Le Code rural du Niger constitue une expérience novatrice de mise en place d’outils de gestion du foncier et des ressources naturelles en Afrique de l’Ouest. Il se structure autour de commissions foncières à différents échelons, qui constituent des cadres uniques de concertation et de prise de décisions.
Le Code rural du Niger est né d’une réflexion sur la question foncière engagée dès les années 80, à travers plusieurs séminaires nationaux, notamment sur les stratégies d’intervention en milieu rural (Zinder, 1982), sur la désertification (Maradi, 1984) et sur l’élevage (Tahoua, 1985). Ces rencontres ont permis de mettre en évidence les problèmes du Niger dans les domaines du foncier et de la gestion des ressources naturelles, à savoir : la raréfaction des superficies cultivables, l’appauvrissement du capital terre, la remontée des cultures vers les terres pastorales du nord, la diminution des espaces pastoraux, ainsi qu’une insécurité foncière et un risque de conflit foncier généralisés.
Dans la suite de cette démarche, les autorités nigériennes mettent en place un comité interministériel ad hoc chargé de poser les principes d’une politique foncière ambitieuse pour les zones rurales, et de préparer l’élaboration d’un Code rural. Un comité national du Code rural voit le jour en 1989, et une ordonnance cadre portant principes d’orientation du Code rural est adoptée en mars 1993.
Cette ordonnance est le texte fondamental et structurant du Code rural du Niger. Elle pose les bases de la politique foncière rurale souhaitée par les populations et les autorités nigériennes. Elle présente le Code rural comme un instrument visant à définir le statut des terres et à servir de cadre juridique pour une gestion d’ensemble de toutes les composantes de l’espace rural : terres, ressources végétales et animales et ressources en eaux. Elle présente aussi le processus de reconnaissance des droits et devoirs fonciers des populations rurales, ainsi que les rôles et fonctions de chaque niveau territorial. Elle est complétée par d’autres textes juridiques pour ensemble constituer le Code rural. On y retrouve ainsi les mesures relatives au régime de l’eau, au statut de la chefferie traditionnelle, aux coopératives rurales, à la gestion de l’environnement, au régime forestier, au statut des terroirs d’attache des pasteurs, à la mise en valeur des ressources naturelles, etc.
Un dispositif institutionnel largement décentralisé. Le Code rural du Niger s’appuie sur une organisation institutionnelle claire et hiérarchisée, adaptée au processus de décentralisation engagé par le pays depuis 2006. Ainsi, à chaque niveau de l’organisation administrative du Niger correspond aujourd’hui une structure du Code rural. Au niveau national, le Comité national, composé de tous les ministres ayant une fonction liée à la thématique foncière, assure le pilotage de la politique foncière. Il est appuyé par un secrétariat permanent, composé de cadres nationaux. Au niveau des régions, des secrétariats permanents ont été mis en place depuis 2006. Ils sont composés de directeurs techniques régionaux ayant un rapport avec le développement rural. Dans chaque région, l’un de ces cadres est désigné pour être secrétaire permanent et assurer le suivi et la coordination des activités des commissions foncières de la région.
L’une des innovations majeures du Code rural est la création de commissions foncières, véritables chevilles ouvrières de l’ensemble du dispositif aux niveaux départemental, communal et villageois. Elles sont composées de représentants des opérateurs ruraux, de la société civile, de femmes, de jeunes, de cadres techniques et d’autorités administratives et coutumières. Elles constituent un cadre unique de concertation, de réflexion et de prise de décisions en matière de gestion des ressources naturelles et de prévention des conflits. La commission foncière de chaque village délivre des attestations écrites de détention coutumière, de vente et de donation, et formalise les contrats de location, de prêt et de gage coutumier ; ces actes ont valeur de preuve écrite pour sécuriser les opérateurs ruraux et servir de témoignage en cas de conflit devant les tribunaux. La commission foncière a également pour mission d’identifier et de délimiter les espaces pastoraux (aires de pâturage, couloirs de passage).
Depuis une dizaine d’années, la mise en place des institutions du Code rural s’est remarquablement accélérée. Au cours des années 90, la plupart des commissions foncières ont été mises en place dans le cadre d’opérations pilotes. Puis, avec la décentralisation dans les années 2000, le développement institutionnel du Code rural a pris une nouvelle dimension. Des secrétariats permanents régionaux et des commissions foncières départementales ont été mises en place sur les 8régions et 36départements du Niger, et au niveau communal 200 communes sur 266 sont aujourd’hui dotées d’une commission foncière communale (Cofocom). Les Cofocom jouent un rôle important, car elles agissent en collaboration avec les conseils municipaux sur toutes les questions foncières. Elles interviennent aussi comme un organe technique participatif et spécialisé apportant une expertise à l’action du Conseil municipal. Enfin, au niveau village ou terroir, il existe à ce jour environ 3000 commissions foncières de base (Cofob), dont le rôle est de réaliser les actes de sécurisation foncière et de renforcer la gouvernance locale en matière de gestion des ressources naturelles. Le parachèvement du dispositif institutionnel de base s’accélèrera avec l’effectivité de la décentralisation.
Des relations parfois difficiles entre commissions foncières et autorités coutumières. La relation entre commissions foncières et chefferie traditionnelle constitue la principale difficulté rencontrée dans le processus du Code rural. Historiquement, au Niger, la chefferie assurait la gestion du foncier et la distribution des terres. Avec la mise en place du dispositif et des règles du Code rural, le pouvoir de la chefferie a diminué, en vue de favoriser une transparence et une collégialité dans la prise de décision. De nombreux chefs locaux ont perçu la mise en place du Code rural comme une volonté de l’État de restreindre leur pouvoir local, ce qui a entraîné dans certains endroits des difficultés dans la mise en oeuvre du processus. Cela n’est toutefois pas généralisé et de nombreux chefs voient également à travers le Code rural la possibilité d’être épaulés dans la prévention des conflits et la gestion durable des ressources naturelles.
Il existe également des difficultés dans le fonctionnement institutionnel des structures du Code rural : les effectifs sont parfois insuffisants, notamment au niveau des secrétariats permanents, ou insuffisamment formés pour remplir leurs différentes missions. L’aspect financier est aussi un enjeu important et l’appui des différents partenaires techniques et financiers reste essentiel au bon déroulement du processus. Le respect de la collégialité dans le fonctionnement des institutions du Code rural est également fondamental. Enfin, sur le plan juridique, plusieurs textes d’application n’ont toujours pas été adoptés à ce jour, rendant difficile la mise en oeuvre de certains textes législatifs. De plus, dans le contexte de décentralisation naissant du pays, certains textes régissant la gestion foncière et le fonctionnement des collectivités territoriales peuvent aujourd’hui apparaître incohérents.
Un processus participatif à consolider. Le Code rural du Niger est aujourd’hui dans une phase de consolidation. Le renforcement des capacités des structures mises en place doit se poursuivre, notamment par l’organisation de séances de formation sur les principes fondamentaux et la vulgarisation des textes. L’un des points forts du processus est de créer, à travers les commissions foncières, des espaces de parole et de décision transparente au niveau local sur les questions foncières, associant la chefferie coutumière. Les populations s’approprient la gestion foncière locale et trouvent par elles-mêmes des solutions à leurs problèmes fonciers. Les commissions foncières sont un espace démocratique et d’action très pertinent. Elles arrivent ainsi à réduire les risques de conflits d’une manière efficace. Le Code rural devra veiller à renforcer leur caractère participatif et collégial.
La Cofob de Kouré
Le village de Kouré, à une soixantaine de kilomètres de Niamey, est connu pour avoir une faune importante de girafes en liberté, ce qui n’est pas sans poser parfois des problèmes aux agriculteurs. La Commission foncière de base (Cofob) de Kouré a été mise en place en 2005. Elle a tenu différentes séances de sensibilisation et d’information sur le Code rural auprès des populations des villages qui lui sont rattachés. Pour sécuriser les champs des particuliers et leurs relations avec les girafes, une vingtaine d’actes (vente, gage coutumier, détention coutumière, donation) a été délivrée, après enquête, pour une somme allant de 2500 à 3000 FCFA. Dans le cadre de la sécurisation des ressources partagées du village, notamment le plateau de Kouré qui constitue une aire importante de pâturage et une zone de séjour pour les animaux domestiques (bovins, caprins) et sauvages (girafes) pendant l’hivernage, la Cofob a effectué plusieurs missions de contrôle au cours de la période 2005-2009. Cela a consisté principalement à vérifier que la vocation pastorale de cet espace était bien respectée, et que des champs n’avaient pas été mis en place sur cette zone réservée à l’élevage.