaire ne soit pas réglementé, certains standards (comme par exemple le Voluntary Carbon Standard) ont été élaborés afin d’assurer une réduction d’émission de GES réelle et vérifiable.
Ces projets volontaires, non soumis au cadre méthodologique de Kyoto, sont souvent plus petits et à forte dominante sociale. Ils concernent le plus souvent le secteur forestier et le secteur des énergies renouvelables. Le marché de la compensation volontaire est ainsi plus adapté pour beaucoup de projets africains, notamment dans les domaines de l’UCATF, l’énergie et la bioénergie.
Mis en place en 2004 et administré par la Banque mondiale, le Fonds Biocarbone, est alimenté par des fonds publics (gouvernements) et privés (entreprises privées). Ces fonds permettent d’acheter le carbone séquestré ou conservé — sous forme de réductions d’émissions (RE) — par des projets de piégeage du carbone dans les forêts, les sols agricoles et d’autres écosystèmes. Ce Fonds peut par la suite mettre en vente ces RE sur le marché du carbone, tout en favorisant la préservation de la biodiversité et le recul de la pauvreté. Focalisé sur le carbone biologique, ou ce que l’on appelle « puits de carbone », ce fonds donne accès au marché du carbone aux pays en développement qui n’auraient sans lui que peu de possibilités de participer au MDP.
Le Fonds Biocarbone consiste en deux volets: le premier achète des RE qui pourraient être prises en compte aux termes du Protocole de Kyoto. Or dans le MDP, ces RE sont limitées à des activités de boisement/reboisement (B/R). Cela concerne donc des projets dans les domaines tels que le reboisement, l’agroforesterie comme par exemple la culture de café sous ombrage avec plantation de cultures associées, ou encore la plantation d’arbres pour la restauration d’espaces naturels ou pour la production de bois d’oeuvre et de bois de feu. Un second volet explore les possibilités de générer des RE qui, même s’ils remplissent les objectifs du Fonds Biocarbone, ne sont pas issus d’activités dans le domaine du B/R et ne sont donc pas propres à générer des crédits éligibles aux termes du Protocole de Kyoto. Ces projets génèrent des RE qui pourraient néanmoins être prises en compte dans divers programmes émergents de gestion du carbone, notamment sur les marchés volontaires. Cela concerne par exemple des projets de restauration de forêts dégradées, de réhabilitation de pâturages en zone sèche, de rétention de carbone dans la végétation naturelle, etc.
Vers un essor des marchés du carbone en Afrique ? Aujourd’hui, la Chine occupe le premier rang mondial en offre de MDP, avec 84 % de part de marché, suivie par le Brésil et l’Inde, avec 4 % chacun. L’Afrique ne progresse pas au même rythme, le taux s’élevant à 2 % de part de marché, soit seulement 112 sur 4 734 projets MDP. De la même façon, seul 1 % des transactions du marché volontaire du carbone provient d’Afrique. Il est frappant de noter que la part de l’Afrique dans le marché volontaire, qui était de 5,2 % en 2006, a fortement baissé alors que d’autres pays ont augmenté leur offre de crédits volontaires.
Si le secteur de l’UCATF offre le plus important gisement potentiel de financements carbone dans la plupart des pays d’Afrique, il n’est néanmoins pas éligible au MDP ce qui pénalise largement la grande majorité des pays africains. De plus, ce secteur est aujourd’hui sous-représenté en partie du fait de la complexité de la méthodologie à appliquer pour les projets d’UCATF : il est par exemple nécessaire de comptabiliser la quantité de carbone séquestrée à T=0 du projet, et son évolution. Certains outils de modélisation existent et ont été testés sur le terrain, comme par exemple le Modèle Century qui permet de quantifier le CO² qui est effectivement retiré de l’atmosphère pour être emmagasiné dans les sols. Cependant des progrès restent à faire. Ces questions méthodologiques doivent être réévaluées et complétées selon les activités de l’UCATF dans le contexte actuel des négociations de l’accord post 2012 déjà bien entamées à Copenhague. Alors que l’outil lié à la réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts (REDD+) et/ ou du reboisement est mentionné dans l’accord de Copenhague, l’UCATF n’y est pas intégré et reste un des enjeux clés à débattre dans l’agenda des négociations sur les changements climatiques.
Utilisation des terres, changement d’affectation des terres et foresterie
Les clauses de la Convention cadre des Nations unies pour les changements climatiques stipulent la nécessité d’appliquer des politiques qui « couvrent toutes les sources, puits et réservoirs de gaz à effet de serre (GES) ». Ainsi, la convention traite de 5 secteurs considérés comme des sources d’émissions anthropiques : les processus industriels, l’énergie, l’agriculture, les déchets et « l’utilisation des terres, changement d’affectation des terres et foresterie » (UCTAF). Le secteur UCATF concerne d’une part les activités de boisement, déboisement, reboisement, mais aussi les activités de changement d’affectation des terres impliquant des terres agricoles, comme par exemple les pratiques de défriches brûlis ou le drainage d’une zone humide et sa transformation en champ cultivé. Ce secteur est particulier car il peut dans certains cas provoquer des émissions de COc quand il correspond par exemple à la mise en culture de forêts ou de prairies ; dans d’autres cas en revanche, il permet le stockage du carbone, par exemple lors de déprise agricole ou de reforestation. Il peut donc avoir un effet positif ou négatif sur les émissions de GES. Les activités de l’UCATF touchent plusieurs secteurs économiques et de développement. Elles ne sont donc pas seulement intéressantes du point de vue des changements climatiques, mais concernent aussi d’autres domaines qui comprennent la sécurité alimentaire, la production d’énergie et la production de bois.