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Ceci est un article de la publication "49 : Agriculture et aléas climatiques : du terrain aux politiques", publiée le 31 mars 2010.

Quelle place pour les agricultures paysannes dans la lutte contre le changement climatique ? (supplément)

Pierril Lacroix/Frédéric Apollin

Changement climatiqueAgriculture familiale

Alors que les agricultures paysannes sont accusées de dégrader l’environnement, leur potentiel en matière d’adaptation et de lutte contre les changements climatiques demeure important. Quel rôle pour les agricultures familiales de demain, promotrices de systèmes de production « écologiquement intensifs » ?

A l’iniquité du développement, s’ajoute aujourd’hui l’inégalité de situation devant un changement climatique avéré dont les populations paysannes du Sud sont parmi les premières victimes. Elles dépendent en effet directement des ressources naturelles pour le maintien de leur activité économique. Leur capacité à résister aux accidents climatiques (pluies érosives, sécheresse, incendies, etc.) décroît de façon exponentielle, en liaison avec la croissance démographique des hommes et des troupeaux de ruminants. Parallèlement, alors que l’agriculture et la déforestation contribuent pour plus de 30% des émissions de gaz à effet de serre (GES), une nouvelle approche du développement agricole et de l’utilisation des ressources naturelles concernant les usages du sol et le stockage du carbone ou les limitations d’émissions en agriculture irriguée ou en élevage devient un enjeu majeur pour la lutte contre le changement climatique.

Quelle place pour les agricultures paysannes dans la lutte contre le changement climatique ?
Outre leur supposée « faible productivité » au Sud, les agricultures paysannes sont souvent accusées de dégrader les ressources naturelles : feux de brousse, défrichements et mise en culture de terres abruptes, coupe de bois et utilisation du charbon, etc. Mais cette dégradation survient le plus souvent lorsque des populations sont placées dans des situations extrêmes de crise ou se retrouvent isolées géographiquement ou politiquement. A l’inverse, lorsque des services et des politiques de soutien adaptés sont mis en place, les agricultures paysannes ont démontré qu’elles sont porteuses d’innovations pour s’adapter et se protéger des impacts du changement climatique sur leurs territoires . L’agriculture paysanne, en interaction permanente avec le milieu et l’environnement, a par nature une grande capacité d’adaptation. Par la connaissance historique qu’elles ont de leurs milieux, parfois avec l’appui d’organismes de recherche et de développement, les agricultures paysannes ont mis en place des systèmes de production et développé des pratiques dont certaines apparaissent aujourd’hui comme des opportunités pour répondre aux enjeux de l’adaptation : maintien de systèmes de culture diversifiés, association de cultures et systèmes de couverture végétale permanente, conservation de races, d’espèces et variétés anciennes adaptées aux milieux, conservation de semences, récupération et valorisation de la fumure organique animale, récupération de sols dégradés, techniques simples de stockage et collecte d’eau, mobilité de l’élevage, etc. Les agricultures paysannes sont également en mesure de contribuer de manière significative à la réduction des émissions de gaz à effet de serre et à la séquestration de carbone : système de culture sans labour, maintien de couvert végétal permanent, protection et restauration de la matière organique dans les sols dégradés de culture ou de pâturage, agriculture raisonnée et faible consommation d’intrants chimiques, conduite d’élevage générant peu d’émissions, systèmes agroforestiers, mise en œuvre traditionnelle de pratiques dites « agroécologiques », etc.

Les agricultures paysannes : promotrices des systèmes de production « écologiquement intensifs » ?
Dans un environnement favorable (accès aux services d’appui et à des prix rémunérateurs, accès à la terre etc.), la diffusion de modes de production « écologiquement intensifs”, dont les agricultures paysannes sont les premiers promoteurs, pourrait ainsi répondre au double défi de l’adaptation au changement climatique et d’atteinte de niveaux de production permettant de satisfaire des besoins alimentaires croissants. Ces nouvelles formes de production devraient en particulier mieux prendre en compte la complémentarité agriculture-élevage : ressources fourragères, fumiers et composts, traction animale, etc. Sans nier l’utilité des engrais et autres intrants pour l’amélioration de la productivité, il s’agit de promouvoir des agricultures qui utilisent mieux et plus intensivement la biodiversité et les fonctionnalités naturelles des écosystèmes, pour intensifier la production et limiter les changements d’usage du sol (déforestation, etc.). Or, par leurs pratiques historiques, les agricultures paysannes sont à même de répondre à ces enjeux. Mais il s’agit alors de reconnaître et consolider ces innovations paysannes et de créer les conditions de leur large diffusion. Il est important que soit reconnue la capacité des agricultures paysannes à devenir de vrais acteurs de la lutte contre le changement climatique, tant pour s’adapter à ses conséquences que pour contribuer à limiter le réchauffement. Leur rôle fondamental et indissociable sur le développement des territoires ruraux en matière de production alimentaire, de création d’emplois et de gestion durable des ressources est aussi essentiel. Cela implique d’appuyer les agricultures paysannes pour financer leur adaptation et la diffusion large de leurs pratiques, mais également de les rétribuer pour leur participation à la séquestration de carbone ou la limitation d’émission de GES au niveau de leur territoire. Les mécanismes du développement propre et des marchés du carbone, le mécénat environnemental d’entreprises et de fondations, mais aussi les financements innovants publics et privés, devraient également pouvoir bénéficier directement aux communautés et organisations paysannes. Enfin, il est fondamental que les organisations paysannes et de la société civile participent pleinement à la gouvernance des fonds et des nouveaux mécanismes de lutte contre le changement climatique qui sont difficilement discutés aux niveaux national et international.

AVSF soutient les initiatives paysannes de lutte contre les changements climatiques
Depuis 2008, AVSF a développé sa coopération en ce sens en appui aux communautés paysannes. Les actions pilotes engagées au Pérou et en Haïti veulent rendre visibles certaines de ces innovations et le rôle que peuvent jouer des agricultures paysannes dans la lutte contre le changement climatique. Elles veulent également démontrer qu’il est possible et nécessaire de combiner les défis de la protection de l’environnement et de l’atténuation des émissions de GES, avec la lutte contre la pauvreté, le défi alimentaire et les intérêts économiques des familles paysannes en situation marginale.
Par ailleurs, au Pérou, AVSF initie avec les petits producteurs différentes propositions de reforestation paysanne et captation de carbone tant sous forme d’agroforesterie que de reforestation pure, notamment dans les montagnes des régions de Piura, Huancavelica et dans le bassin amazonien du centre du pays. Ces premières références de terrain seront étendues en 2010 aux domaines de la déforestation évitée mais aussi de la promotion de systèmes d’élevage en zone sahélienne incorporant les dimensions d’adaptation et de compensation carbone (méthanisation, revégétalisation…).

En partenariat avec ses partenaires locaux, AVSF a initié notamment depuis 2008 une action de reforestation en Haïti via l’enrichissement de systèmes agroforestiers paysans contribuant directement à la séquestration de carbone. En Haïti, le bassin-versant de la rivière Fond-Melon, comme beaucoup de bassins dans le pays, a souffert de processus accélérés de déforestation : au cours des vingt dernières années, les familles paysannes se sont vues contraintes de pratiquer une coupe permanente de bois pour la fabrication et la vente de charbon, en raison de la situation d’extrême pauvreté dans laquelle elles se trouvent. Cette dégradation a des conséquences dramatiques : éboulements de terrain et pertes humaines lors de fortes pluies et passage de cyclones, destruction de zones cultivées et d’infrastructures d’irrigation dans la vallée, inondations dans les quartiers marginaux de la ville voisine de Jacmel. Avec la coopération de l’Office national français des Forêts (ONF-I) et grâce à son assistance technique dans le domaine de la création de puits de carbone, AVSF initie avec les communautés paysannes un projet de création de nouvelles plantations de bois avec une triple finalité : créer de nouveaux revenus économiques pour les familles grâce à une véritable gestion des plantations et la vente de bois pour les constructions ; protéger des sols très fortement érodés en reforestant les zones les plus dégradées, et enfin créer des puits de carbone qui sont cofinancés par l’achat volontaire de crédits carbone par la ville de Paris. Ce projet pilote mis en œuvre sur une surface initiale de 100 ha est aujourd’hui en phase d’extension avec un objectif de 500 ha à moyen terme. Cette action associe des organisations locales garantes de la prise en charge de la reforestation sur le long terme, une assistance technique d’AVSF pour la définition de modalités de reforestation selon des accords locaux et garantissant une gestion cohérente des ressources naturelles du territoire, et une expertise pointue de l’ONFI en matière de mesure de la séquestration de carbone, permettant de garantir l’efficacité du projet en matière de compensation auprès de financeurs publics ou privés.

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